Intervention de Pierre-Yves Le Borgn'

Réunion du 22 février 2017 à 18h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Le Borgn', co-rapporteur de la mission :

Jean-René Marsac a évoqué les accords de Dayton. Ceux-ci ont permis de mettre fin à la guerre, mais ils n'ont pas construit l'avenir. Ils ont figé la situation d'un pays qui était déjà une mosaïque et l'est devenu encore davantage par des mouvements de population. Je crois que pour les dépasser, il faut une volonté européenne et de l'Union européenne en particulier. On peut s'interroger, cela a été notre cas, sur la finalité à terme de la présence d'un Haut représentant de la communauté internationale à Sarajevo dans le cadre des pouvoirs dits de Bonn. N'est-ce pas plutôt à l'Union européenne de s'emparer du sujet en lien avec l'ensemble des composantes de la Bosnie-Herzégovine pour essayer d'imaginer ce que peut être l'avenir ?

Nous connaissons bien avec Jean-Claude Mignon un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme qui est très significatif. C'est l'arrêt Sejdić et Finci, par lequel la Bosnie-Herzégovine a été condamnée pour avoir refusé la candidature à la présidence de la république de deux de ses citoyens, l'un d'origine rom, l'autre d'origine juive, car ils ne se reconnaissaient dans aucune des entités constitutives et étaient à ce titre empêchés de se présenter. On a là le symbole du blocage dont il faut sortir.

Jean-Claude Mignon a évoqué notre déplacement à Mostar. Ce moment était le résumé de nos trois mois de travail. Voilà une ville de 120 000 habitants où il n'y ni maire ni conseil municipal depuis des années. La dernière élection municipale date de 2008 et qui n'a donc plus d'autorités locales élues. C'est une ville sous perfusion qui ne se maintient que grâce à la communauté internationale et à la diaspora. Mostar, c'est le meilleur, avec ce symbole que représentent le célèbre pont, détruit et reconstruit, les clochers et les minarets qui cohabitent. Mais c'est aussi le pire, quand un représentant local nous a expliqué que finalement cela ne fonctionnait pas si mal sans élections. Si c'est ça le chemin de l'Union européenne… Nous l'avons rappelé à nos interlocuteurs – et c'est le titre d'un article écrit par notre ambassadrice en Bosnie : le chemin de la Bosnie passe par Mostar. Il faudrait une médiation européenne pour essayer de résoudre le problème de Mostar, assurée par un ancien maire ou le secrétaire général du Conseil de l'Europe, pour trouver une solution, car derrière Mostar c'est l'existence-même de la Bosnie-Herzégovine qui est posée. Les Croates commencent à avancer l'idée de la création d'une troisième entité, qui leur serait propre, à l'intérieur de la Bosnie-Herzégovine.

Pierre Lellouche a évoqué le destin différent des entités issues de l'ex-Yougoslavie et en particulier la manière dont la Slovénie et la Croatie ont mieux réussi. Il a également évoqué le rôle fondamental de nos soldats, en rappelant la présence des soldats français sur la piste de l'aéroport de Sarajevo, symbole de ce que nous avons accompli dans la peine et la douleur pour sauver ce pays. Je suis d'accord avec tout cela. Et le fait est qu'après la France a été largement absente, qu'avec notre retrait militaire nous soyons passés à plus rien du tout, quand nos partenaires – mais également concurrents – ont pris la place sur le plan économique, regardant l'avenir concret de ces pays nonobstant la faiblesse de l'État de droit et en particulier de la justice commerciale dans la zone. C'est ainsi que les Allemands, les Autrichiens, les Italiens et récemment les Turcs ont pris de solides positions.

Mais pour l'avenir, pouvons-nous dire à ces pays qu'ils n'ont pas une perspective d'adhésion à l'Union européenne, pour tout un tas de raisons y compris notre constitution ? Que pourrait-on leur proposer en retour ? Je ne crois pas qu'on puisse dire à ces pays et en particulier aux jeunes qu'ils n'ont pas vocation à intégrer l'Union européenne, car ce sont des peuples européens, ce sont des jeunesses européennes, qui sont au contact de notre vie, ne serait-ce que parce qu'ils voyagent pour une partie d'entre eux. Si nous ne leur donnons pas de perspective européenne, cela voudra dire que leur salut est ailleurs. Moi je préfère dire que leur salut est avec nous, plutôt qu'avec la Russie ou la Turquie. Et ce sont aussi des choses à dire.

François Loncle a raison : la géographie fait l'histoire ; cette carte nous le montre.

S'agissant enfin du trafic d'organes, abordé par Odile Saugues, il est vivement combattu dans la région.

Je voudrais conclure sur un sujet dont on a très allusivement parlé : le devoir de mémoire. Alors que nous commémorons actuellement le centenaire de la Première guerre mondiale, nous ne devons pas oublier le front d'Orient, dont on parle peu. Depuis que je suis député des Français établis dans les Balkans, j'ai visité tous les cimetières où reposent nos soldats tombés sur ce front et je me suis fait un devoir d'y déposer une gerbe. J'ai été particulièrement marqué par deux endroits. Le premier est le cimetière de Bitola en Macédoine, où reposent plus de 15 000 soldats français, soit plus que de soldats américains au cimetière de Colleville-sur-Mer des prénoms qui évoquent la France de ce siècle et des âges qui témoignent de la jeunesse fauchée. J'ai également été marqué par ma visite à Korça, dans le sud de l'Albanie, ville qui a été la capitale d'une république autonome établie avec l'aide de l'armée française en 1916 – le cimetière local abrite d'ailleurs les dépouilles de 700 de nos soldats. Il y a existé un lycée français avec une filière bilingue, survivance de ce que fut le lycée français de Korça et qui nous montre que la France est attendue. Il est bouleversant d'y entendre tous ces enfants, ces adolescents qui ne sont jamais venus en France parler français sans aucun accent. C'est aussi ça la France.

Comme la mémoire de Napoléon a été invoquée dans le débat, j'évoquerai enfin Herceg-Novi, petite ville du Monténégro proche de la frontière croate, où il y a aussi un cimetière français de la Première guerre mondiale dans lequel on trouve un petit monument érigé par les Poilus à la mémoire des soldats de l'Empire tombés au même endroit en 1806. Cela montre le lien entre les batailles, d'Histoire à Histoire, aussi la présence et le courage français dans une région où notre pays doit reprendre pied, et telle est la conclusion du rapport que nous avons, avec Jean-Claude Mignon, voulu porter devant vous.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion