Intervention de Bruno Foucher

Réunion du 25 janvier 2017 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Bruno Foucher, président du conseil d'administration de l'Institut français :

La question posée par M. Guibal est une question récurrente à laquelle je ne peux pas répondre. Elle ouvre un débat sans fin.

Deux philosophies s'expriment en matière de culture : les tenants de la culture patrimoniale, qui est très forte en France, et ceux de la culture contemporaine. Les deux coexistent très bien. L'Institut français n'a pas la prétention de porter toute la culture française. Certains grands musées en France développent leur propre politique internationale, sans avoir besoin de s'associer à l'Institut français. Nous entretenons néanmoins avec eux des relations très régulières.

C'est le mariage de ces deux formes d'action qui nous permet d'assurer le rayonnement de la culture française à l'étranger – ce qu'elle a été dans l'histoire, ce qu'elle est aujourd'hui et ce qu'elle sera demain. Certains pays sont très sensibles à la culture patrimoniale quand d'autres sont très demandeurs de création contemporaine.

Je me suis rendu il y a deux mois en Chine dans une ville dont le nombre d'habitants est passé de 30 000 il y a trente ans à 1,3 million aujourd'hui. Cette ville possède un musée d'art contemporain dont les 70 000 mètres carrés sont complètement vides. Le propriétaire du musée souhaite faire appel à la création contemporaine pour remplir cet espace. Le public chinois est très demandeur de ce type de culture.

Le mariage de la culture patrimoniale – le Louvre Abu Dhabi sera une très belle opération – et de la culture contemporaine – qui présente toutes les scènes, les créations, les nouveaux talents – se fait sans aucune difficulté. L'une et l'autre trouvent facilement leurs publics.

Nous sommes très dépendants des subventions versées par les ministères – elles représentent 75 % de notre budget. Le montant des subventions allouées par le ministère des affaires étrangères est dix-huit fois plus élevé que celui des subventions du ministère de la culture qui exerce pourtant la co-tutelle depuis juillet dernier. Nous avons lancé un appel à ce dernier pour qu'il rééquilibre sa participation. Mais nous souhaitons que ce rééquilibrage s'opère par le haut : que le ministère augmente sa participation sans que le Quai d'Orsay en profite pour diminuer la sienne. Je ne vois pas l'horizon se dégager pour l'instant. Le ministère de la culture, avec lequel nous travaillons très bien au quotidien, affirme que le ministère des affaires étrangères restera la tutelle principale, ce qui signifie qu'il ne faut pas espérer un rééquilibrage dans l'immédiat. Nous allons nous employer à le convaincre de s'intéresser aux programmes qu'il finance mais aussi à nos coûts de structure. Il est normal que les coûts de structure, qui sont importants malgré nos efforts en faveur de leur réduction, soient partagés entre les tutelles.

Sur la langue française, le sujet qui a suscité le plus grand nombre de questions de votre part, je ne partage pas la vision dramatique de l'état du français dans le monde. Le français reste la deuxième langue enseignée, la troisième langue pour les affaires et la quatrième dans le numérique. Les perspectives de croissance sont importantes.

Il ne faut toutefois pas s'endormir sur ces chiffres. Il ne suffit pas de compter un grand nombre de francophones, il faut de vrais francophones qui parlent véritablement le français. Je fais le même constat que vous au Maghreb mais aussi en Europe centrale et orientale : le français est moins enseigné.

La Chine compte 220 000 francophones pour 1,4 milliard d'habitants. C'est très peu. L'un des verrous au développement de l'apprentissage du français tient à l'impossibilité de présenter l'examen d'entrée à l'université dans une autre langue que l'anglais. Les étudiants chinois abandonnent le français au moment de l'examen au profit de l'anglais pour être sûrs d'intégrer la meilleure université.

Le développement de la langue française repose sur trois piliers. Le premier d'entre eux est la coopération. Le coeur de cible, ce sont les 115 millions d'apprenants et les 900 000 professeurs. Notre intérêt est d'inciter les pays dans lesquels on apprend le français à consacrer des crédits à la politique éducative. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 30 novembre dernier ouvre des perspectives en permettant à l'Agence française de développement (AFD) de consacrer plus de moyens à l'enseignement du français, faisant écho au discours du Président de la République à Madagascar lors du sommet de la francophonie qui évoquait la formation des 180 000 professeurs dont l'Afrique a besoin pour continuer à y enseigner un français de qualité. Dès que nous avons eu connaissance de ce message présidentiel, nous avons pris l'attache de l'AFD pour voir comment relancer la campagne d'enseignement du français en Afrique ou ailleurs, grâce aux nouveaux crédits. Le sujet est à l'étude, j'espère qu'il débouchera assez rapidement sur des mesures concrètes qui permettront de consolider l'enseignement du français dans des pays qui ont une longue tradition francophone.

Deuxième pilier, l'Institut français, qui enseigne le français à 360 000 apprenants. Les Instituts connaissent des difficultés financières car ils dépendent du succès des cours qu'ils dispensent. Compte tenu de la réduction constante des subventions, ces difficultés affectent la modernisation de leur appareil pédagogique ou son développement. L'Institut apporte son aide à l'ensemble du réseau au travers de plateformes numériques qui offrent aux enseignants du matériel pédagogique sur lequel ils peuvent s'appuyer.

Troisième pilier, les Alliances françaises qui sont des associations de droit local. Ces structures légères connaissent plus ou moins de succès selon les pays. À Cuba et en Amérique latine, elles sont très performantes. Dans certains pays dans lesquels les alliances aimeraient se développer, les associations de droit local subventionnées ou assistées par des pays étrangers sont moins bien accueillies ; je pense au Moyen-Orient et aux pays de l'Est. Les autorités de ces pays se méfient du pouvoir de pénétration et d'influence étrangère de ces associations. Le choix entre les deux structures est lié à des considérations budgétaires : les Instituts sont plus lourds à déployer – il faut une politique immobilière – mais ils sont à la main de l'ambassade ; les alliances sont plus faciles à multiplier mais avec le risque de s'exposer politiquement vis-à-vis des pays hôtes. C'est le cas en Égypte. Ce n'est pas neutre de choisir de déconcentrer l'Institut français ou de créer une Alliance française.

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