Intervention de Laurence Rossignol

Séance en hémicycle du 16 février 2017 à 9h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Présentation

Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure – et présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes –, mesdames et messieurs les députés, nous arrivons aujourd’hui au terme de l’examen de la proposition de loi visant à étendre le délit d’entrave à l’IVG – l’interruption volontaire de grossesse –, à l’ère numérique.

Les échanges que nous avons eus, tant dans cet hémicycle qu’au Sénat, ont déjà été longs, riches, souvent fructueux ; je m’en félicite, même s’ils ont parfois été vifs et polémiques. C’est évidemment tout à l’honneur du débat parlementaire : ces échanges constituent un signe de vitalité démocratique et prouvent que défendre les droits des femmes reste un combat de tous les instants, un combat qui requiert une vigilance et une détermination totales.

Pourtant, avant d’engager ce débat, j’étais certaine que, plus de quarante ans après l’adoption de la loi Veil, le droit à l’IVG faisait largement consensus. La proposition de loi que vous allez de nouveau examiner en lecture définitive ne visait d’ailleurs pas à rouvrir le débat sur l’avortement mais simplement à permettre à toutes les jeunes filles et toutes les femmes d’exercer la liberté de disposer de leur corps.

En proposant d’étendre le délit d’entrave à l’IVG aux nouveaux modes de communication, les députés signataires de la présente proposition de loi n’avaient pas d’autre ambition que de rendre effectif l’engagement de notre pays à garantir à nos concitoyennes ce droit fondamental de choisir le moment de leur maternité. Chacun en conviendra ici, il n’est en effet pas concevable de défendre un droit sans s’attacher à lever tout ce qui peut faire obstacle à son libre exercice.

Force est de constater que j’avais sous-estimé l’effet du calendrier électoral : la campagne présidentielle offre manifestement une formidable caisse de résonance à celles et ceux qui contestent le principe même du droit à interrompre une grossesse non désirée. Si nous savions que les adversaires de la régulation des naissances n’avaient jamais vraiment désarmé, leur hostilité s’exprime de plus en plus ouvertement et bruyamment. Je le regrette, comme je récuse toutes les tentatives d’instrumentalisation de la proposition de loi par celles et ceux qui entendent profiter de ce moment particulier pour reprendre le combat contre l’IVG.

Je veux donc redire, une dernière fois, que ce texte n’a pas d’autre objectif que d’assurer la protection des usagères d’internet, en garantissant la fiabilité et la qualité des informations qui y sont délivrées. La toile est en effet aujourd’hui la première source d’informations relative aux questions de santé pour les personnes âgées de quinze à trente ans ans et, par conséquent, elle constitue souvent le premier recours des femmes confrontées à une grossesse non désirée. Il est donc absolument essentiel qu’elles puissent y trouver toutes les informations pratiques qu’elles recherchent lorsqu’elles envisagent d’y mettre un terme : les structures où elles doivent s’adresser pour pratiquer une IVG ; les délais pour pratiquer l’intervention et la manière dont celle-ci va se dérouler ; enfin, bien sûr, les différentes méthodes entre lesquelles chacune doit pouvoir choisir.

Certains activistes assument clairement leur discours anti-choix, dans le monde réel comme dans le monde virtuel. Cela relève pleinement de la liberté d’opinion et d’expression. Et, contrairement à ce que j’ai parfois entendu, il n’est pas question ici d’y porter atteinte ou même seulement de la restreindre : je l’ai dit et je tiens à le répéter, si cette proposition de loi est adoptée, les militants anti-IVG resteront libres d’exprimer leur hostilité à l’avortement, à condition de dire sincèrement qui ils sont, ce qu’ils font et ce qu’ils veulent.

Soyons honnêtes : il ne viendrait à l’esprit d’aucune femme cherchant des informations objectives et fiables sur l’avortement de consulter délibérément des sites clairement identifiés comme militants contre l’IVG. Les adversaires du contrôle des naissances le savent parfaitement. C’est bien pour cette raison qu’ils avancent masqués, dissimulés derrière des plate-formes imitant les sites institutionnels ou proposant des numéros verts d’apparence officielle, autant d’espaces où ils mènent impunément une nouvelle forme de propagande, en instrumentalisant la vulnérabilité des femmes confrontées à une grossesse non désirée, pour les convaincre de renoncer d’elles-mêmes à y mettre un terme.

Il y a là, évidemment, une réelle intention de tromper les femmes qui consultent ces sites, une réelle volonté d’induire les femmes en erreur pour instiller le doute et les empêcher de prendre, en toute sérénité, leur décision de manière éclairée. C’est cette duplicité qui constitue clairement une entrave au droit des femmes à disposer de leur corps, et nous devons sans attendre mettre un terme à cette supercherie.

Les outils numériques ne doivent pas devenir les vecteurs d’une désinformation, qui s’installe insidieusement, au nom du droit à l’information. Le progrès technologique ne doit pas servir à mettre en danger ou à faire reculer les droits des femmes. La proposition de loi dont nous allons débattre n’a, je le répète, pas d’autre objectif que d’adapter notre législation aux évolutions de la communication sur internet et sur les réseaux sociaux.

L’arsenal juridique a été continuellement renforcé, depuis quarante ans, pour garantir un égal accès de toutes les femmes à l’avortement et sécuriser ce droit à disposer librement de leur corps, quels que soient leur âge, leurs ressources ou leur lieu de résidence.

Depuis 2012, cette priorité n’a jamais cessé de guider le Gouvernement, avec le soutien constant de la majorité parlementaire. Je ne reviendrai pas sur les mesures successivement adoptées pour consolider notre droit en matière d’accès à la contraception et à l’IVG ; j’ai déjà eu l’occasion de les évoquer longuement au cours de ces débats.

Permettez-moi seulement, au terme de l’examen du présent texte, l’un des derniers de cette législature, de saluer très chaleureusement le travail accompli par les membres de la délégation aux droits des femmes ainsi que par ceux de la commission des affaires sociales et, à leurs côtés, par toutes les députées et tous les députés de la majorité, au sens le plus large. Je tiens à vous remercier d’avoir soutenu, accompagné, porté et parfois même initié – comme ce fut le cas avec la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées – toutes les avancées réalisées au service des femmes durant ce quinquennat. Nous pouvons en être fiers car je crois que la cause des femmes, consacrée par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, n’aura jamais autant progressé que durant ces cinq dernières années : promotion de l’égalité professionnelle ; lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes ; éducation à l’égalité filles-garçons dès le plus jeune âge ; extension de la parité à toutes les sphères de la société ; lutte contre le harcèlement sexuel et les comportements sexistes au travail, dans l’espace public ou dans les transports en commun. Il n’est pas un domaine dans lequel, chacune et chacun dans notre rôle, nous n’ayons eu la conviction de faire oeuvre utile, ensemble.

Mais peut-être est-ce seulement aujourd’hui que nous pouvons mesurer pleinement combien notre action a été nécessaire, indispensable même, dans un contexte particulièrement inquiétant de montée des tentations réactionnaires et des extrémismes religieux. Plus que jamais, partout dans le monde, les droits des femmes sont en danger.

Ils le sont en France, où nous entendons un candidat à la présidentielle…

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