Intervention de Antoine Dulin

Réunion du 1er février 2017 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique, social et environnemental :

Je constate que les débats sur les questions fiscales sont aussi animés ici qu'au CESE, sans doute parce que cela touche autant à nos propres comportements qu'à ceux des autres.

Nous avons tranché le questionnement sur le caractère légal ou illégal de l'optimisation fiscale excessive et agressive en considérant que cette pratique se situait dans une zone grise et qu'elle basculait d'un côté ou de l'autre de la légalité selon qu'elle était ou non contraire à l'intérêt général. La référence à cette dimension collective, combinée avec l'évolution de la notion d'abus de droit telle qu'évoquée par Pierre-Alain Muet, ferait rentrer l'optimisation fiscale excessive dans la dynamique de l'évitement fiscal au même titre que la fraude.

Quoi qu'il en soit, qualifier ces pratiques, certes légales, d'optimisation ne me paraît pas une bonne chose, car c'est un euphémisme pousse-au-crime. Par ailleurs, articuler le débat autour de la notion de légalité est improductif car, si l'on sait parfaitement où s'arrête la loi, on sait aussi que certains acteurs en ont une interprétation extensive, qui couvre un recours excessif à des mécanismes licites, lequel ne sera pas pénalement sanctionné alors qu'il s'agit de pratiques contraires à l'intérêt général.

D'où les discussions qui ont animé notre groupe de travail et l'idée que, avec les parlementaires et des experts en fiscalité, nous poursuivions le travail engagé lors des assises de la fiscalité, qui n'ont pas produit tous les fruits que nous en attendions, de manière à simplifier notre système fiscal.

Cela étant, ce n'est pas la complexité qui favorise l'évitement fiscal. L'évitement, en effet, est un phénomène mondial, et les systèmes fiscaux sont complexes dans tous les pays, y compris au Danemark. En outre, l'idée selon laquelle c'est la trop forte pression fiscale qui entraîne l'évitement est également fausse : on paie plus d'impôts au Danemark, mais l'évitement fiscal y est pourtant plus faible qu'en France.

La véritable question est celle d'un système qui soit plus juste et mieux accepté, notamment parce que les compensations reçues en contrepartie de l'impôt sont plus visibles. D'où l'idée d'une pédagogie de l'impôt qui, contrairement à ce que pense Aurélie Filippetti, a tout son sens lorsqu'elle s'adresse aux fraudeurs.

En tout cas, un vrai travail de pédagogie s'impose au regard de la manière de plus en plus décomplexée dont on considère l'évitement fiscal. L'administration fiscale nous l'a confirmé, le phénomène touche aujourd'hui des TPE, des PME et des particuliers qui, jusqu'à présent, n'avaient aucun moyen de faire de l'évasion fiscale. Je vous invite à faire l'essai : ouvrir un compte offshore ne prend que cinq minutes sur internet et ne coûte rien. Il est donc essentiel, si l'on veut préserver la cohésion sociale de rétablir la légitimité de l'impôt.

Un mot sur le rôle des IRP qui est, à nos yeux, fondamental pour améliorer la transparence et empêcher que toutes les entreprises, les vertueuses et les autres, soient mises dans le même sac – d'autant que le Conseil constitutionnel a censuré le reporting public pays par pays : impliquer les IRP dans la stratégie fiscale des entreprises qu'il s'agisse du reporting fourni à l'administration fiscale, des rescrits fiscaux, des patent boxes et autres outils utilisés par les directeurs financiers, permettrait un débat sain, qui resterait confidentiel au sein de l'entreprise mais favoriserait les comportements responsables.

Il en va de même pour la RSE, même s'il est difficile aujourd'hui de déterminer ce qu'est un comportement fiscalement responsable. Il n'empêche que 30 % des grandes entreprises sont contrôlées chaque année par l'administration fiscale et que, même si les sanctions et les pénalités sont couvertes par le secret fiscal, on a les moyens d'aider les entreprises à mieux contribuer par l'impôt au bien-être collectif, ce qui est bien une responsabilité sociale.

Pour ce qui concerne la commission des infractions fiscales, elle devait publier un rapport chaque année ; elle l'a fait en 2014, mais plus depuis. Il existe aujourd'hui des moyens de poursuivre la fraude fiscale mais, aux dires mêmes des fonctionnaires de l'administration fiscale, il faut compter avec la frilosité de certains contrôleurs qui hésitent à transmettre certains dossiers à cette commission, pratiquant de ce fait une forme d'autocensure. Il n'en reste pas moins que l'article 40 du code de procédure pénale, le chef de blanchiment de fraude fiscale ou encore les mesures de protection des lanceurs d'alerte devraient permettre de renforcer les sanctions et de contourner le « verrou de Bercy ».

Quant à la définition d'un établissement stable, c'est, à mon avis, typiquement une question qui doit être traitée au niveau européen, mais également dans le cadre d'une COP fiscale.

L'OCDE ne peut qu'émettre des recommandations dans le cadre du projet BEPS. Une COP fiscale, en revanche, outre qu'elle serait une formidable caisse de résonance en termes de communication, ce qui n'est pas négligeable si l'on veut redonner de la légitimité à l'impôt auprès de nos opinions publiques, aurait l'avantage d'offrir un cadre à des négociations multilatérales sur des sujets comme les patent boxes ou les registres. Le problème, c'est qu'aujourd'hui les Nations unies ne sont guère outillées pour cela. Mais l'on pourrait imaginer que l'OCDE puisse assurer le secrétariat de cette COP, dans laquelle il faudrait impliquer les pays en développement, très en retard dans ce domaine.

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