Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du 24 janvier 2017 à 21h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet, rapporteure :

Les femmes représentent aujourd'hui environ 48 % de la population active. Avec un taux d'activité de 66 %, l'écart n'est plus que de neuf points avec les hommes. Ces chiffres témoignent d'une volonté des femmes d'être de plain-pied dans le travail. Pourtant, l'égalité professionnelle ne leur est pas assurée.

Les femmes gagnent en moyenne 24 % de moins que les hommes. À niveau de compétence égal et dans une même catégorie socioprofessionnelle, d'âge et d'expérience, l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes – ce que l'on appelle l'écart « inexpliqué » – s'élève encore à 10 %. Sur 144 pays, la France détient ainsi une triste 134e place en matière d'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

En raison d'une ségrégation professionnelle persistante, les femmes sont également exposées à une plus grande précarité : 82 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, tandis que 31 % des femmes salariées le sont à temps partiel. Les femmes sont également deux fois plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois peu qualifiés d'employés ou d'ouvriers ; elles représentent plus des deux tiers des travailleurs pauvres.

Dans l'entreprise, l'accès aux postes à responsabilité et aux rémunérations les plus élevées est également plus difficile pour les femmes, davantage sujettes aux discriminations, directes ou indirectes. En raison du genre ou de la parentalité, les femmes ont des déroulements de carrières moins favorables et se heurtent de plein fouet au fameux « plafond de verre ».

Ces données interrogent. Comment pouvons-nous tolérer qu'en France, les inégalités professionnelles soient toujours aussi vives entre les femmes et les hommes ? Mais l'interrogation porte surtout sur le fait que ces inégalités demeurent alors que le combat pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n'est pas récent. L'un des premiers jalons de ce combat, et non des moindres, est sans conteste la loi Roudy du 13 juillet 1983 qui a, pour la première fois, imposé aux entreprises de dresser un état des lieux de la parité dans le monde de l'entreprise, via notamment l'obligation d'établir un rapport de situation comparée. L'on peut d'ailleurs regretter que ce rapport ait été supprimé, au cours de la législature, par la loi Rebsamen.

Depuis trente ans, pas moins de huit lois ont proposé des mesures visant à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Mais les faits sont têtus, et les inégalités demeurent. Soit les mesures proposées dans ces lois ne sont pas efficaces, soit elles ne s'appliquent pas dans l'entreprise et sont donc insuffisamment contraignantes. De fait, lorsque l'on regarde dans le détail l'état d'application des mesures visant à lutter contre les inégalités professionnelles, il apparaît clairement que les mesures prévues par la loi ne sont pas suffisamment appliquées dans les entreprises.

Il en est ainsi de la négociation annuelle obligatoire relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En application de l'article L. 2242-8 du code du travail, toute entreprise de cinquante salariés et plus doit négocier chaque année sur ce thème et être couverte, a minima, par un plan d'action définissant notamment des objectifs précis de suppression des écarts de rémunération. Or 60 % des entreprises assujetties à cette obligation ne sont couvertes ni par un accord ni par un plan d'action. Ce chiffre s'élève même à 69 % pour les entreprises entre 50 et 300 salariés.

Les sanctions, quand elles existent, ne sont que très rarement mises en oeuvre : à peine plus d'une centaine d'entreprises ont été sanctionnées financièrement pour manquement à leurs obligations, soit une infime partie des entreprises concernées. Comment, dans ces conditions, peut-on faire progresser les droits des femmes et réduire les inégalités dans les entreprises ? C'est la question à laquelle la présente proposition de loi propose de répondre.

Notre groupe n'a pas souhaité créer de nouveaux dispositifs qui viendraient s'ajouter à l'existant sans qu'on puisse s'assurer que ces dispositifs soient effectivement mis en place. La ligne directrice de ce texte est de faire appliquer les mesures prévues par le code du travail, et de renforcer les droits des femmes salariées lorsque notre droit n'est pas suffisamment protecteur – je pense essentiellement au travail à temps partiel.

À cet égard, permettez-moi de contester la philosophie des amendements de suppression déposés par Mme Marie-Françoise Clergeau et ses collègues, qui nous renvoient aux équilibres trouvés dans les lois ou accords passés. Si ceux-ci sont peu efficaces, comme en témoignent les données recueillies dans mon rapport, voter les amendements de suppression reviendrait à s'arrêter en chemin dans le combat pour l'égalité professionnelle.

J'en viens à la présentation des articles de cette proposition de loi.

Le titre Ier, tout d'abord, vise à inciter les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière de dialogue social à bouger. L'article 1er propose ainsi d'inciter les 60 % d'entreprises ne respectant pas leurs obligations de négocier sur les rémunérations et sur l'égalité professionnelle à le faire, en supprimant la réduction de l'allégement sur les cotisations patronales. Je présenterai un amendement qui permettra de prendre en compte la situation des entreprises qui disposent d'un plan d'action et ne sont, à ce titre, pas concernées. Quant à l'article 2, il vise à faire réagir les entreprises qui ne renseignent pas la base de données économiques et sociales avec les indicateurs relatifs à la situation comparée entre les femmes et les hommes.

Le titre II, ensuite, est le coeur de la proposition de loi, puisqu'il s'attaque à la problématique du temps partiel. Soyons clairs : le temps partiel est un aménagement du temps de travail contraire à l'égalité professionnelle. N'oublions pas que temps partiel signifie salaire partiel et retraite partielle. Il faut donc absolument encadrer le recours à ce mode de gestion du temps de travail, qui est devenu habituel dans certains secteurs comme la grande distribution ou les entreprises de propreté. Les efforts réalisés au début de la législature pour encadrer le travail à temps partiel, grâce à l'instauration d'une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, ont été malmenés à cause des très nombreuses dérogations accordées. Résultat, aujourd'hui, les 24 heures ne sont absolument pas devenues la norme dans les entreprises ; elles constituent plutôt l'exception dans certains secteurs, qui n'ont pas hésité à négocier des accords prévoyant une durée minimale de travail bien inférieure à 24 heures, parfois seulement deux ou trois heures dans certaines branches.

Les dérogations accordées par le législateur sont contestables, car non seulement elles ont vidé de sens la durée minimale de 24 heures, mais elles ont aussi permis de limiter au minimum la rémunération des travailleurs à temps partiel, en accordant des majorations de rémunération bien inférieures à celles qui prévalent pour les salariés à temps complet. Les articles 3 à 6 de la proposition de loi ont donc vocation à freiner les recours abusifs au travail à temps partiel, en pénalisant les entreprises qui y ont massivement recours, et en accordant une juste rémunération pour les salariés qui n'ont d'autre choix que d'accepter les contrats à temps partiel avec un faible quota d'heures hebdomadaires.

Ainsi, l'article 3pénalise financièrement les entreprises qui ont recours de manière habituelle au travail à temps partiel, en diminuant de 20 % la réduction sur les cotisations patronales dès lors que l'effectif moyen par catégorie d'emploi compte en moyenne, sur une année civile, plus de 15 % de salariés à temps partiel. L'article 4propose de majorer la rémunération de chaque heure travaillée lorsque la durée de travail à temps partiel hebdomadaire prévue par le contrat de travail est inférieure à 24 heures. Pour faire suite aux auditions, je présenterai un amendement visant à simplifier le calcul de la majoration, en limitant la mesure à deux taux : un taux de 25 % quand la durée de travail est comprise entre 15 et 24 heures ; un taux de 50 % pour une durée de travail inférieure ou égale à 15 heures par semaine. L'article 5majore la rémunération des heures complémentaires, c'est-à-dire les heures effectuées en plus de celles prévues par le contrat de travail. L'article 6, enfin, propose de majorer la rémunération des heures effectuées dans le cadre d'un complément d'heures prévu par avenant. Je vous proposerai un amendement pour harmoniser toutes les majorations.

Je proposerai également un article additionnel après l'article 6, visant à rétablir le délai de sept jours de prévenance. Tous les syndicats et associations féministes entendus ont insisté sur ce besoin.

Le titre III propose ensuite de mieux répartir les congés autour de la naissance, qui sont aujourd'hui très inégalement répartis entre le père et la mère. En France, seuls 4 % des parents qui prennent un congé parental sont des hommes, soit l'un des taux les plus bas de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a par ailleurs proposé de contraindre les pères à prendre leur congé de paternité.

L'article 7 propose d'allonger de deux semaines la durée de congé de maternité, afin de mettre notre droit en conformité avec les recommandations de l'Organisation internationale du travail (OIT). L'article 8 propose d'allonger la durée du congé de paternité à quatre semaines consécutives, contre seulement onze jours aujourd'hui.

Enfin, le titre IVpropose de s'attaquer à la problématique des discriminations, en se concentrant sur les discriminations à l'embauche.

Régulièrement, le Défenseur des droits nous rappelle que les discriminations à l'embauche, quel qu'en soit le motif, sont une plaie pour les demandeurs d'emplois, mais aussi pour les entreprises qui se privent ainsi de talent. Les études du Défenseur des droits montrent aussi que la grande majorité des personnes s'estimant victimes de discrimination n'osent pas entreprendre de démarches pour la faire reconnaître, souvent faute de connaître leurs droits. L'article 9propose donc de renforcer la connaissance des discriminations, en demandant aux entreprises d'inscrire dans le registre unique du personnel les coordonnées personnelles des personnes candidates à un emploi. Il propose de renforcer la connaissance des voies de recours contre les discriminations en obligeant les employeurs à remettre, au cours de l'entretien d'embauche, une fiche rappelant le droit à la non-discrimination et listant les personnes auxquelles les personnes victimes de discrimination peuvent faire appel.

Cette proposition de loi vise à une plus grande efficacité de la lutte pour l'égalité professionnelle. C'est pourquoi, afin de permettre un véritable débat sur toutes ces mesures, j'émettrai un avis défavorable aux amendements de suppression proposés par nos collègues.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion