Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 21 février 2017 à 15h00
Reconnaissance et poursuite des crimes perpétrés en syrie et en irak — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Nous ne disposons pas encore d’une vue précise et complète des faits et des responsabilités russes pendant ce siège. Un rapport publié le 13 février par l’Atlantic Council rapporte l’usage de bombes incendiaires et de bombes à sous-munitions, qu’il impute aux Russes à la lumière de témoignages humains et d’images satellitaires. La Russie, pour sa part, a démenti formellement. La commission d’enquête sur la Syrie doit publier un rapport sur le siège d’Alep dans les prochaines semaines.

Ces faits devront un jour être éclaircis, comme d’ailleurs ceux qui mettent en cause les forces de la coalition. Je songe notamment aux frappes aériennes qui, le 19 juillet 2016, ont tué au moins soixante-treize civils près de Manbij, et à propos desquelles les États-Unis ont ouvert une enquête.

Le texte qui vous est soumis ne se prononce pas sur les responsabilités russes ou américaines, mais il est clair que, dans son esprit, tous les faits contraires au droit de la guerre doivent être établis et sanctionnés avec la même sévérité. Plus généralement, le dispositif de cette proposition, qui n’aurait pas valeur de loi s’il était adopté, ne s’engage ni sur les faits ni sur leur qualification juridique ; mais, pour beaucoup de faits en cause, il existe des présomptions, voire des évidences, qui justifient une saisine de la justice.

Le texte qui vous est proposé, comme celui que le Sénat a adopté il y a quelques mois, invite le Gouvernement à saisir les tribunaux français. C’est d’ailleurs ce que celui-ci a déjà fait en septembre 2015, en transmettant à la justice les photos du rapport César.

Mais ce texte invite surtout le Gouvernement à proposer au Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale pour poursuivre les auteurs des crimes évoqués dans ces rapports. Selon son statut, la compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. Ce même statut définit le crime de génocide, qualification qui paraît pouvoir être retenue à propos des persécutions subies par les Yézidis. Il appartiendrait à la Cour, si elle était saisie, d’enquêter sur les faits et de les qualifier.

Le crime contre l’humanité, quant à lui, couvre, selon le statut de la Cour, les actes « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque », alors que sont considérées comme crimes de guerre « les infractions graves aux conventions de Genève » et « les autres violations graves des lois et coutumes applicables dans le cadre établi du droit international ». Le statut donne une longue liste de faits relevant de cette qualification, qu’il serait trop long et fastidieux de lire à cette tribune. Il en résulte que les dommages collatéraux ne sont pas considérés comme des crimes de guerre dès lors qu’il apparaît que l’intention de l’auteur n’était pas de tuer des civils. En revanche, est considéré comme tel l’usage de certaines armes, chimiques notamment, ou le fait de cibler délibérément des civils.

Par ailleurs – et j’en termine par là –, la proposition de résolution a aussi pour objet d’inviter le Gouvernement à poursuivre ses efforts pour que l’aide humanitaire parvienne aux populations civiles. En Irak, les combats pour la libération de Mossoul ont eu un impact humanitaire moins grave que ce que l’on pouvait craindre il y a quelques mois. Le nombre de personnes déplacées serait de 153 000, alors que l’on en attendait plusieurs centaines de milliers. Par ailleurs, la situation semble être, pour l’instant, gérée correctement par les organisations internationales, avec une bonne collaboration des autorités irakiennes.

En revanche, en Syrie, l’ampleur de la crise est aggravée par les obstacles par les belligérants mis à l’acheminement de l’aide humanitaire, qu’il s’agisse du régime ou de Daech et de Al-Nosra. Alors que l’ONU est en mesure de convoyer une aide massive, seuls deux convois ont pu atteindre quelques milliers de civils depuis décembre. Les villes d’Al-Zabadani, Fouah, Kafraya et Madaya, assiégées depuis des mois par le gouvernement syrien, sont dans une situation particulièrement critique.

Depuis la reprise d’Alep, la Russie et la Turquie s’efforcent de maintenir un cessez-le-feu fragile. Nous avons raison d’encourager ces efforts. Le processus initié à Astana, qui doit se prolonger à Genève, paraît cependant tout aussi complexe et fragile que celui que les États-Unis et la Russie avaient tenté d’engager. Les belligérants continuent à utiliser la famine comme une arme de guerre et s’opposent toujours à l’action humanitaire. Cette semaine encore, un convoi humanitaire d’organisations internationales a été attaqué dans la banlieue de Homs. L’aide n’a pas pu être acheminée. C’est pourquoi cet appel garde toute sa pertinence.

Tels sont, mes chers collègues, les éléments qui m’ont conduit à prendre cette initiative. Je crois l’avoir fait avec objectivité, en m’appuyant sur des rapports incontestés, sans esprit partisan et sans chercher à instrumentaliser des souffrances humaines qui sont évidemment incommensurables. J’espère vous en avoir convaincu, car je souhaiterais que notre débat soit un moment de concorde et d’unanimité autour des valeurs qui, je le sais, nous sont communes : celles de la République, celles des droits de l’homme, celles de l’humanité et de la justice.

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