Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du 4 février 2014 à 21h30
Renforcement de la lutte contre la contrefaçon — Article 6

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Nous abordons une question qui nous a beaucoup occupés, tout à l’heure, dans la discussion générale, et sur laquelle je vais quelque peu m’attarder : je veux parler des semences. Vous savez que ce sujet a suscité beaucoup d’échanges, non seulement au Sénat lors de la préparation de ce texte, mais aussi dans le cadre des débats relatifs à la loi d’avenir pour l’agriculture.

Nous avons été très nombreux à être sollicités par le monde agricole pour que l’utilisation de semences de ferme – pratique, si ce n’est ancestrale, du moins très connue : je l’ai moi-même pratiquée au cours de ma jeunesse – ne puisse jamais être qualifiée de contrefaçon, et ce même si la semence est protégée par un certificat d’obtention végétale.

Cet amendement poursuit deux objectifs. Premièrement, il vise à étendre à toutes les pratiques de semences de ferme menées par un agriculteur la dérogation prévue à l’article L. 623-24-1 du code de la propriété intellectuelle. Deuxièmement, il précise qu’en aucun cas, l’utilisation d’une semence de ferme ne peut être qualifiée de délit de contrefaçon.

Je veux rappeler ici qu’aux termes de l’article 15-2 de la convention internationale de l’Union pour la protection des obtentions végétales – UPOV – de 1991, « chaque partie contractante peut, dans des limites raisonnables, et sous réserve de la sauvegarde des intérêts légitimes de l’obtenteur, restreindre le droit de l’obtenteur à l’égard de toute variété, afin de permettre aux agriculteurs d’utiliser à des fins de reproduction ou de multiplication, sur leur propre exploitation, le produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture, sur leur propre exploitation, de la variété protégée […] »

Cette notion de « limites raisonnables » a été précisée au cours de la conférence diplomatique de 1991, qui a élaboré la recommandation suivante : « La conférence diplomatique recommande que les dispositions figurant à l’article 15-2 de la convention pour la protection des obtentions végétales du 2 décembre 1961 ne soient pas interprétées comme ayant pour objet d’ouvrir la possibilité d’étendre la pratique communément appelée "privilège de l’agriculteur" à des secteurs de la protection agricole ou horticole dans lesquels ce privilège ne correspond pas à une pratique courante sur le territoire de la partie contractante en cause. »

Je veux également rappeler les dispositions du règlement européen du 27 juillet 1994, qui a limité l’autorisation de la pratique de la semence de ferme à 21 espèces majeures, pour les certificats d’obtention végétale délivrés au niveau européen, ce qui s’avère plus restrictif que les termes fixés par la convention de l’UPOV. Or, si l’Union européenne a adhéré à la convention de l’UPOV en 2005, elle n’a pas actualisé les termes du règlement européen de 1994.

En France, il apparaît que la pratique courante des semences de ferme s’étend à davantage de semences que les 21 mentionnées par le règlement européen. L’article L. 623-24 du code de la propriété intellectuelle, introduit par la loi du 8 décembre 2011, précise que le Gouvernement peut, par décret en Conseil d’État, élargir à davantage d’espèces de semences la restriction des droits des obtenteurs. Ce décret, en préparation depuis la première lecture du présent texte au Sénat, n’est toujours pas achevé et n’a pas été communiqué à votre rapporteur, pas plus, je pense, qu’à quiconque ici présent.

C’est pourquoi l’alinéa 3 du présent amendement est un appel au Gouvernement, pour qu’il précise de manière claire ses intentions. Peut-il nous assurer que la pratique courante de semences de ferme en France sera toujours possible ? Quelles sont les espèces visées par le projet de décret en préparation ? Comment s’assurer que ce projet est compatible avec le droit européen et international ?

En outre, l’alinéa 4 de l’amendement a pour objet de préciser, dans le cadre d’une rédaction a minima, qu’en aucun cas, l’utilisation de semences de ferme visées par le règlement et par le décret ne peut être qualifiée de contrefaçon.

Ainsi énoncée, en des termes peut-être un peu complexes, la dimension juridique de l’ensemble de ce dispositif justifie, selon moi, l’amendement qui vous est présenté, à propos duquel je souhaiterais qu’une explication nous soit apportée par le Gouvernement.

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