Intervention de Pouria Amirshahi

Séance en hémicycle du 7 février 2017 à 15h00
Sécurité publique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPouria Amirshahi :

Mesdames et messieurs les députés, mes chers collègues, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, l’Histoire retiendra peut-être – sauf si nous en décidons autrement – qu’au cours de ses quinze derniers jours, l’actuelle législature se sera conclue par l’examen d’un énième texte sécuritaire, poursuivant ainsi une triste dérive théorisée principalement par Nicolas Sarkozy en 2002, lors de son arrivée au ministère de l’intérieur.

Si je demande le rejet de votre projet de loi, c’est parce qu’il est déséquilibré, une fois de plus ; c’est parce qu’il tente de répondre d’une mauvaise façon au mal-être des policiers dans l’exercice de leur fonction, sans tenir compte du malaise grandissant à l’égard des policiers chez de nombreux citoyens. Plutôt que de permettre un débat neuf et moderne sur la police, qui réconcilie et redonne confiance – ce qui est d’autant plus nécessaire dans ces temps difficiles où nous devrions être plus unis que jamais – votre projet de loi, en renforçant les possibilités de tir à vue, risque par là même de causer des morts supplémentaires. En alourdissant les peines encourues pour outrage et rébellion, elle risque d’aggraver les fractures et d’aviver les plaies.

Le Défenseur des droits lui-même a exprimé cette inquiétude et je ne suis pas le seul dans cet hémicycle à ressentir ces doutes et à m’inquiéter de la portée de ce texte, ne serait-ce qu’à cause des dispositions que je viens d’ évoquer.

Disons-le clairement : les violences policières, qu’elles aient lieu lors de manifestations ou lors d’interpellations, doivent cesser. C’est une condition de la confiance, que vous avez vous-même appelée de vos voeux, monsieur le ministre. Or votre projet de loi ne permettra pas d’y mettre fin, au contraire.

Mon histoire personnelle a été marquée par l’assassinat de Malik Oussekine le 6 décembre 1986. Je me souviendrai longtemps aussi du comportement qui fut celui de certains agents des forces de l’ordre lors des manifestations qui ont jalonné mon parcours militant. Il m’a fallu, à chaque fois, faire un effort sur moi-même – j’étais jeune alors – pour faire la part des choses, trier le bon grain de l’ivraie et continuer à croire dans les vertus de la police républicaine, dans les vertus républicaines de nos agents de sûreté publique.

J’ai fait cet effort parce que, comme beaucoup, je crois – je sais – que les policiers ne sont pas tous, loin de là, responsables des mauvais comportements de certains de leurs collègues. Le problème, en effet, ne tient pas seulement au fait que certains policiers ne respectent pas les règles ; il tient surtout au fait que le système lui-même est mauvais en ce qu’il permet à des policiers de s’affranchir du droit commun.

Bien sûr, le métier de policier est difficile : on l’imagine et on le voit bien, surtout dans ces temps où vous leur demandez tant, et toujours plus. L’état d’urgence, en vigueur depuis novembre 2015, épuise les forces de police : fatigue, heures supplémentaires, impossibilité de prendre des jours de congé sans être rappelé, congés pour maladies rares… En outre l’interminable plan Vigipirate, peu efficace de l’avis de nombreux spécialistes en matière de sécurité, oblige les forces de l’ordre à rester debout pendant de nombreuses heures : les épuisements professionnels sont de plus en plus nombreux depuis un an – vous disposez des chiffres qui l’attestent, monsieur le ministre.

Deux tendances se conjuguent pour alourdir la tâche des policiers : la focalisation du débat politique sur les questions d’ordre et de sécurité et une situation économique difficile pour les catégories les moins qualifiées de la fonction publique, qui multiplient les heures supplémentaires mal payées, voire pas payées du tout. Mais rien de tout cela ne justifie les discriminations, les violences, les viols ni les meurtres, quand bien même ils ne sont le fait que d’une minorité irresponsable.

Car il est temps de mettre des mots sur toutes les violences subies, que ce soit lors de manifestations citoyennes ou lors d’interpellations opérées dans certains quartiers populaires où la ségrégation sociale se manifeste par le racisme. J’ai également en tête la répression de certains mouvements sociaux ou manifestations syndicales. Au printemps dernier, de simples citoyens, des militants ou des journalistes ont été brutalisés jusqu’à perdre un oeil, voire la vie – je pense à Rémi Fraisse.

Je pourrais évoquer aussi l’évacuation brutale des migrants du nord-est de Paris. J’ai encore en tête l’interpellation mortelle d’Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise ou le viol du jeune Théo à Aulnay-sous-bois ce week-end. Ces drames ont un point commun : ils donnent l’impression que les gendarmes et les policiers ont un sentiment d’impunité, sans lequel ils respecteraient le droit et les procédures d’interpellation et d’intervention, telles qu’ils les ont apprises au cours de leur formation – à commencer par l’exigence de politesse à l’égard des citoyens et de proportionnalité absolue de leurs actes au regard d’un danger avéré.

Nos concitoyens, dont la majorité estime la police républicaine, ont le sentiment que les violences policières sont plus nombreuses et plus intenses qu’avant. Je veux le dire, ici, à tous les républicains sincères : il n’y a pas de bonnes et de mauvaises violences policières. Toutes sont condamnables car toutes entament, parfois de façon irréversible, la confiance et le respect qui doit prévaloir entre la police et les citoyens.

C’est une erreur coupable de réduire les crimes et les délits commis par des agents de la sûreté publique à de banals faits divers, de relativiser les critiques suscitées par les mauvais comportements de la police et de résumer la colère qui en découle à des violences illégitimes. C’est une faute car lorsque la police dérape, c’est notre démocratie qui vacille, c’est l’autorité de l’État qui faiblit, c’est l’amour de la République qui recule.

L’Organisation des Nations Unies elle-même nous met en garde. Son comité contre la torture a ainsi rendu publique, le vendredi 13 mai 2016, à Genève, une série d’observations qui passent au crible la multiplication des perquisitions, l’accueil des migrants et les décès liés aux violences policières.

Ce comité appelle la France à protéger ses citoyens victimes d’une augmentation de la violence et des actes criminels, en particulier depuis les dernières attaques terroristes, frappant notamment les Roms, les musulmans, les Juifs et les migrants. Longtemps admirée par les autres démocraties pour ses capacités de gestion des foules, notamment depuis 1968, la police française – au sens large du terme – a progressivement, et sans que cela soit dit de manière explicite, changé de doctrine et de pratiques au point d’être devenue l’une des plus répressives, voire agressives, du monde démocratique.

Certes, toutes les polices sont conduites à user de la contrainte, voire de la force ; toutes font face à des résistances, voire à des agressions. C’est aussi le cas en Allemagne, par exemple, mais il y a une différence majeure entre la police de nos voisins d’outre-Rhin et notre police nationale : on n’y menotte pas les manifestants, on ne frappe pas les citoyens, on ne les met pas à terre, on ne les injurie pas ; on n’use pas de la matraque dans le dos, pas plus qu’on ne jette des gaz de façon indiscriminée.

En Allemagne c’est la stratégie de la désescalade qui est en vigueur, c’est-à-dire une réduction de la conflictualité par la communication et la coopération avec les protestataires. Elle a été édictée par une décision rendue en 1985 par le tribunal constitutionnel, la décision « Bockdorf ». Cette culture provient du travail social et elle a fait ses preuves. Retenez bien cette comparaison car elle sera importante pour la suite de nos réflexions dans les mois et les années qui viennent, alors qu’elle a été totalement occultée dans notre pays ces dernières années.

En France, où l’on est moins dans la gestion des pratiques sociales et plus dans l’édiction des règles, Pierre Joxe, alors ministre de l’intérieur, avait souhaité à la même époque affirmer les missions républicaines de la police. C’est pour cette raison que le code de déontologie de la police nationale du 18 mars 1986 stipulait, dès son article 1er , que la police nationale concourait à la garantie des libertés individuelles et, dans son article 2, qu’elle « s’acquitte de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois ». Les contrôles d’identité, les fouilles au corps ou de véhicule et autres interpellations devaient rester exceptionnels.

Malheureusement, contrairement aux Allemands, nous n’avons pas su tenir une ligne intelligente, pondérée ni même tempérée ; c’est au contraire un glissement sécuritaire et son corollaire, les restrictions des libertés, qui ont marqué ces quinze dernières années, pour finalement recevoir une traduction dans le nouveau code de déontologie, voulu par Nicolas Sarkozy puis par Manuel Valls et entré en vigueur en 2014.

Dans ce nouveau code la référence aux libertés individuelles souhaitée par Pierre Joxe a purement et simplement été supprimée. L’action du fonctionnaire procède même désormais d’une transformation sémantique lourde de conséquences, à laquelle je vous demande d’être attentifs : avant 2014, il devait agir « dans le respect […] des lois » ; depuis 2014, il lui est demandé seulement d’« assurer […] le respect des lois ». L’inversion des termes de la mission des policiers et des gendarmes dit tout de la fuite en avant sécuritaire de ces quinze dernières années : nous sommes passés des gardiens de la paix aux forces de l’ordre.

Le code de 2014 a été précédé de tant de lois et suivi de tant d’autres textes, chaque fois plus répressifs – vous l’avez rappelé vous-même, monsieur le ministre –, sans que soit jamais renforcé le contrôle des agissements de certains policiers, cadres ou agents de terrain. Chaque loi sécuritaire est systématiquement et rapidement complétée par une autre, dans une vertigineuse course à l’abîme de notre État de droit. Vous nous proposez aujourd’hui de voter une nouvelle loi sécuritaire, une de plus, sans que les précédentes aient vraiment été évaluées, quand elles n’ont pas fait la preuve manifeste de leur inefficacité.

Vous nous demandez de légiférer sous le coup de l’émotion, à la suite des graves incidents de Viry-Châtillon, que nous avons tous ici condamnés, et vous le faites en pleine campagne présidentielle, à un moment où, on le constate déjà, toutes les démagogies se donnent libre cours, certains n’hésitant pas à hystériser le débat public.

Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte d’hypertension cumulant la grande fatigue des policiers, une médiatisation à outrance des angoisses et des peurs mais aussi l’humiliation vécue par de nombreux jeunes de France, brutalisés par le racisme. Dans un contexte aussi explosif, mes chers collègues, proposer un tel texte, en procédure accélérée qui plus est, est irresponsable et totalement inefficace. Qui peut affirmer qu’avec cette loi les choses se seraient passées différemment à Viry-Châtillon ? Le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, lui-même reconnaît que les textes actuels ouvrent déjà le droit à la légitime défense. En réalité, avec ce projet de loi, vous ne répondez qu’aux revendications les plus dures entendues ces dernières semaines.

D’autant que – c’est un comble ! – vous nous le proposez alors que la France est toujours sous le régime de l’état d’urgence, qui accorde aux forces de l’ordre des pouvoirs exorbitants du droit commun. Vous continuez ainsi à banaliser le recours à la force et à faire entrer dans le droit commun des dispositions qui devraient pourtant rester exceptionnelles, si tant est qu’elles soient réellement nécessaires.

Enfin, et c’est sans doute là le plus inquiétant, cette loi renforcera le sentiment d’impunité qui a malheureusement été inoculé chez certains à force de lois et de discours sécuritaires. Cette impunité a conduit les plus fragiles des agents à se croire autorisés à tirer à vue, à tuer, à étouffer, à frapper, à rudoyer, à violer, à humilier. C’est d’un autre projet de loi que nous devrions débattre aujourd’hui : un projet de loi de lutte contre ces agissements, contre les mauvais comportements, et renforçant la formation des policiers – ils le demandent eux-mêmes – et les procédures de contrôle ainsi que les droits des citoyens face à la police.

Pour comprendre mon inquiétude et celle de nombre de citoyens et d’institutions démocratiques, il faut revenir sur la folle régression de ces dernières années, dont la police n’a été qu’un instrument parmi d’autres. Nous assistons en effet depuis 2002 à une surenchère répressive qui a permis, d’un côté d’alourdir démesurément l’arsenal répressif et de l’autre d’accroître les pouvoirs de la police, au détriment des libertés individuelles et parfois des libertés fondamentales.

Démarrée sous Nicolas Sarkozy, cette surenchère s’appuie sur plusieurs piliers, et tout d’abord sur l’affaiblissement des droits de l’accusé et l’alourdissement de l’arsenal répressif. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 n’ont cessé de créer de nouveaux délits, d’aggraver les peines existantes et de réformer à intervalles réguliers la procédure pénale : loi Perben du 9 septembre 2002 et loi Perben II du 9 mars 2004, loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, et j’en passe, jusqu’aux plus récentes lois de surveillance et de réforme de la procédure pénale qui, sous couvert d’une lutte contre le terrorisme par ailleurs nécessaire, ont parachevé les piliers de l’État sécuritaire : surveiller et punir.

Elle s’appuie aussi sur le renforcement des pouvoirs d’investigation de la police : une tendance lancée par M. Sarkozy en 2003 avec la loi pour la sécurité intérieure, qui a instauré la possibilité d’inscrire dans les fichiers de police des informations nominatives sur les personnes mises en cause dans des affaires judiciaires, donné la possibilité aux officiers de police judiciaire d’accéder directement à toutes les données informatiques qu’ils désirent par simple demande au fournisseur d’accès internet et donné de nouveaux pouvoirs aux forces de l’ordre, en matière de fouille des véhicules notamment. Cette tendance fut confirmée par la loi Perben II et la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ».

Ces mêmes lois ont renforcé les dispositifs coercitifs. Ainsi la loi Perben permet de placer sous surveillance électronique mobile les personnes mises en examen et non plus seulement celles définitivement condamnées. La loi Perben II rend possible la prolongation des gardes à vue jusqu’à quatre-vingt-seize heures en matière de criminalité en bande organisée. La loi du 10 mars 2010, qui vise à « amoindrir le risque de récidive criminelle », étend les possibilités de placement sous surveillance de sûreté et de surveillance judiciaire. La LOPPSI 2 étend les dispositifs de surveillance des récidivistes, notamment le port du bracelet électronique, et ouvre la possibilité d’imposer par décision administrative le port dudit bracelet aux étrangers en voie d’expulsion.

Les gouvernements de Manuel Valls se hâteront malheureusement de parachever cet édifice par une série de mesures que je juge liberticides et qui ont été inscrites dans la loi souvent sous couvert de la lutte contre le terrorisme.

Ainsi, la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015, qui a pour objectif d’ « encadrer les activités existantes du renseignement et lutter contre le terrorisme », a en réalité un périmètre bien plus large : elle entérine des pratiques jusque-là illégales ; elle élargit le champ d’action du renseignement ; elle concentre le pouvoir de décision au bénéfice du Premier ministre, le tout sans contrôle réel et sérieux et au travers d’une collecte généralisée des données internet collectées par des algorithmes dont la puissance dépasse les êtres humains chargés de ce contrôle. De telles mesures ne manquent pas d’inquiéter.

À cela s’ajoute la loi du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, qui prévoit que « peut être autorisée, aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation […] la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger ». J’ai déjà eu l’occasion de dire combien ces termes étaient flous et dangereux.

Enfin, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement fait entrer dans le droit commun les dispositions, pourtant graves et exceptionnelles, spécifiques à l’état d’urgence.

Elle permet ainsi aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle ou d’une vérification d’identité, de retenir une personne alors même qu’elle a justifié de son identité et sans même qu’elle soit liée à des activités suspectes avérées ni concernée par une procédure judiciaire, dès lors que son seul « comportement » apparaît suspect au policier. Voilà un coup porté comme rarement à la présomption d’innocence, laissant par ailleurs craindre des retenues arbitraires – jusqu’à quatre heures sans avocat ! – de la part des forces de l’ordre chargées du contrôle. La même loi crée un nouveau cas d’irresponsabilité pénale applicable aux policiers et aux gendarmes ayant fait usage de leur arme.

Cette surenchère n’est pas raisonnable, dans le sens qu’elle n’est pas fondée sur la raison, et elle n’est pas efficace. Une loi en amène une autre qui réduit l’espace de nos libertés et augmente le champ d’action de la police. Pas de caricature : il ne s’agit évidemment pas de critiquer le renforcement en soi des prérogatives de l’autorité répressive mais de questionner son usage lorsque celui-ci n’apparaît ni nécessaire, ni proportionné, ni soumis à un contrôle juridictionnel effectif, et de le mettre en regard avec la faiblesse de l’action préventive.

Examinons votre projet de loi de plus près.

Le chapitre Ier fixe un cadre commun d’usage des armes par les policiers et les gendarmes ainsi que par les douaniers et par les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues au titre d’opérations telles que l’opération Sentinelle ou pour la protection d’installations militaires. Le projet de loi prévoit ainsi que les policiers pourront faire usage de leur arme dans quatre cas supplémentaires : en cas de menace ou d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des forces de l’ordre ou d’autrui ; après deux sommations, pour défendre les postes ou les personnes sous leur responsabilité ; après deux sommations, pour contraindre une personne risquant de porter atteinte à leur vie ou leur intégrité physique ou à celle des tiers à s’arrêter ; enfin pour immobiliser un véhicule dont le conducteur risque de porter atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles de tiers.

Rappelons qu’en juin dernier nous avions déjà modifié la législation dans ce sens en inscrivant dans le code pénal un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour les policiers et les gendarmes. Mais sa reconnaissance est strictement encadrée par des conditions issues d’un important débat parlementaire qui a modifié de fond en comble la disposition initiale. Elle n’est en effet admise qu’en cas d’ « usage absolument nécessaire et strictement proportionné [de son] arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme »

Le chapitre II du présent projet de loi prévoit deux mesures visant à protéger des risques de menaces ou de représailles, d’une part les agents dressant des actes de procédure en matière de police judiciaire, et, d’autre part les signataires de décisions administratives fondées sur des motifs en lien avec le terrorisme. Ces mesures, trop floues et mal encadrées, ne permettront pas de protéger des policiers menacés chez eux alors que c’est cela que nous recherchons. En revanche, elles représentent un danger pour le droit de la défense, comme l’indique lui-même le Défenseur des droits.

Parmi les diverses dispositions que comprend le chapitre III, je m’arrêterai en particulier sur la répression des outrages aux personnes dépositaires de l’autorité publique.

Le projet de loi double les peines encourues pour outrage. Permettez-moi de rappeler que l’augmentation des outrages envers les dépositaires de l’autorité publique n’est qu’un symptôme du fossé qui se creuse chaque jour un peu plus entre les citoyens et les forces de l’ordre, d’autant que les personnes poursuivies sont souvent impuissantes à apporter la preuve contraire devant les tribunaux, si bien que 99,5 % d’entre elles sont condamnées. Augmenter les peines encourues ne servirait qu’à aggraver cette fracture, au risque de la rendre un jour irréparable. Ne nous leurrons pas : le durcissement des peines dans ce domaine aura pour conséquence de masquer une autre réalité, celle des brutalités non proportionnées et illégitimes auxquelles se livrent certains policiers non vertueux.

Je vous informe d’ailleurs, monsieur le ministre, que le délit d’outrage a déjà été supprimé de la législation de plusieurs États où il est considéré comme une atteinte aux droits des citoyens et un facteur de tension plutôt que d’apaisement : c’est le cas au Royaume-Uni, en Italie, aux États-Unis, en Argentine, au Pérou et au Paraguay.

Citons enfin d’autres mesures de votre projet de loi : l’armement des agents exerçant une activité privée de protection de l’intégrité physique des personnes ; les prérogatives conférées à certains personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire pour le contrôle de personnes autres que les détenus ; l’expérimentation du cumul d’une mesure de placement à l’aide sociale à l’enfance avec une mesure d’action éducative en milieu ouvert – si je devais retenir une mesure positive dans votre projet, ce serait celle-là.

Monsieur le ministre, je ne me résoudrai pas au fétichisme des armes ni au culte de l’uniforme. Je n’accepte pas non plus que, plutôt que de diriger la police, vous ne fassiez qu’accompagner ses revendications corporatistes les moins légitimes au regard du principe fondamental d’équilibre des pouvoirs, que nous avons hérité de notre grande révolution. En acceptant de faire du ministre de l’intérieur « le premier flic de France », selon l’expression de Nicolas Sarkozy, reprise par ses successeurs place Beauveau, le ministre de l’intérieur ne s’assume plus comme le chef de son administration, capable de recadrer, de réformer, de sanctionner, mais comme le simple porte-parole de ses agents.

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