Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 22 février 2017 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, président :

En préambule, je préciserai que le rapport prend en compte non seulement la recevabilité financière au titre de l'article 40 de la Constitution mais également la recevabilité au titre des règles fixées par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) – cavaliers budgétaires, place des amendements dans la loi de finances.

Ce rapport s'inscrit dans une longue tradition. Mes prédécesseurs, depuis Jean Charbonnel, en 1971, en passant par Robert-André Vivien, Jacques Barrot, Pierre Méhaignerie et Jérôme Cahuzac, ont tous voulu faire le point sur cette prérogative du président de la commission des finances.

L'article 40, rappelons-le, interdit toute création ou aggravation d'une charge publique même lorsqu'elle est compensée par une moindre charge ou un surcroît de recettes. Il n'autorise la diminution d'une ressource que dans la mesure où elle est compensée par l'augmentation d'une autre ressource, d'où le succès bien connu des droits sur le tabac – certains amendements auraient même conduit à rend exorbitant le prix d'un paquet de cigarettes, comme notre rapporteure générale a eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises.

Pendant ces cinq années, j'ai essayé d'appliquer avec discernement les règles de recevabilité financière et même si j'ai subi quelques critiques – rares, il faut bien le dire –, j'ai toujours eu à coeur de préserver autant que possible l'initiative parlementaire. Je n'ai pas interprété l'article 40 de manière dogmatique, comme en témoignent quelques exemples que je vais vous citer.

J'ai, par exemple, décidé qu'une fusion de structures existantes à des fins d'économies d'échelle était désormais recevable au titre de l'article 40, sous les seules limites de ne pas fusionner des structures rattachées à des collectivités de niveau différent et pourvu que l'objectif poursuivi soit clairement celui de l'économie de moyens. Lors de l'examen de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) ou de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), beaucoup d'amendements visant à regrouper, entre eux, des communes, des départements ou des régions ont été déclarés recevables. Sous l'ancienne législature, ils auraient été écartés.

J'ai également maintenu la jurisprudence qui vise à ne pas traiter les sanctions pécuniaires comme des ressources publiques, ce qui permet aux parlementaires d'en diminuer le montant sans gager leur amendement. Cette jurisprudence a même été étendue aux versements libératoires d'une obligation légale de faire – sanctions prévues par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) ou versements au titre de l'obligation d'employer 6 % de personnes handicapées, par exemple.

Enfin, j'ai confirmé ma jurisprudence favorable aux expérimentations, tout en en précisant les critères afin de nous assurer que cet assouplissement ne couvre pas ce que l'on pourrait appeler des « abus de droit ». Ainsi, pour être recevable, une expérimentation doit être strictement définie, limitée dans le temps voire dans l'espace, être réversible et surtout ne pas être impérative pour l'État, qui doit toujours avoir le choix de la mettre en oeuvre ou pas. Je tiens à signaler que sur ce point, nous sommes plus libéraux que le Sénat, qui adopte une solution inverse en considérant toute expérimentation coûteuse comme une aggravation d'une charge publique, irrecevable à ce titre.

Cet exemple me permet d'évoquer certaines difficultés rencontrées dans le cadre de la mission qui m'est confiée. Les divergences d'interprétation avec le Sénat sont, comme je viens de l'illustrer, toujours possibles même si elles tendent à se réduire de législature en législature. Le rapport que je présente illustre l'uniformisation croissante sur de nombreux points de la jurisprudence des deux assemblées. Il rapproche notamment le champ des personnes soumises à l'article 40, ce champ ayant tendance à croître proportionnellement à l'interventionnisme de la puissance publique. Sont ainsi désormais soumis aux règles de l'article 40 les fonds interprofessionnels, les fédérations sportives et les régimes de retraite complémentaires obligatoires – Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC), Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARCCO) et Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (IRCANTEC).

Une autre source d'incompréhension peut naître de la simple faculté qu'ont les présidents de commission de me saisir pour avis des amendements déposés devant leur commission. Il peut arriver qu'un même amendement soit discuté en commission puis déclaré irrecevable avant le passage en séance publique. Je souligne cependant ici que les présidents des différentes commissions jouent véritablement le jeu du renvoi à la commission des finances et que le filtre qu'ils opèrent laisse désormais peu de place à la discussion d'un amendement qui serait en fait irrecevable. Lorsque je suis saisi d'une disposition litigieuse qui aurait été intégrée au texte – l'article 89, alinéa 4, de notre Règlement permet aux députés et au Gouvernement d'opposer à tout moment l'article 40 aux propositions de loi et aux amendements –, je suis dans l'obligation de la déclarer irrecevable, ce qui crée un véritable trou juridique dans le texte. Cela est problématique notamment lorsque cette disposition constituait le coeur du dispositif, ce qui est bien souvent le cas lorsque je suis saisi d'une proposition de loi. Cependant, à partir du moment où le dépôt d'une proposition de loi est accepté par le bureau de l'Assemblée, nous soulignons que telle ou telle de ses dispositions n'est pas conforme mais nous n'interdisons pas pour autant sa discussion.

Enfin, il peut arriver que les critères de renvoi appliqués par la Présidence de l'Assemblée nationale en séance publique varient dans le temps, ce qui crée des incompréhensions lorsqu'un amendement discuté par le passé à la suite d'une première appréciation se retrouve ensuite écarté au titre de l'article 40.

Il faut souligner ici que le nombre d'amendements examinés au titre de la recevabilité a considérablement augmenté au cours de cette législature : il a presque doublé, passant de 25 000 à 46 000. Il est, en effet, désormais beaucoup plus facile d'en déposer, notamment grâce à l'application informatique Eloi.

Enfin, je signale que ce rapport analyse également les dispositions applicables à la recevabilité organique des amendements déposés en projet de loi de finances et en projet de loi de financement de la sécurité sociale. En effet, en tant que président de la commission des finances, je suis également en charge de censurer les cavaliers budgétaires et sociaux qui seraient étrangers aux domaines exclusifs ou partagés définis par la LOLF et la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS). J'insiste sur ce point. Le Conseil constitutionnel peut s'autosaisir a posteriori de ces questions et censure systématiquement les cavaliers, auxquels j'ai consacré une annexe de mon rapport.

Je rappelle toutefois que la principale cause d'irrecevabilité organique est liée au mauvais placement des amendements entre la première et la seconde partie du projet de loi de finances. Nous sommes, bien sûr, amenés à proposer à leurs auteurs de les modifier pour qu'ils soient recevables – ce qui est plus facile lorsque l'amendement a été déposé en première partie alors qu'il aurait dû l'être en seconde. Les règles ont été clarifiées autant que possible.

L'article 40 demeure l'un des rares articles de la Constitution dont pas une virgule n'a été modifiée depuis 1958. Pour vous dire mon sentiment personnel, je suis partagé.

Les administrateurs et moi-même consacrons tant de temps au travail ingrat qui consiste à examiner la recevabilité de tel ou tel amendement que l'on peut se demander s'il a une réelle valeur ajoutée. Pierre Méhaignerie et Didier Migaud avaient même conclu que nous pourrions peut-être nous en passer.

Toutefois, devant l'accroissement considérable du nombre d'amendements, j'ai tendance à penser qu'il est nécessaire de conserver ce filtre. Il arrive que nos textes de loi soient encombrés de milliers d'amendements. Je dois dire que je suis parfois même gêné devant les présentations d'amendements faites par certains collègues – d'autres commissions, bien entendu... – qui ne semblent pas les comprendre eux-mêmes. Il y a aujourd'hui des facilités qui n'existaient pas auparavant. À l'époque où je suis entré à l'Assemblée nationale, en 1993, rédiger un amendement n'avait rien d'évident. Les plus anciens se souviennent qu'il fallait s'y prendre à plusieurs fois pour en faire adopter un. Cela nécessitait une grande préparation. Aujourd'hui, quand on retrouve dans l'exposé des motifs de plusieurs amendements la même faute d'orthographe, on sait qui les a écrits !

Pour finir, je tiens à remercier les valeureux administrateurs qui préparent cet énorme travail d'examen de la recevabilité des amendements. Nos discussions ont été parfois intenses, et en cas de doute, j'ai arbitré en faveur de la recevabilité. Sur les 46 000 amendements examinés pendant cette législature, j'ai été conduit à en déclarer irrecevables 4,7 %, contre 5,2 % sous la précédente législature.

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