Intervention de Martine Lignières-Cassou

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 9h30
Conférence des parties de la finance mondiale l'harmonisation et la justice fiscales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Lignières-Cassou :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, divers rapports d’ONG engagées dans la lutte pour la transparence et contre les inégalités dans le monde nous alertent année après année : les inégalités ne cessent de croître dans le monde. En 2016, le patrimoine cumulé des 1 % des personnes les plus riches dépassait celui de toutes les autres réunies.

Selon Thomas Piketty, les causes en sont nombreuses. Mais l’une des premières est que la finance mondialisée permet aux milliardaires de placer leur argent sur les places financières les plus rentables et les plus opaques, contre lesquelles il est très difficile de lutter, d’abord parce qu’il est très compliqué de tracer de bout en bout les flux financiers transnationaux. L’absence de transparence alimente la fraude fiscale et les paradis fiscaux ; vous avez bien décrit ces phénomènes, monsieur le rapporteur.

Il faut ajouter que, les États étant en concurrence sur le plan fiscal, ils n’hésitent pas à organiser, pour ainsi dire, l’évasion fiscale, notamment au moyen des rescrits fiscaux. Certains d’entre eux passent ainsi des accords avec des multinationales pour que celles-ci paient le moins d’impôts possible sur leur territoire. Or, le tarissement progressif des ressources financières des États les prive de moyens pour lutter contre le chômage, les inégalités et – vous y avez insisté – alimente, à juste titre, le sentiment d’injustice et la crise des inégalités. Cet évitement fiscal impacte en premier lieu les pays en développement, qui ont précisément besoin de recettes fiscales pour leur bon développement.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait référence au rapport du Conseil économique, social et environnemental – CESE –, qui montre que les pays en développement subiraient un impact 30 % supérieur à celui frappant les pays de l’OCDE. À l’heure actuelle, selon une étude du Parlement européen, les recettes fiscales constituent 20 % du PIB des pays en développement, contre 30 à 40 % de celui des pays de l’OCDE. Le coût supporté par les pays en développement est donc important : ils perdent 125 milliards de dollars par an en raison de l’évasion fiscale, ce qui équivaut au montant de l’aide publique au développement accordée par les pays riches : cherchez l’erreur, ou la logique !

Où en est-on de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ? Les travaux du G7, du G8, du G20 ont permis d’accroître la transparence au cours des dernières années. On progresse aussi à l’échelle européenne. Depuis le 1er janvier de cette année, les administrations des vingt-huit États membres de l’Union européenne doivent se communiquer automatiquement tous les accords fiscaux préalables qu’ils signent avec les entreprises. On peut espérer que le fait de se tenir mutuellement au courant de tous ces accords permette d’en finir avec une forme de concurrence fiscale dommageable au sein de l’Union européenne.

En France, comme M. le secrétaire d’État l’a très bien rappelé, depuis cinq ans, une réelle volonté de lutter contre la fraude fiscale s’est manifestée et a produit ses effets. Nous avons également – plusieurs ONG l’ont souligné – progressé sur la question de la transparence fiscale sous ce quinquennat, notamment par l’institution, dans la loi de finances pour 2016, de l’obligation de reporting pour les groupes qui réalisent un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros. Ce dispositif sera effectif à partir de janvier 2018. Par ailleurs, la France a été à l’initiative de l’accord conclu entre quatre-vingts pays, qui entre en vigueur cette année, sur l’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales. Même la Suisse a été obligée de lever – certes partiellement – le secret bancaire, ce qui a permis à la France de récupérer 2,5 milliards d’euros depuis 2015. Nous avons également créé un parquet financier, chargé de lutter contre la fraude fiscale, et mis en place la protection du lanceur d’alerte, qui joue un rôle primordial dans la lutte contre la corruption. Cependant, des progrès restent à faire, notamment en augmentant le nombre d’agents de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ou le nombre de magistrats du parquet financier de Paris. Mais nous voyons tous qu’il faut aller beaucoup plus loin.

La proposition de résolution que vous avez déposée, monsieur le rapporteur, demande que la France soit à l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations unies. A priori, cette proposition pourrait surprendre, car l’ONU ne détient pas de compétences fiscales, mais, à y réfléchir, elle est la bienvenue. En effet, si l’OCDE accueille en son sein les pays en développement, l’ONU rassemble tous les pays du monde. Or, on sent bien que c’est au niveau mondial que doit être menée la lutte contre l’évasion ou la fraude fiscale. L’échelle de l’ONU est donc pertinente pour traiter de ces questions, qui concernent tous les pays du monde. Par ailleurs, le mode de gouvernance de l’ONU permet de réunir autour de la table non seulement les États mais aussi les représentants de la société civile, notamment les associations luttant pour la transparence et contre la corruption.

Comme vous l’avez souligné, la question que nous avons à traiter aujourd’hui n’est pas de nature exclusivement financière, dans la mesure où elle conditionne la santé et le bien-être de nos démocraties. Le sentiment d’injustice, d’impunité ressenti par les citoyens qui paient des impôts à la place des plus riches ou des entreprises porte atteinte à la cohésion sociale, au pacte social de nos pays. C’est la raison pour laquelle je salue cette initiative et voterai cette proposition de résolution avec entrain.

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