Intervention de Jacques Bompard

Séance en hémicycle du 2 février 2017 à 9h30
Conférence des parties de la finance mondiale l'harmonisation et la justice fiscales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, un très grand bravo à nos collègues qui proposent ce texte à la sagesse de l’Assemblée ! Si le candidat Hollande, lors du célèbre discours du Bourget, a brandi son opposition à la dictature des marchés financiers et de leurs acteurs, on a vu dès ses choix de campagne son affection se diriger vers ceux dont l’esprit et les pratiques participent de la continuation de ce qui est une véritable capture de la démocratie.

Avant d’aborder le sujet inscrit à l’ordre du jour, je tiens à préciser ma conviction selon laquelle les Français sont victimes d’un véritable racket fiscal doublé d’un maniement idéologique des prélèvements obligatoires visant à exacerber une guerre des classes et même une guerre idéologique et culturelle qui amènent parfois des Français honnêtes à refuser de soutenir davantage par leurs finances les errements d’un État captif de trop de coteries.

Au reste, il n’est que trop évident qu’il en va de l’honneur de notre pays de rappeler son opposition historique au règne de l’argent sur les hommes, sa vocation civilisationnelle plaçant le spirituel avant le matériel, ainsi que sa farouche volonté d’indépendance qui doit l’amener à ne pas laisser Francfort, la City et Washington faire prévaloir leurs diktat sur nos aspirations et nos conditions de vie. Voir la France inspirer une telle conférence nous renverrait aux heures heureuses où la droite ne cessait d’alerter les radicaux et les autres sur la seule issue de leur complète adhésion au capitalisme : l’explosion des structures fondamentales de notre société que sont les communes et les familles et que Patrick Buisson appelle à raison les « institutions de la verticalité ».

Au reste, il est évident que la part financière et mafieuse des optimisations et des exils fiscaux constatés dans notre pays est une honte qui coûte 600 milliards d’euros à la France, comme l’a souligné avec beaucoup de courage Antoine Peillon. Son livre comptabilise 100 milliards d’euros d’avoirs de Français fortunés dissimulés en Suisse, 220 milliards d’euros cachés dans l’ensemble des paradis fiscaux et 370 milliards d’euros de placements des grandes entreprises dans ces mêmes places financières offshore. Autant dire que l’action de toutes les instances sur ce point est bien trop faible ! Il suffit pour s’en convaincre de constater à quoi sont utilisés les parquets financiers français ainsi que l’insuffisance du soutien par le pays légal des courageux lanceurs d’alerte exposant inlassablement l’ingéniosité des montages légaux destinés à évacuer ces fonds.

Il est regrettable que l’exposé des motifs du texte ne s’en tienne pas aux deux seuls objectifs viables en la matière, l’intérêt national et le bien commun, et use de formules parfois malheureuses ou « rebellocrates », mais le sujet est trop grave pour que nous en tenions grief à ses auteurs et n’appelions pas à soutenir le texte proposé par les commissions des finances et des affaires européennes. À ce propos, j’espère que celles-ci n’ont pas manqué de souligner la politique délétère en la matière d’un ancien locataire de Bercy passé depuis à Bruxelles. On entend trop souvent les élus et les associations se gargariser de la moralisation du monde financier alors qu’ils ont eux-mêmes fondé les politiques économiques publiques sur des hypothèses fortes porteuses d’un monde amoral.

Par ailleurs, cette solution procède également d’oublis malheureusement dramatiques, comme le souligne l’économiste Gaël Giraud, que je cite : « Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le débat politique, en Europe comme dans les pays du Sud, se focalise sur la dette publique, alors qu’à l’exception du Japon, le privé est presque partout beaucoup plus lourdement endetté que le public. En Chine, en particulier, le ratio dette privée sur PIB s’envole dangereusement depuis plusieurs années et pourrait provoquer la prochaine tourmente financière mondiale. Pendant ce temps, beaucoup trop d’économistes scrutent, à mon avis à tort, la dette publique des États ».

Notez bien, monsieur le secrétaire d’État, que je suis parfaitement déterminé à user de mes mandats pour réduire la dette de la France, ce qui est bien plus simple à faire que vous ne l’affirmez. La ville d’Orange, dont je suis maire, est passée de 1 500 euros d’endettement par habitant en 1995 à zéro aujourd’hui. Néanmoins, on ne saurait négliger la puissance de marchés privés, particulièrement choyés par les États. La loi Dodd-Frank votée aux États-Unis comme les réponses de la Banque centrale européenne à la crise ont été très favorables à ces marchés privés dont je viens d’exposer le danger qu’ils constituent.

Pour ma part, j’ai déposé une proposition de loi visant à interdire le trading à haute fréquence, mais elle n’a reçu que peu d’assentiment en commission. La France est en lutte contre la réification de l’homme et la monétisation de nos existences. Si ce texte permet de la soutenir un peu, j’en suis ravi. L’utilisation des mathématiques pour l’invention de produits financiers complexes échangés opportunément en fonction de la variation des changes et parfois optimisés par les échanges entre firmes nous a fait entrer dans un capitalisme fondé sur la valeur d’échange et certainement plus sur celle d’usage. Je me refuse à considérer cette réalité comme un horizon indépassable. Je soutiendrai donc la proposition de résolution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion