Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 21 février 2017 à 15h00
Reconnaissance et poursuite des crimes perpétrés en syrie et en irak — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, mes chers collègues, la proposition de résolution dont j’ai pris l’initiative, et que le groupe socialiste, écologiste et républicain a proposé d’inscrire à l’ordre du jour de cette séance, a pour objet de permettre à notre assemblée de s’exprimer sur les très graves violations des droits de l’homme commises en Syrie et en Irak et sur la situation humanitaire extrêmement critique où se trouve la population civile.

Cette proposition ne vise donc pas à examiner la politique étrangère de la France dans cette région. J’ai voulu, au contraire, que sa rédaction permette à chacun de se prononcer en conscience, indépendamment de ses affiliations partisanes, en fonction des valeurs qui nous rassemblent tous dans cet hémicycle. C’est pourquoi je l’ai proposée à la signature de tous les membres de la commission des affaires étrangères – et je remercie les membres de l’opposition qui ont bien voulu s’y associer.

Cette proposition, en effet, ne vise pas telle catégorie de victimes plutôt que telle autre, ni d’ailleurs tel acteur plutôt que tel autre. Elle a été rédigée de telle sorte que toutes les victimes de ces conflits puissent un jour – même très éloigné – obtenir justice. Elle invite en effet le Gouvernement « à utiliser toutes les voies de droit, y compris la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité, pour reconnaître les crimes perpétrés en Syrie et en Irak, notamment les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, voire les crimes de génocide, et pour poursuivre leurs auteurs ». Elle invite également le Gouvernement « à poursuivre sans relâche ses efforts afin que l’aide humanitaire internationale parvienne aux populations civiles en Syrie ». Il s’agit, à travers ce texte, de donner une suite aux nombreux rapports des Nations unies et de plusieurs organisations non gouvernementales, qui composent un tableau absolument terrifiant des crimes commis en Syrie et Irak.

Que nous disent ces rapports ? Ils décrivent, bien entendu, le sort tragique réservé par Daech aux minorités, en particulier aux minorités chrétiennes et yézidie. La commission d’enquête sur la Syrie a publié, dès 2014, un premier rapport intitulé « Vivre sous le règne de la terreur : Daech en Syrie ». Elle en a rendu un deuxième, en 2016, à partir des témoignages recueillis auprès des milliers de Yézidis qui se sont réfugiés en Syrie. Ces deux rapports corroborent celui que le Haut-Commissaire aux droits de l’homme a publié en 2015, sur les crimes de Daech en Irak. Ces trois rapports font tous état d’atrocités inimaginables, commises notamment dans la région de Sinjar à la suite de l’offensive de Daech : exécutions, viols, femmes vendues comme esclaves sexuels, conversions forcées.

Les faits rapportés concernent principalement les Yézidis, mais aussi de nombreuses minorités religieuses ou ethniques : les chrétiens d’Orient, les chiites, les Turkmènes, les Kurdes, ou encore les Shabaks. Ils permettent d’établir que ces communautés sont visées pour ce qu’elles sont, et que Daech, comme les groupes qui lui sont affiliés, vise à faire disparaître toute diversité religieuse, ethnique et culturelle, en éliminant physiquement ou en exilant les représentants de ces communautés. La destruction par Daech du patrimoine archéologique de Syrie, en particulier de la ville de Palmyre, est un autre indice de cette volonté génocidaire. Par ailleurs, la commission d’enquête a souligné le sort particulièrement cruel infligé aux Yézidis, affirmant que ces crimes avaient un caractère génocidaire et appelant le Conseil de sécurité à en saisir la Cour pénale internationale.

Tous ces faits sont aujourd’hui largement connus, et je ne crois pas que quiconque, sur ces bancs, songe à mettre en doute la bonne foi des auteurs de ces rapports, ni le bien-fondé de leurs constatations. Mais, selon moi, nous ne pouvons passer sous silence tous les autres faits établis par les mêmes observateurs, avec la même objectivité et la même rigueur. C’est une question d’équité et de clarté du message politique que nous délivrons lorsque nous parlons des droits de l’homme.

La commission d’enquête a souligné que le nombre de victimes sunnites est infiniment supérieur à celui des victimes appartenant à une minorité. À travers ses douze rapports, elle a établi une liste impressionnante des crimes commis par Daech, mais aussi par les forces du régime syrien, sous les ordres et le contrôle de ce dernier, et par les forces alliées à ce régime. Le conflit en Syrie a fait entre 300 000 et 400 000 morts – des civils, pour la plupart. Le nombre de personnes déplacées en Syrie s’élèverait à 6,3 millions, et celui des réfugiés hors de Syrie à 4,9 millions, soit la moitié de la population de la Syrie avant 2011. Un tel bilan ne peut être mis sur le compte des inévitables dommages collatéraux résultant de combats menés dans le respect du droit de la guerre.

Les rapports de la commission d’enquête établissent que ces combats ont souvent été conduits avec un mépris total et volontaire de ce droit. Le dernier rapport, publié en août 2016, évoque par exemple : les lourds bombardements aériens contre des zones peuplées de civils ; 600 000 personnes assiégées dans différentes villes ; l’aide humanitaire bloquée par les belligérants ; le personnel et les installations médicales ciblés par des attaques ; hors des champs de bataille, des civils et des belligérants hors de combat victimes de disparitions, pris en otage, torturés ou soumis à des violences sexuelles pendant qu’ils se trouvent en détention. Ces constatations sont cohérentes avec les observations de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, qui a largement documenté l’usage des bombes barils dans un rapport intitulé « La mort vient du ciel ». Elles sont également cohérentes avec les rapports du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, qui a fait régulièrement état de tels bombardements.

Dans quelques semaines, la commission d’enquête publiera un rapport centré sur le sort des enfants, dont nous savons qu’ils payent un lourd tribut au fanatisme et à la barbarie. J’y insiste, ces rapports ne désignent pas seulement le régime et ses alliés, notamment les milices iraniennes et le Hezbollah, mais aussi Daech et Al-Nosra, qui commettent les mêmes crimes, à l’exception des bombardements aériens, faute de disposer – heureusement ! – d’une flotte aérienne.

C’est le même esprit d’objectivité qui anime les travaux des Nations unies et de Human Rights Watch sur l’usage des armes chimiques en Syrie. Plusieurs attaques au chlore ont été observées et analysées, ce qui a permis d’imputer certaines d’entre elles soit à Daech, soit au régime syrien. Par ailleurs, la commission d’enquête a publié, en février 2016, un rapport spécifique sur la mort en détention en République arabe syrienne, qui traite les faits imputables au régime syrien et ceux imputables aux organisations terroristes. Ce rapport, fondé sur 621 interviews, accuse le gouvernement syrien de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, sans toutefois donner d’estimation précise du nombre de victimes. Dans un autre rapport d’août 2016, la commission estime que « des dizaines de milliers de Syriens ont disparu, dans des circonstances qui, pour nombre d’entre eux, laissent penser qu’il s’agit de disparitions forcées ». Elle note encore que « des Syriens sont arrêtés ou enlevés par des agents de l’État, puis disparaissent ».

Un récent rapport d’Amnesty International, fondé sur le témoignage d’environ quatre-vingts personnes, estime entre 5 000 et 13 000 le nombre de victimes d’exécutions extrajudiciaires, par pendaisons de masse organisées de nuit dans la prison militaire de Saidnaya. L’ancien ambassadeur américain aux crimes de guerre, Stephen Rapp, estime que les preuves rassemblées par Amnesty sont plus nombreuses que celles rassemblées par le tribunal de Nuremberg. Cette estimation rejoint celle résultant du rapport « César », réalisé par un ancien photographe légiste de la police militaire, qui a livré, en janvier 2014, 55 000 clichés représentant environ 11 000 cadavres de détenus, exécutés de façon systématique entre mars 2011 et août 2013. Ces chiffres effarants ne sont évidemment que des estimations, mais il ne fait guère de doute que l’appareil répressif syrien a battu des records de cruauté.

On ne peut pas non plus passer sous silence les responsabilités des forces russes, qui se sont engagées en Syrie à partir de septembre 2015 et qui ont joué un rôle important dans le siège d’Alep.

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