Intervention de Christian Kert

Séance en hémicycle du 26 janvier 2017 à 9h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert :

…et cette liberté doit rester une et indivisible.

Pourquoi voulez-vous ouvrir une faille avec l’IVG ? À nos yeux, c’est prendre un risque terrible. Vous commencez aujourd’hui sur ce thème et vous-mêmes ou d’autres s’empareront de cette première atteinte pour continuer dans cette voie, qui apparaît antidémocratique.

Vous le savez, cette liberté d’opinion est particulièrement bien définie par le Conseil constitutionnel, qui s’appuie sur l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » La seule limite possible à la liberté d’opinion et à son expression est donc le trouble à l’ordre public. La Convention européenne des droits de l’homme assure une protection supplémentaire de la liberté d’expression. Selon ce texte, il n’existe pas de vérité d’État et c’est à celui-ci de garantir la liberté de toutes les opinions. Avec cette proposition de loi, nous sommes à l’opposé de ces deux textes fondamentaux, et le risque d’inconstitutionnalité est donc particulièrement fondé.

À ce premier motif s’ajoute celui du principe d’intelligibilité de la loi. Ce n’est pas moi qui l’affirme, madame la présidente de la commission des affaires sociales, c’est la sénatrice Stéphanie Riocreux, rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat, qui appartient au même groupe politique que vous. Selon ses propres mots, la caractérisation du délit est « particulièrement large et imprécise ». La rédaction votée en première lecture ici, et que la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a reprise, revient à considérer que les pressions psychologiques peuvent constituer une entrave physique, ce qui nuit à l’intelligibilité de la disposition. L’honnêteté intellectuelle et surtout juridique oblige à reconnaître qu’il existe une grande différence de nature entre le fait d’entraver les femmes qui ont choisi d’avoir recours à l’IVG, comme le faisaient, vous vous en souvenez, les commandos qui s’enchaînaient aux hôpitaux, par exemple, et le fait de mettre à disposition sur internet une information différente de celle des sites officiels pour celles et ceux qui cherchent à s’informer et choisissent d’aller les consulter, y compris s’ils proposent la mise à disposition de numéros verts dits d’écoute.

À ce propos, l’infraction d’abus de situation d’ignorance ou de faiblesse d’une personne en état de grossesse pourrait être caractérisée dans cette situation. Notre arsenal législatif semble donc suffisant en l’état.

J’ai un nouveau reproche à vous formuler sur la liberté d’expression, madame la ministre : comment avez-vous pu oublier à ce point le message d’un Paul Éluard, qui n’est pas suspect d’être l’un de nos penseurs ? Paul Éluard vous faisait une confidence : « J’espère Ce qui m’est interdit. » Vous savez, madame la ministre, demain, dans dix ans peut-être encore, des dizaines de milliers de femmes connaîtront l’angoisse et l’espérance du bonheur posées sur les plateaux d’une balance. Elles voudront choisir. Ce choix devant lequel elles seront placées sera le fait de difficultés, et non pas de la vie. Vous nous dites que vous voulez des citoyens libres mais, vous le savez, l’exercice de la liberté à laquelle les hommes et les femmes aspirent nécessite que ces derniers s’accoutument aux vertus qu’elle réclame. Avez-vous conscience qu’avec ce texte vous avez imaginé, inventé le délit d’entrave à la liberté ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion