Intervention de Camille de Rocca Serra

Séance en hémicycle du 9 février 2017 à 9h30
Ratification d'ordonnances relatives à la corse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCamille de Rocca Serra :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, cher François, chers collègues, ne nous trompons pas d’objectif ! Nous n’avons pas aujourd’hui à nous prononcer sur le principe de l’instauration d’une collectivité unique en Corse, par substitution à la collectivité territoriale de Corse et aux deux conseils généraux, mais sur les modalités de sa création. Cette mise au point, pourtant évidente, s’impose, tant la communication de ceux qui soutiennent les ordonnances est, il faut le dire, spécieuse. Elle tente en effet de nous discréditer en nous faisant passer pour des girouettes qui changeraient d’avis sur le principe de la collectivité unique ! Or j’ai démontré mon engagement à ce sujet à bien des occasions, notamment lors du référendum de 2003, où, face à une opinion majoritairement contre la collectivité unique, face à ma famille politique profondément divisée sur la question – tous les camps l’étaient d’ailleurs –, j’ai fait pleinement campagne pour le oui.

Depuis, nous avons effectivement perdu quatorze ans ; que chaque mouvement politique assume sa part de responsabilité ! Maintenant, devons-nous pour autant tout accepter sans espérer ni exiger le meilleur pour la Corse ? La réponse est non. Et si manoeuvre et revirement il y a eu, ce n’est pas de notre côté qu’il faut les chercher. Là, monsieur le ministre, c’est le « commissaire politique » – pour reprendre vos propos prononcés au Sénat, par lesquels vous me prêtez une influence disproportionnée – qui vous répond. La manoeuvre dilatoire autour des ordonnances réside dans le projet d’amendement avorté des sénateurs Castelli et Mézard au sein du projet de loi de ratification. Cet amendement ne reprenait que partiellement la proposition de loi sur le désordre foncier et dénaturait son équilibre d’ensemble, le seul but de la manoeuvre étant de contraindre les groupes de la droite et du centre au Parlement à voter pour les ordonnances. On a voulu nous imposer un vote bloqué, une sorte de 49.3, que nous ne pouvions accepter tant l’initiative était tendancieuse et dangereuse.

Cela dit, monsieur le ministre, cet épisode pardonné, je me dois de vous remercier publiquement pour le soutien du Gouvernement – le vôtre – dans le cheminement de la proposition de loi sur la résorption du désordre foncier que j’ai eu l’honneur de porter avec mes collègues parlementaires insulaires et François Pupponi. Cette initiative parlementaire a trouvé un écho bienveillant auprès de l’exécutif – fait assez rare pour mériter d’être souligné. J’en profite pour me féliciter que l’Assemblée nationale, le 8 décembre, et le Sénat, le 8 février – hier –, aient adopté massivement le texte qui constitue une réelle avancée pour la Corse et tous les Corses. Nous devrions mettre prochainement, dans cet hémicycle, le point final à la procédure législative relative à ce texte.

Je referme la parenthèse pour revenir au sujet du jour avec tout autant de franchise. Que ce soit en 1982, 1991 ou 2002, les évolutions statutaires propres à la Corse ont été introduites dans le cadre d’un projet de loi spécifique. Celui de 2003 a même bénéficié d’une consultation populaire dont l’issue négative a repoussé l’entrée en vigueur de la loi que le Parlement avait pourtant approuvée – et j’en faisais partie. Ce rejet s’expliquait principalement par le mode de scrutin, la rupture du lien de proximité et la disparition des conseils généraux. Contrairement aux initiatives antérieures, c’est par un amendement à la loi NOTRe qu’a été actée la création d’une collectivité unique en lieu et place des trois entités actuelles. Qu’adviendra-t-il donc de la collectivité de Corse si par exemple la loi NOTRe devait être abrogée ? D’où le renvoi à des ordonnances pour procéder au travail fastidieux de réécriture des codes pour y remplacer les références aux trois collectivités par celle de la collectivité de Corse, sans que les sujets essentiels des compétences, des moyens et des équilibres politiques comme territoriaux ne soient débattus. Les ordonnances traduisent tout simplement un travail d’empilement. Lors de la session du 6 septembre 2016, notre groupe a fait partie des vingt élus sur les cinquante et un que compte l’Assemblée de Corse à ne pas s’associer aux ordonnances. Pourtant, mis à part les trois élus communistes, tous sont favorables au principe de la collectivité unique.

Cette opposition au projet du Gouvernement, monsieur le ministre, a deux raisons principales. Premièrement, l’absence d’équilibre des pouvoirs et des territoires au sein de la nouvelle collectivité. Il n’y a eu aucune discussion sur le mode de scrutin ni sur la représentation des territoires, alors que l’on sait que c’est ce qui a manqué en 2003. Si on ne change pas les modalités de désignation, le seul fait démographique s’imposera face à la représentation des territoires ruraux jusque-là incarnés par les conseillers départementaux et qui seront de fait laissés pour compte. Une loi propre à la Corse aurait permis d’établir des champs de compétence précis, notamment pour les compétences que la collectivité de Corse pourrait partager avec les intercommunalités, qui sont appelées à en assumer certaines. Je revendique davantage d’autonomie et de liberté pour les EPCI afin de garantir une meilleure conduite des politiques de proximité. En Corse, où la région dispose déjà d’un statut particulier, on aurait dû imaginer, comme nous le proposions, que les intercommunalités dérogent elles aussi au droit commun pour remplir des missions appartenant aujourd’hui aux départements. Dans cette architecture reposant sur deux piliers, les intercommunalités assureraient les politiques de proximité, et la collectivité de Corse serait stratège. Il aurait en effet fallu discuter de la taille que devraient avoir ces intercommunalités aux pouvoirs élargis. Sur le continent, nous avons les grandes régions, les départements, les métropoles, les intercommunalités et les communes – tout un maillage qui représente les territoires et définit les compétences d’un échelon à l’autre, même si on peut regretter cet enchevêtrement. En Corse, en renforçant les intercommunalités, on équilibrerait l’action publique sans créer de strate nouvelle.

Bref, nous n’avons pas été entendus. On nous a contraints à avancer tête baissée vers cette « hypercollectivité », avec le risque qu’implique la concentration des pouvoirs dans les mêmes mains. Ceux qui pointaient hier du doigt le centralisme d’État portent aujourd’hui sur les fonts baptismaux le centralisme régionalisé ! Quant à la Chambre des territoires, dont je défendais le principe à condition que ce soit une entité réelle dotée de la personnalité morale, de compétences et de moyens propres, la voilà réduite à une conférence de coordination de plus qui aura peu d’utilité.

La deuxième raison de notre opposition tient à l’inexistence de tout accompagnement économique, financier et fiscal, indispensable à la réussite de la collectivité et au développement de la Corse. Au moment où les fonds européens se raréfient, où le programme exceptionnel d’investissement s’achève, où les dotations de l’État s’amenuisent, la Corse a un besoin vital de ce soutien pour poursuivre sa modernisation et le rattrapage du retard historique de nos équipements collectifs. Les ordonnances, contraintes et étriquées, ne permettent ni de rendre la future collectivité de Corse véritablement opérationnelle, ni de revenir sur ces deux dimensions pourtant fondamentales. Cette réforme est une coquille vide et nous sommes privés de référendum, alors que la délibération du 13 décembre 2014 le prévoyait par l’insertion, votée à l’unanimité, d’un article en ce sens.

On le voit, cette loi NOTRe est un carcan ; comme vous, monsieur le ministre, je ne l’ai pas votée. Marylise Lebranchu, alors chargée du dossier, avait admis, après le rejet d’amendements que j’avais proposés à l’Assemblée nationale, que de toute façon, en plus des textes réglementaires de déclinaison que sont les ordonnances, il faudrait revenir devant le Parlement avec un véritable véhicule législatif pour apporter des corrections et des aménagements à cet article de la loi NOTRe ainsi que pour introduire des éléments nouveaux relatifs au rôle que nous proposions aux intercommunalités de jouer. Nous avions dit qu’il faudrait au minimum que cette loi soit élaborée et soumise au vote concomitamment aux ordonnances, sans quoi nous ne pourrions pas nous y associer. Il n’en a rien été. Toutes ces questions n’ont pas été abordées, alors qu’elles sont fondamentales.

C’était un mensonge de nous faire croire en 2015 – mais vous n’y êtes pour rien ! – que les ordonnances pouvaient contenir des éléments nouveaux. Le « chiche » du Gouvernement devant l’Assemblée de Corse s’est traduit par une frénésie d’en découdre urgemment sur la forme, quel que soit le fond. Et c’est là que je ne comprends pas la majorité régionale qui se contente de ces ordonnances en lieu et place d’une loi spécifique, simplement pour acter au plus vite la disparition des départements qui sont montrés du doigt comme étant des repaires clientélistes. Or ce ne sont pas les institutions qui génèrent le clientélisme, mais bien la pratique des hommes, et on en trouve malheureusement dans tous les camps ! Les conseillers départementaux ont autant de valeur et de légitimité, et font preuve d’autant d’implication que les conseillers territoriaux. Cette réforme ne doit pas se faire contre eux, mais avec eux.

J’espère, monsieur le ministre, que vous en avez conscience, vous qui êtes un départementaliste de coeur. Je suis pour ma part un régionaliste de coeur et de raison. En fermant la porte au débat d’ensemble sur la refondation de l’architecture institutionnelle de la Corse, le Gouvernement ne poursuit plus, comme nous, ni avec nous, le chemin d’une fusion, mais rejoint une partie des élus, notamment les nationalistes, dans leur obsession de tuer coûte que coûte et au plus vite les conseils départementaux. On est loin de la démarche de rassemblement et de fusion qui devrait tous nous animer. L’unité de la Corse doit se bâtir sur le respect du pluralisme. Notre famille politique souhaite une réforme en profondeur du statut de la Corse, d’où notre position de vote contre ces ordonnances, tout simplement parce que le compte n’y est pas et que l’objectif précité est dévoyé !

Rassurez-vous, monsieur le ministre, votre majorité permettra aux ordonnances de passer le cap de l’Assemblée nationale, puis de la commission mixte paritaire.

Mais le débat n’en sera pas clos pour autant : au contraire, il se poursuivra. Après les échéances présidentielles et législatives, nous continuerons à défendre l’élaboration et l’adoption d’une loi spécifique à la Corse, s’inscrivant dans une démarche globale, tant statutaire qu’économique et fiscale. Une telle loi constituerait le cadre optimal d’exercice des compétences attribuées à la collectivité de Corse, et surtout le cadre optimal d’épanouissement de la Corse au sein de notre République.

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