Intervention de Rolf Einar Fife

Réunion du 1er février 2017 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Rolf Einar Fife, ambassadeur de Norvège en France :

Merci de me donner l'occasion de présenter la politique de défense et de sécurité nationale de la Norvège, plus précisément au sujet de la zone Scandinavie-Baltique. Je n'aborderai donc pas d'autres questions, notamment celles liées à l'Afghanistan, à Daech ou au Mali, sauf s'il y a des questions sur ces derniers sujets.

Il nous est demandé de dresser un panorama des menaces sur cette zone et des politiques de défense mises en oeuvre pour y répondre. Cette audition, Madame la présidente, fait suite à votre déplacement en Norvège et à votre visite du Parlement norvégien, le Storting, le 20 décembre dernier.

Je commencerai par rappeler de façon succincte quelques fondements de notre situation stratégique du fait de notre géographie, de notre histoire et du nouveau paysage stratégique. Alors qu'elle compte cinq millions d'habitants, la Norvège a un grand territoire et la responsabilité de gérer de vastes espaces maritimes, plus de deux millions de kilomètres carrés dans le Grand Nord.

La Norvège a une frontière terrestre commune avec la Russie de 196 kilomètres, qui représente également la frontière extérieure de l'OTAN et la frontière extérieure de l'espace Schengen. Nous avons perçu les effets des flux migratoires récents même par cette « voie arctique » à travers la frontière norvégo-russe.

Le fondement de la sécurité norvégienne est l'OTAN. Cette organisation assure à nos yeux la sécurité euro-atlantique essentielle depuis la Seconde Guerre mondiale. Notre vision a notamment été façonnée par notre expérience d'État neutre au cours des deux guerres mondiales et des années d'occupation au cours de cette dernière guerre.

En raison du courant du golfe du Mexique, le gulf stream, nos espaces maritimes ne sont pas pris par les glaces. Ils représentent donc, depuis des siècles, une région d'accès privilégié, aussi pour les navigateurs russes, et un espace important pour nombre d'activités économiques norvégiennes. C'est donc une partie de l'Arctique très active, avec 480 000 Norvégiens résidant de façon permanente au-delà du cercle polaire, qui passe à 66 degrés de latitude nord. L'Arctique, pour nous, n'est donc pas quelque chose d'exotique mais au contraire une réalité très présente.

Les eaux intérieures de Norvège, celles sans passage offensif et constituant le corridor entre la terre ferme et les îles qui longent nos côtes, couvrent 125 000 kilomètres carrés. S'y ajoutent 114 000 kilomètres carrés de mer territoriale de douze milles marins, au-delà des eaux intérieures. À ce total de 240 000 kilomètres carrés d'eaux territoriales, s'ajoutent encore 1,8 million de kilomètres carrés soumis à la juridiction norvégienne en ce qui concerne la pêche, le pétrole, le gaz et la protection de l'environnement.

Ces activités ainsi que ces responsabilités sont donc intimement liées à notre façade maritime. Elles expliquent en grande partie notre histoire. Sans comprendre cette géographie, difficile en effet de décrire les événements de 1940 ou encore les grandes pertes subies par la Norvège pendant le blocus de la Première Guerre mondiale. Mon arrière-grand-père maternel fut le premier capitaine de navire norvégien coulé par un sous-marin en 1915. En dépit de sa neutralité, la Norvège a perdu la moitié de sa flotte marchande au cours de la Première Guerre mondiale.

J'ajouterai qu'aujourd'hui nous avons dans nos espaces maritimes une des infrastructures pétrolières et gazières les plus importantes au monde. Pour ne citer qu'un exemple, le pipeline reliant le plateau continental norvégien et Dunkerque, traverse sept plateaux continentaux, et explique pourquoi la Norvège est le premier fournisseur de gaz naturel de la France. Je pourrais ajouter que notre pays est aussi son premier fournisseur de produits de la mer. Pour résumer : l'interdépendance entre la sécurité européenne et norvégienne est totale, de même que notre interdépendance notamment énergétique, et nous partageons des valeurs fondamentales communes.

En ce qui concerne l'évolution du paysage stratégique actuel, je commencerai par évoquer la Russie. Notre ministre de la Défense, Mme Ine Marie Eriksen Søreide, a constaté que la situation sécuritaire de l'Europe a changé de façon profonde et rapide. Bien que cela ne signifie pas que la Norvège considère la Russie comme une menace militaire directe, ce sont les activités de la Russie qui ont instauré un nouveau degré d'incertitude et d'imprévisibilité en Europe. Selon notre ministre, cela nécessite une adaptation de notre planification militaire. De par sa position géographique et ses intérêts, la Russie a toujours été un facteur décisif dans cette planification.

Notre chef d'état-major, l'amiral Bruun-Hansen, dans son discours annuel devant l'association militaire d'Oslo avant-hier soir, a souligné que l'intervention de la Russie en Ukraine en 2014 – une violation flagrante du droit international et de l'architecture de paix internationale établie sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale – ainsi que l'engagement de ce pays en Syrie en 2015 ont démontré une puissance militaire ayant en grande partie réussi à mettre en oeuvre son programme de réforme et de modernisation. Il s'agit, selon lui, d'une structure militaire professionnelle qui assure une mobilité stratégique et tactique considérable, avec une grande capacité réactive. Parmi les priorités de cette puissance militaire figurent le contrôle de l'espace aérien, des sous-marins silencieux, et des armes de haute précision à grande distance. Selon lui, ces développements vont continuer en dépit de quelques retards dus à la situation économique de la Russie, et cela appelle une augmentation de la capacité militaire et réactive de l'OTAN et de la Norvège. L'activité de sous-marins silencieux représente, selon l'amiral Bruun-Hansen, un risque considérable dans le cadre du renforcement des lignes de communication maritime entre l'Europe, la Norvège et la zone de la mer Baltique. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons, du côté norvégien, mis l'accent sur la dimension maritime dans nos positions au sein de l'OTAN.

À maints égards, il y a aussi une confrontation – si on peut lui donner ce nom – entre la Fédération de Russie et l'OTAN sur le plan rhétorique, avec, toujours selon l'amiral Bruun-Hansen, des efforts de la part de la première pour affaiblir la solidarité au sein de l'Alliance atlantique. Il est selon nous essentiel d'oeuvrer à la préservation de cette solidarité et à la cohérence de l'Alliance. Nous sommes convaincus qu'il faut privilégier une approche assurant un bon équilibre entre la dissuasion et le dialogue avec notre État voisin. Je note d'ailleurs que le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, ancien Premier ministre de Norvège, fut interviewé avant-hier (le 30 janvier 2017) dans l'émission HARDtalk de la BBC. Selon lui, le dialogue avec la Russie doit être empreint de fermeté et de lisibilité. C'est aussi cette approche qui caractérise la politique norvégienne.

La signature par la Norvège et de la Fédération de Russie en 2010 du traité de délimitation et de coopération en mer de Barents et dans l'océan Arctique, instaurant une frontière maritime commune de 1 600 kilomètres, démontre qu'il est tout à fait possible de conclure des accords avec les Russes dans un contexte de clarté. Communiquer clairement ses positions ne constitue pas une recherche de la confrontation.

Nous avons, depuis novembre dernier, une décision significative au sein de notre Parlement sur ce que nous pourrions appeler le Livre blanc de la défense norvégienne, c'est-à-dire le programme d'adaptation de notre défense au nouvel environnement stratégique. Notre chef d'état-major a indiqué que la Norvège avait augmenté depuis l'automne 2014 les jours de navigation de 33 % dans le Grand Nord, où nous assurons une présence presque ininterrompue de sous-marins. Nous avons également augmenté le nombre de patrouilles aériennes d'observation, le nombre de manoeuvres et les activités de renseignement. Il ne s'agit pas de provoquer mais de détecter.

Les activités russes au large de nos côtes ont été estimées normales en 2016. Nous n'avons pas enregistré de provocation ni d'incursion territoriale.

Notre activité de garde-côte est significative dans le Grand Nord. En 2016, nous avons patrouillé avec quinze bâtiments. Nous avons effectué 1 588 inspections en haute mer à bord de chalutiers, 158 opérations de recherche-sauvetage pour toutes sortes de navires, en grande partie russes, et 3 275 autres opérations civiles. Les activités de pêche russes sont considérables mais nous les jugeons normales.

Nous prenons l'évolution du paysage stratégique au sérieux et nous ne voyons aucune raison de dévier du message principal du vingtième sommet de l'OTAN à Varsovie en juillet dernier. La mission essentielle de l'OTAN demeure selon nous inchangée. Notre coopération avec l'Union européenne ne fait qu'augmenter : nous participons aussi depuis longtemps à des opérations dirigées par l'Union européenne. Nous apprécions énormément les contributions significatives de la Finlande et de la Suède aux opérations dirigées par l'OTAN. Enfin, nous sommes en train de déployer un premier bataillon prépositionné de 200 soldats en Lituanie, avec l'Allemagne comme nation-cadre. Il ne s'agit nullement de provocation mais d'une volonté de renforcer notre présence et notre crédibilité.

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