Intervention de Paul Giacobbi

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 9h30
Conférence des parties de la finance mondiale l'harmonisation et la justice fiscales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Giacobbi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, comme vous le savez, j’ai été frappé par une décision de justice, dont j’attends la motivation que l’on m’annonce pour le milieu du mois de février ; j’ai fait appel de cette décision, pour laquelle je comprends qu’il soit bien délicat de trouver des motifs, et je dispose, cet appel ayant un caractère suspensif, de l’intégralité de mes droits, ce qui me permet de m’adresser à vous aujourd’hui.

L’évitement fiscal a fait l’objet de toutes les analyses possibles, de très nombreuses mesures ont été prises et des mécanismes ont été mis en place, sans que l’on ait le sentiment que le mal se réduit réellement.

Trois raisons expliquent le renforcement de l’évitement fiscal et la difficulté de le prévenir. La première est le fait que chaque État dispose de sa propre réglementation. Or, l’impôt, le consentement à l’impôt constituant le coeur de la souveraineté, il est très difficile d’y faire renoncer les États. Chaque État a son propre dispositif, très complexe, ce qui induit des failles et des contradictions entre les réglementations nationales et, naturellement, ouvre la possibilité de les exploiter. Surtout, les différences de niveaux de taxation entre États incitent les entreprises ou les particuliers à en jouer pour optimiser, c’est-à-dire diminuer leur imposition.

La deuxième raison est la complexité des échanges des biens et services, et plus encore des flux financiers. Il est extraordinairement difficile de suivre le fonctionnement de cette incroyable jungle. La rapidité n’a plus rien de commun avec ce qu’on observait voilà un siècle ou même trente ans. L’accélération est considérable. Les moyens informatiques au service de ces déplacements étant considérables, cela rend les choses extrêmement difficiles.

La troisième raison, enfin, tient à la faiblesse et à la difficulté de la coopération internationale, qui se heurte à la souveraineté des États. Malgré les progrès réalisés, beaucoup d’États continuent de refuser de coopérer ou adoptent une attitude intermédiaire, que je qualifierais d’hypocrite, en affirmant qu’ils coopèrent alors qu’ils ne le font en réalité que très peu.

Pourtant, ces dernières années, des avancées ont été réalisées dans ce domaine. Il faut tout d’abord souligner les progrès en matière de lutte contre les paradis fiscaux. Rappelons néanmoins qu’ils ne sont qu’une manifestation extrême, très particulière de l’évitement fiscal, et que tous ceux qui évitent la fiscalité ne passent pas par les paradis fiscaux.

De surcroît, j’aimerais nuancer les propos de notre collègue Bocquet au sujet de l’imposition sur les sociétés aux États-Unis. Celui-ci a affirmé que le taux serait de 15 %, mais il s’agit d’un taux nominal ; je rappelle que celui de l’Irlande est de 12,5 %. En France, quand on examine très finement la réalité des prélèvements, on s’aperçoit que les très grandes entreprises du CAC40 sont souvent assez éloignées des 38 % d’imposition. Une étude récente du cabinet PricewaterhouseCoopers a montré que le taux se situait plutôt aux alentours de 8 %, non pas parce que ces entreprises évitent l’impôt, mais parce qu’elles bénéficient de nombreux mécanismes. D’une part, elles localisent leurs bénéfices là où ils sont effectivement réalisés et, d’autre part, elles bénéficient d’un certain nombre de dispositifs, notamment pour l’aide à l’innovation, qui diminue largement le montant de leurs prélèvements. Il faut donc être un peu prudent avant de qualifier des États de paradis fiscaux.

Outre la lutte contre les paradis fiscaux, qui est un volet important, il y a eu un renforcement de la coopération internationale qui, bien qu’insuffisante, a au moins le mérite d’exister. Dans le cadre du G20, de l’OCDE, des mesures très importantes ont été prises, ainsi que l’a mentionné tout à l’heure le secrétaire d’État.

Il faut mentionner par ailleurs le développement des alertes, notamment celles qui sont le fait d’un certain nombre d’organismes plus ou moins bien intentionnés qui parviennent à ausculter ou à pénétrer les systèmes informatiques et à trouver des données qui avaient jusqu’alors échappé aux uns et aux autres.

Parallèlement à ces avancées, un important travail a été mené par les États, en particulier la France, pour sécuriser le contribuable et l’inciter à payer, en quelque sorte. Mme Lignières-Cassou a fait allusion voilà quelques instants aux rescrits. Le rescrit est un encouragement non pas à la fraude, mais plutôt au paiement de l’impôt. Il permet à celui qui doit payer de savoir exactement quelle règle lui est applicable, car les situations sont complexes. Cette clarté est de nature à l’encourager non pas à frauder mais au contraire à payer dans des conditions honnêtes. C’est donc très important.

Parmi les avancées, des dispositions ont également été prises pour les repentis, une situation qui s’est produite dans beaucoup de pays, y compris la France. Ce que veut faire M. Trump s’est fait en France et a rapporté quelques milliards d’euros à la République, si mon souvenir est bon, monsieur le secrétaire d’État, ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent. Ce dispositif n’est d’ailleurs pas une amnistie : il consiste à payer l’intégralité de l’impôt qu’on aurait dû payer sur les avoirs réintégrés dans son pays, parfois même plus. Il ne s’agit donc que d’une régularisation, même si cela peut parfois choquer sur le plan moral.

S’il faut bien évoquer les progrès accomplis, tout cela n’est évidemment pas suffisant. La proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui vise à instaurer une grande conférence des parties – au dix-neuvième siècle, on aurait appelé cela un congrès international, à ceci près que la conférence a vocation à être récurrente –, à l’image de la COP pour le climat, afin d’avancer dans la lutte contre l’évitement fiscal. C’est évidemment une très bonne idée, qu’on ne peut que soutenir.

Il faut néanmoins avoir à l’esprit un certain nombre d’éléments. Tout d’abord, l’ONU n’est pas un modèle de bon fonctionnement, pas plus qu’elle n’est exemplaire en matière de corruption, laquelle touche à peu près toutes ses activités, y compris militaires ; on sait ce qui se passe ici et là.

Ensuite, les grandes conférences aboutissent rarement à des décisions concrètes et opérationnelles, surtout dans des matières aussi compliquées. Concernant le réchauffement climatique, on a beaucoup parlé, on a pris des décisions de principe, mais on ne peut pas dire qu’on ait modifié les choses dans le détail. On peut simplement remarquer que de telles conférences entraînent un mouvement, créent l’obligation de montrer, à la conférence suivante, ce que l’on a fait. Le dispositif est donc très positif malgré sa lourdeur et sa lenteur. Une fois mis en place, il ne peut pas faire de mal, et aura nécessairement des retombées favorables.

Enfin, il faut avoir à l’esprit que la France se situe aux premiers rangs pour le niveau des prélèvements obligatoires. Il me semble qu’au sein des pays de l’OCDE, seul le Danemark a un taux supérieur, monsieur le secrétaire d’État, mais le Danemark est un petit pays. On peut donc considérer que nous occupons la première place des pays réellement significatifs. Or, de grands pays ont des taux proches de 20 %, comme le Mexique, qui se situe à 19 %, et qui n’est pas un État sauvage. Si donc une coopération internationale poussée se précise, il nous faudra probablement nous aligner sur ces autres pays, car il est peu probable que nous parvenions à convaincre le reste du monde de s’aligner sur nous. Trop d’impôt tue l’impôt. Reconnaissons-le, et soyons raisonnables : la quasi-totalité des pays de la planète imposent moins lourdement les entreprises et les particuliers. Il faudra pouvoir traiter du niveau de l’imposition à l’occasion de ces discussions internationales.

Avec ces nuances, mais tout en reconnaissant l’excellence de l’idée du dispositif et de tout ce qui a été indiqué, tant dans la proposition que dans le rapport, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera sans trop d’illusions, mais avec espoir tout de même, cette proposition de résolution.

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