Intervention de Jean-Pierre Blazy

Séance en hémicycle du 7 février 2017 à 15h00
Sécurité publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Blazy :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons est souhaité de manière consensuelle par les policiers. Il doit permettre de clarifier l’usage des armes, particulièrement des armes létales. Pour l’essentiel, je suis d’accord avec les dispositions qu’il contient. Mon intervention portera sur les questions que pose son application. La fixation d’un cadre commun d’usage des armes ne saurait en effet se faire sans une transformation profonde de la formation dispensée aux forces de sécurité. C’est l’une des recommandations du rapport de Mme Hélène Cazaux-Charles, et une exigence de la Cour européenne des droits de l’homme, en application des dispositions des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, sans cesse confirmée par la jurisprudence de cette dernière.

Le Gouvernement, monsieur le ministre, doit donc s’interroger rapidement sur les modalités de modification des modules de formation initiale, en adéquation avec le nouveau cadre du régime unique qui va être créé. Il convient également de repenser la formation continue, dans le cadre de laquelle des milliers de fonctionnaires, déjà en poste, devront réapprendre les règles qui entourent les possibilités de défense face aux agressions. De même, l’entraînement au tir, qui est aujourd’hui trop peu fréquent, devra être intensifié pour permettre aux policiers et aux gendarmes de maintenir un niveau de préparation optimal tout au long de leur carrière. Nous devons également nous saisir de l’occasion offerte par ce projet de loi pour mettre en place une formation juridique à destination des forces de l’ordre, en concertation avec les magistrats.

La réussite de la mise en oeuvre de ce projet de loi est conditionnée par l’introduction de modules de mise en situation dans la formation commune entre policiers et gendarmes. C’est le sens de la recommandation no 8 du rapport de Mme Cazaux-Charles, qui propose de confier à l’Inspection générale de la police nationale – IGPN – et à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale – IGGN – un audit destiné à évaluer la formation des policiers et gendarmes en matière d’usage des armes, ou encore de mettre en place une doctrine de formation cohérente commune aux deux corps principaux.

En tant que représentant de cette assemblée auprès de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice – INHESJ –, je crois également que cet institut devrait se voir confier la conduite d’une étude qualitative des violences dont sont victimes les forces de sécurité, pour que l’évolution législative se fonde sur des analyses précises de la situation sur le terrain – c’est la recommandation no 15 du rapport que j’ai déjà cité.

Mieux protéger les forces de l’ordre, ce n’est donc pas uniquement poursuivre les évolutions législatives. C’est aussi réfléchir à l’exercice professionnel des forces de sécurité dans leur globalité.

La généralisation ou non des caméras-piétons est également une des conditions de la réussite de la mise en oeuvre du texte que nous examinons, car celles-ci peuvent être un élément de preuve supplémentaire et, en même temps, un outil d’apaisement dans les relations entre la police et la population. Les forces de police peuvent, aux termes de la loi du 3 juin 2016, en être équipées, mais ce n’est pas obligatoire. Les forces de l’ordre et les syndicats, qui étaient initialement réticents à leur utilisation, les voient désormais comme un dispositif efficace. Il faut pourtant aller plus loin que la simple autorisation prévue par la loi du 3 juin 2016 pour répondre au besoin de protection juridique qu’elles constituent pour les fonctionnaires comme pour les personnes interpellées. L’actualité aurait pu être différente si les policiers d’Aulnay-sous-Bois avaient été équipés de ce dispositif.

Je suggère que le port des caméras-piétons devienne immédiatement obligatoire dans les zones de sécurité prioritaire et dans les quartiers sensibles. J’avais déjà formulé, monsieur le ministre, cette recommandation dans un rapport d’information sur la lutte contre l’insécurité sur tout le territoire, déposé en 2014. De même, nous devons répondre aux questions suivantes : dans quelles circonstances l’enregistrement de la caméra doit-il débuter ? Dès le début du service, avant une intervention ? Surtout, qui a autorité sur la mise en marche de la caméra ? L’agent lui-même ? La hiérarchie ? Nous devons rapidement apporter des réponses à ces questions, comme nous avons commencé à le faire dans la loi « égalité et citoyenneté ». Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous établir un état des lieux de l’expérimentation des caméras-piétons, dont la généralisation pourrait s’avérer une absolue nécessité dans le cadre du présent projet de loi.

En 2012, nous avons créé les zones de sécurité prioritaire, pour lutter contre la délinquance sur les territoires où elle était particulièrement forte. Depuis deux ans, le large consensus sur la nécessaire lutte contre le terrorisme a pu laisser croire, tant aux forces de l’ordre qu’à une partie de nos concitoyens, que la sécurité du quotidien n’était plus la priorité. Je regrette qu’on ne soit pas parvenu à faire des ZSP les laboratoires qu’elles auraient pu être. Je regrette qu’on n’ait pas démocratisé la production de sécurité. Enfin, je regrette que les rapports de la police avec les Français ne se soient pas améliorés. Il existe pourtant des solutions. De nombreux rapports remis au Gouvernement, mais aussi, plus récemment, l’étude publiée en novembre 2016 par Terra nova, formulent des recommandations pertinentes et applicables.

Le texte que nous allons examiner est nécessaire, mais il ne sera pas suffisant pour répondre tant au malaise des forces de l’ordre qu’à la demande de protection au quotidien des Français. Il faut adopter une approche plus généraliste du métier de policier, fondée sur un recentrage des fonctionnaires sur le coeur de métier, et dont le lien avec la population sera une condition essentielle d’une production partenariale de sécurité avec les collectivités locales, dans une approche territoriale indispensable. À défaut d’un consensus républicain sur le plan politique, il y aurait là, j’en suis sûr, la possibilité de trouver un consensus républicain tant avec les citoyens qu’avec les forces de sécurité.

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