Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 26 janvier 2017 à 9h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, suite à l’échec de la commission mixte paritaire, nous examinons en nouvelle lecture la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

Pour les membres de mon groupe, le droit à l’avortement est un droit fondamental, inaliénable, fruit d’un long combat mené par les femmes. Député de la région française qui connaît le plus fort taux de grossesses précoces, souvent dues à un manque d’information quant aux méthodes de contraception ou à un accès difficile à l’IVG, je suis moi-même particulièrement sensible à ce sujet.

Pourtant ce droit chèrement acquis pour les femmes reste fragile et a dû, au cours des années, être protégé et renforcé, notamment à la suite des actions de commandos anti-IVG. Ce droit doit être préservé et garanti : c’est tout l’objet de ce texte que nous soutenons.

Depuis la reconnaissance du droit à l’avortement avec la loi Veil, votée le 17 janvier 1975, d’indéniables progrès ont été réalisés et plusieurs textes sont intervenus pour renforcer ce droit et assurer son plein exercice.

Le délit spécifique d’entrave à l’IVG, qui nous occupe aujourd’hui, a été institué dès la loi du 27 janvier 1993. Il sanctionne le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements où elle est pratiquée ou en exerçant des menaces sur le personnel ou les femmes concernées. Ce délit est désormais puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Nous savons toutes et tous que la violence peut s’exercer physiquement, mais aussi moralement. La loi du 4 juillet 2001 a renforcé ce délit d’entrave à l’IVG en ajoutant la notion de pressions morales et psychologiques afin, d’une part, de sanctionner les menaces et les actes d’intimidation, et d’autre part d’alourdir les peines prévues.

Ce quinquennat a également été marqué par plusieurs avancées concernant le droit à l’avortement.

En novembre 2014, notre groupe a cosigné une résolution proposée par le groupe socialiste visant à reconnaître le droit à l’avortement comme un droit fondamental. Elle a été adoptée à la quasi-unanimité.

Nous avons également voté la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui élargit le champ du délit d’entrave en permettant de sanctionner les actions qui viseraient à empêcher l’accès à l’information au sein des structures pratiquant des IVG.

De même, dans la loi de modernisation de la santé, nous avons soutenu la suppression du délai de réflexion, qui est une véritable avancée pour les droits des femmes.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui prend en compte les nouveaux moyens de communication, en l’occurrence internet et les réseaux sociaux, pour étendre le délit d’entrave au domaine numérique, eu égard à l’existence de sites qui n’ont en réalité d’autre but que de dissuader des femmes enceintes de recourir à une IVG. Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif.

Ces sites internet, sous couvert d’aspect officiel, prétendent apporter une information neutre sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, alors qu’en fait ils font tout pour décourager les femmes de pratiquer un avortement.

Outre le fait de constituer une entrave au droit à l’avortement, ces sites sont extrêmement dangereux car ils brouillent les messages des pouvoirs publics sur internet en matière de santé. Or, nous savons qu’internet constitue le premier lieu d’information, notamment pour les jeunes.

De surcroît, les femmes qui se tournent vers internet, pour la rapidité de la réponse et la facilité de l’accès, le font aussi pour préserver leur anonymat.

En donnant à croire que les informations qu’ils délivrent sont objectives, ces sites commettent un abus de confiance. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes l’avait d’ailleurs souligné dès 2013.

Le combat des commandos anti-IVG ayant changé de terrain, il est indispensable d’apporter une réponse adaptée aux évolutions de notre société.

Cette proposition de loi permettra de combler le vide juridique qui empêche aujourd’hui le juge de sanctionner les pressions psychologiques organisées sur ces sites.

Nous sommes conscients que légiférer sur les échanges internet n’est pas chose facile. Un juste équilibre est requis pour préserver aussi bien la liberté d’information que la liberté d’expression. Le débat contradictoire est évidemment nécessaire et rien ne doit interdire qu’il se poursuive.

De ce point de vue, si la version initiale du texte contenait certaines ambiguïtés, la nouvelle rédaction proposée à l’issue du travail en commission offre un équilibre satisfaisant entre ces différentes exigences.

Elle permettra d’identifier pleinement le délit de pression psychologique et moral exercé sur les femmes cherchant des informations sur l’IVG à travers internet ou sur les personnels médicaux, tout en laissant la place au débat.

Il appartiendra ensuite au juge, garant des libertés individuelles, de placer au mieux le curseur entre la légitime répression du délit d’entrave et le respect de la liberté d’expression.

Outre le renforcement de notre législation, tout doit être mis en oeuvre pour garantir aux femmes un accès effectif au droit à l’avortement.

Or je crois nécessaire d’alerter sur le fait que ce droit est également menacé par les coupes budgétaires de ces dernières années dans les politiques de santé, auxquelles s’ajoute la fermeture de nombreux hôpitaux de proximité et de centres de planning familial. Garantir le droit a l’avortement implique des textes législatifs certes, mais aussi de donner les moyens financiers nécessaires aux établissements de santé qui pratiquent les IVG.

En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de rester vigilants, car même les droits les plus fondamentaux ne sont pas toujours acquis.

Notre pays n’est pas le seul où l’interruption volontaire de grossesse est un droit régulièrement attaqué – je pense à l’Espagne et plus récemment à la Pologne, pour ne citer que des pays européens. Aux États-Unis, le Président Trump vient d’annoncer le rétablissement du Global Gag Rule, la règle du bâillon mondial, qui entraînera la suppression de subventions américaines pour les ONG évoquant de près ou de loin le droit à l’avortement. Cette mesure se traduira concrètement par un accès plus difficile aux services de planification familiale dans le monde.

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