Intervention de Julien Aubert

Réunion du 1er février 2017 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert, président de la mission d'information :

J'ai entendu s'exprimer des peurs, nées d'incertitudes. Malheureusement, le monde de l'énergie est un monde d'incertitudes. Nous ne savons pas quand sera inventé le stockage électrique, qui révolutionnera les énergies renouvelables ; si, un jour, telle ou telle énergie sera plus compétitive qu'une autre, etc. Pour parodier Forrest Gump, le parc nucléaire, c'est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais ce que l'on va y trouver ! Et comme dans un calendrier de l'Avent, on a tous les jours une surprise. (Murmures)

À travers toutes vos questions, c'est finalement celle de la stratégie de démantèlement qui se pose. Effectivement, notre pays n'en a pas. EDF en a peut-être une, mais celle-ci n'est pas mise sur la place publique. Toutefois, à mes yeux, le premier responsable n'est pas l'opérateur, mais les autorités politiques.

Pourquoi ? D'abord parce que la première question à se poser est la suivante : quel avenir pour le parc nucléaire ? Selon que celui-ci est appelé à muer vers un parc futur ou à être liquidé, cela ne revient pas au même. On ne gère pas la fin d'une activité de la même manière selon qu'une autre doit prendre sa place ou non. Parmi vous, les uns pensent que le nucléaire est une filière d'avenir, les autres qu'il appartient au passé. Nous sommes incapables de décider politiquement de ce que nous voulons faire d'une énergie qui nous apporte 75 % de notre électricité ; nous ne pouvons pas demander à l'opérateur de trancher à notre place. Pourtant, c'est bien de la réponse à cette première question que doit découler, téléologiquement, la stratégie de démantèlement.

Si nous fermons Fessenheim, y aura-t-il un « retour à l'herbe » et, demain, un jardin d'enfants à la place de la centrale ? Est-ce pour y construire une zone industrielle, auquel cas la centrale pourrait être remplacée par des éoliennes ? Est-ce pour substituer à la centrale une centrale de nouvelle génération ? La stratégie de démantèlement varie avec la réponse apportée à ces questions. On ne va pas s'amuser à décontaminer un site jusqu'à un seuil de radioactivité inférieur à celui que l'on observe dans la nature si c'est pour y installer ensuite une centrale nucléaire qui produira elle-même de la réactivité : ce serait complètement stupide. Si l'emprise doit rester consacrée au nucléaire, pourquoi transporter les tonnes de gravats issues du précédent réacteur à l'autre bout du pays pour les y stocker ? Pourquoi ne pas les stocker sur place ? Je milite donc pour une évaluation spatiale qui distingue les sites selon leur destination – « retour à l'herbe », vocation industrielle, vocation nucléaire – et définisse en conséquence les différentes stratégies de démantèlement à mettre en oeuvre.

Une question sous-jacente, posée par plusieurs d'entre vous, est celle du bassin d'emploi : les gens qui travaillent sur place ont le droit de savoir si, dans dix ans – à supposer qu'ils aient trente ans et débutent leur carrière –, ils devront quitter ce site pour un autre. Cela pose le problème du coût social du démantèlement. Celui-ci n'est pas aussi élevé en France qu'ailleurs, car le grand nombre de réacteurs dont nous disposons permet de réaffecter le personnel. Toutefois, le problème est aussi celui des acteurs du démantèlement qui voudraient se préparer, mais à qui l'on n'est pas capable de dire si la première centrale démantelée sera dans le Nord de la France, en Bourgogne ou en PACA, ni quand elle le sera : curieusement, ils vont se positionner sur des marchés extérieurs…

Une autre question liée à celle de la stratégie est celle de la mise en concurrence. S'il faut démanteler simultanément les différents réacteurs, il y a gros à parier qu'EDF n'y arrivera pas tout seul. En réalité, je pense que le démantèlement ne sera pas simultané, mais échelonné pour des raisons budgétaires et financières. Toujours est-il que la mise en concurrence peut servir d'aiguillon à EDF, menacé de perdre le chantier au profit d'un autre s'il ne l'a pas mené à bien dans les temps, comme aux États-Unis. En outre, elle peut avoir un effet vertueux sur le bassin d'emploi, car si l'on exige un provisionnement par réacteur, que l'on confie le démantèlement à un opérateur extérieur et que celui-ci le mène à bien pour un coût inférieur aux prévisions, le reliquat provisionné pourra être consacré à la reconversion des activités sur site.

En la matière, la vision du temps et de l'espace est donc indissociable de la stratégie de démantèlement.

J'en viens au seuil de libération. Nous sommes le seul pays au monde à considérer tout objet qui se trouve dans une zone nucléaire comme un déchet nucléaire. Cela nous oblige à créer des sites de stockage qui vont se multiplier et nous confronter à un problème de résistance sociale : personne n'a envie d'accueillir une poubelle !

Il faut donc envisager le stockage sur zone si le site doit rester nucléaire, et se demander si, à coût égal – car l'existence d'une filière de retraitement n'est pas nécessairement avantageuse du point de vue économique –, nous n'aurions pas intérêt à recycler le métal, ne serait-ce que pour un usage nucléaire. Naturellement, cela pose la question de savoir si nous allons construire de nouvelles centrales.

Quant à la résistance sociale, préfère-t-on créer 25 sites de stockage où des gens vont agiter des pancartes disant « Pas de gravats chez nous ! » ou diluer la radioactivité en recyclant des déchets nucléaires, ou présents dans des zones nucléaires, dans les voitures ou ailleurs, et s'entendre objecter l'absence de traçabilité du métal et ses risques potentiels pour la santé ? Mais dans un marché ouvert, les voitures que nous utilisons peuvent de toute façon contenir du métal qui a servi dans l'industrie nucléaire : le problème se pose déjà.

En somme, nous devons nous doter d'une stratégie d'avenir, car c'est d'elle que dépend la stratégie de démantèlement. L'avenir du nucléaire est une question politique ; ici, il ne s'agit que de ses répercussions.

Pour calculer les coûts, certains appellent de leurs voeux un organe d'évaluation indépendant. Ce problème ne se pose pas seulement en France, il concerne tous les pays. Les États-Unis n'ont que des fragments d'analyse. La Cour des comptes, organe généraliste, doit créer des outils, d'ailleurs contestés, lorsqu'elle est appelée à évaluer le coût du démantèlement. L'ASN a un point de vue uniquement sécuritaire : elle ne procède pas à une analyse financière des effets du démantèlement. Bref, nous n'avons aucun organe capable d'inférer de manière fiable, à périmètre constant, le coût du démantèlement français à partir de l'exemple allemand. Je ne crois pas que les autres pays soient mieux dotés à cet égard. De toute façon, les divergences sont telles et le parc si hétérogène, comme le disait Guy Bailliart, que nous sommes obligés de procéder par étapes.

La bonne stratégie de démantèlement n'est pas celle de Nostradamus, fondée sur une formule magique qui permettrait de connaître le coût exact des opérations. C'est une stratégie prudente, consistant à provisionner centrale par centrale et, surtout, claire, pour donner de la visibilité aux acteurs. Si le pouvoir politique parvenait ne serait-ce qu'à donner cette visibilité à l'opérateur, il serait possible de placer celui-ci devant ses responsabilités. Je trouverais d'ailleurs moi aussi intéressant qu'EDF, Areva et le CEA puissent répondre aux observations formulées par ce rapport.

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