Intervention de Christian Eckert

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 9h30
Conférence des parties de la finance mondiale l'harmonisation et la justice fiscales — Présentation

Christian Eckert, secrétaire d’état chargé du budget et des comptes publics :

Monsieur le rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le député, cher Alain, permettez-moi à mon tour de saluer non seulement le discours que vous venez de prononcer, mais les circonstances dans lesquelles vous l’avez fait.

J’imagine votre émotion. Terminer sur un tel propos, vous qui, avec d’autres, vous êtes beaucoup investi sur ce sujet doit atténuer le sentiment d’arrachement que peut représenter la fin de cette belle carrière.

Il me paraît particulièrement important, au moment où le monde politique subit des attaques parfois individuelles, mais disons-le aussi, collectives, au moment où nos concitoyens peuvent avoir des doutes sur la confiance qu’ils peuvent accorder à leurs élus, de saluer cette carrière marquée par des convictions que chacun connaît.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, disons-le d’emblée, le Gouvernement est disposé à vous recommander d’adopter cette proposition de résolution. Ses conclusions vont en effet dans le sens de l’action constante qui fut la sienne, mais aussi celle de la majorité parlementaire, durant cette législature. J’y reviendrai.

Néanmoins, je souhaiterais voir rectifier un certain nombre de propos tenus dans la partie introductive. Je vous proposerai donc un amendement qui porte sur les considérants de la proposition de résolution, sans rien changer à son objet.

Si j’ai quelques réserves sur cette partie préliminaire, c’est parce que je ne voudrais pas accréditer l’idée – je sais d’ailleurs que ce n’est pas votre intention – que les gouvernements, celui-ci en particulier, et les élus d’une façon générale, seraient indifférents à la question de la lutte contre la fraude et l’optimisation agressive. Nous avons pris un certain nombre d’orientations et travaillé avec vous et avec l’ensemble des parlementaires de la majorité ; il est bon de le redire pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans leurs dirigeants sur ce sujet très important, puisque l’impôt, vous avez eu raison de le rappeler, est l’un des fondements de la République et de la démocratie.

Tout le monde ne sera peut-être pas d’accord, notamment du côté droit de l’hémicycle, mais depuis 2012, le Parlement et ce gouvernement ont opéré une rupture dans la lutte contre la fraude fiscale ; et les résultats, vous l’avez rappelé, sont importants. Une action forte à l’échelle du G20, de l’Union européenne, et enfin au niveau national, avec l’adoption de 80 mesures législatives depuis 2012, a permis d’améliorer les résultats du contrôle : ils sont passés de 16 milliards d’euros en moyenne sous la précédente législature à plus de 21 milliards l’an dernier. Le recouvrement est certes à améliorer, mais il s’établit à 12 milliards d’euros. Cela représente des sommes importantes.

Cette amélioration n’est pas due qu’aux contrôles sur les petites entreprises ou les petits contribuables. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, et il faut le rappeler : en 2015, cinq dossiers ont représenté à eux seuls 3,3 milliards d’euros de redressements et de pénalités. Vous savez tous faire des divisions ; cela signifie qu’il s’agit de gros dossiers, voire de très gros dossiers, qui concernent à l’évidence – je ne peux évidemment en dire plus – de très grandes entreprises multinationales.

Nous venons d’ailleurs ensemble, dans les textes financiers adoptés fin 2016, d’apporter de nouveaux outils à l’administration fiscale, en créant plusieurs procédures : le contrôle fiscal ciblé à partir de la comptabilité dématérialisée des entreprises, qui permettra d’analyser les informations les plus pertinentes rapidement, sans avoir à rester plusieurs mois dans les entreprises ; et un contrôle spécifique, cette fois sur place, car c’est indispensable, des remboursements de crédits de TVA, important vecteur de fraude. Nous avons également mis en place, ce qui a suscité beaucoup d’émotion – à juste titre – l’été dernier, deux mécanismes anti-abus permettant d’empêcher que par des montages artificiels, certains contribuables parmi les plus fortunés échappent à l’impôt de solidarité sur la fortune. Nous avons donc un arsenal assez complet.

Pour revenir sur le sujet central de la fraude des entreprises multinationales du numérique, en 2015, les différents articles portant sur la territorialité de l’impôt, qui est au coeur de nos préoccupations comme des vôtres, ont permis de rétablir 2 milliards d’euros d’assiette au bénéfice de la France. Via les redressements de prix de transfert, ce sont 2,8 milliards d’euros qui ont été rétablis pour la France. Cette assiette est ensuite redressée à l’impôt sur les sociétés, et le redressement se voit appliquer des pénalités allant de 40 % à 80 %. Sur les exercices 2008 à 2012, les entreprises multinationales du numérique se sont vu notifier 2,5 milliards d’euros de redressement – je parle là encore de la somme des droits et des pénalités. Et ce n’est pas fini, car les exercices 2013 à 2015 sont en cours de contrôle.

Le cadrage constitutionnel existe. Il peut sembler strict, mais il n’affecte que la publicité des dispositifs que nous avons voulu mettre en place : le registre public des trusts, le CbCR public. Vous avez vu les décisions du Conseil constitutionnel ; une directive sera nécessaire pour cela, et la France travaille activement à faire adopter ces dispositions au sein du Conseil européen. Mais ne laissons pas croire que ces dispositifs n’existent pas aujourd’hui : l’administration fiscale dispose – ou peut requérir – des renseignements sur la répartition pays par pays des chiffres d’affaires, des salaires, des subventions ou des impôts acquittés.

Vous évoquez régulièrement le sujet du verrou de Bercy. Permettez-moi d’en dire un mot pour éviter tout malentendu et expliciter la position du Gouvernement : le Conseil constitutionnel l’a récemment validé dans sa décision du 22 juillet 2016, et en a rappelé le sens. Il y a deux intérêts distincts à protéger, qui se cumulent : le recouvrement rapide des impôts avec des pénalités, qui permet d’éviter que l’équilibre budgétaire soit affecté et qui ne relève pas du juge, mais de l’administration ; et la sanction pénale, qui intervient après, lorsqu’une atteinte particulièrement grave est portée à la cohésion sociale et au consentement à l’impôt. C’est le rôle de la justice pénale, à qui l’administration a transmis 1 061 dossiers en 2015.

Pour le reste, nous avons considérablement renforcé depuis 2012 le volet pénal de la lutte contre la fraude : la prescription de l’action publique a été allongée de trois à cinq ans ; nous avons créé la notion de circonstances aggravantes en cas de complicité, assortie d’une possible sanction de sept ans de prison et de 2 millions d’euros d’amende. Je pourrais évoquer toutes les affaires que vous avez citées, mais le président me réprimanderait – et il aurait raison, ce serait trop long. Permettez-moi juste de revenir sur le dernier jugement rendu en première instance dans l’affaire Wildenstein. Il n’appartient évidemment pas à un membre du Gouvernement de commenter une décision de justice, mais cet exemple nous montre, s’il en était besoin, que la concomitance d’actions pénales et d’actions administratives peut être utile : si le dossier a été considéré en première instance comme n’appelant pas de poursuites, l’administration fiscale poursuit de son côté la procédure qu’elle a engagée. Il est donc opportun de conserver cette possibilité qu’a l’administration fiscale de conduire ses poursuites administratives. On voit bien que le fait de faire intervenir la justice pénale ne permet pas nécessairement d’atteindre l’objectif que vous comme moi poursuivons.

Des six points de votre proposition de résolution, c’est le premier qui est le plus important, à savoir cette conférence des parties fiscale que vous suggérez d’organiser à l’échelle de l’ONU.

Le chapitre X de la Charte des Nations unies est consacré au Conseil économique et social, qui a notamment pour fonction de rédiger des rapports et d’adresser des recommandations à l’Assemblée générale sur les questions internationales dans le domaine économique. Il peut convoquer des conférences. Sur cette base, il a créé en 1967 un comité ad hoc d’experts fiscaux. Aujourd’hui, ce dernier est régi par une résolution de 2004. Ce groupe fait quelques publications, par exemple un modèle de convention fiscale et un manuel de prix de transfert, notamment pour défendre les intérêts des pays en développement.

La France tient compte de ces publications. Mais reconnaissons que pour faire changer les choses, nous devons veiller à ne pas être naïfs. Nous agissons depuis des années dans le cadre de l’OCDE et du G20. Nul ne peut nier, et vous l’avez vous-même reconnu, les progrès accomplis ces dernières années. L’expérience a montré que grâce à l’appui technique du secrétariat et à la capacité à parvenir à une vision commune, cela permettait un progrès rapide des standards, notamment en termes de transparence et de lutte contre l’optimisation.

De plus, pour la fiscalité des entreprises, après la participation des émergents du G20 au projet BEPS – Base erosion and profit shifting, ou Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices – depuis 2013, la mise en place du cadre inclusif en 2016 permet désormais d’associer – vous l’avez aussi évoqué – tous les pays qui le veulent sur un pied d’égalité, y compris ceux en développement. On ne peut donc plus dire que ces derniers sont exclus des travaux de l’OCDE. Dans la ligne des engagements pris au sommet d’Addis Abeba en 2015, un investissement important est réalisé en faveur de ces pays pour qu’ils développent leur capacité fiscale, donc la mobilisation de leurs ressources internes. Je pense par exemple à l’initiative Inspecteurs des impôts sans frontières. L’État français participe évidemment activement à tous ces projets.

Je ne vous cacherai pas que la France est observatrice, et non membre, du groupe d’experts de l’ONU, alors que nous avons des présidences à l’OCDE. J’étais d’ailleurs moi-même à l’OCDE il y a peu. Dans l’intérêt de la lutte contre la fraude et l’optimisation, il est important que la France tienne sa place. Elle le fait à l’OCDE. Je crains qu’à l’ONU, le poids d’un certain nombre de paradis fiscaux ne soit un handicap pour travailler dans ce sens. Toujours est-il que le Gouvernement vous invite à voter cette proposition de résolution, modulo l’adoption de l’amendement que je vous présenterai tout à l’heure.

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