Intervention de Cécile Claveirole

Réunion du 22 février 2017 à 9h30
Commission des affaires économiques

Cécile Claveirole, membre du Conseil économique, social et environnemental, CESE :

Merci pour toutes ces questions qui montrent votre intérêt pour ce rapport.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la formation. Nous recommandons de former les agriculteurs, mais aussi tous les techniciens et conseillers qui travaillent sur l'agriculture. Quand on étudie un dossier d'installation, il est très important d'avoir d'autres critères de lecture. Pour avoir travaillé dans une association départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, je sais qu'il existe différentes grilles de lecture, dont certaines ne sont pas forcément adéquates pour changer de modèle.

La formation des formateurs est également extrêmement importante. J'ai aussi travaillé en lycée agricole, en centre de formation d'apprentis et en centre de formation professionnelle et de promotion agricole. En milieu ou en fin de carrière, certaines choses apprises à l'école sont caduques, et la curiosité ne suffit pas à assurer la formation continue sur tous les sujets. Il faut proposer une formation intensive des formateurs et des professeurs.

Les lycées agricoles doivent être intégrés dans les plans régionaux d'agriculture durable et les projets alimentaires territoriaux. C'est une façon de les mettre autour de la table et de leur donner des moyens que certains ont complètement perdus. Je connais un lycée agricole qui n'a pas les ressources nécessaires pour payer les bus qui permettraient de sortir les élèves. Avec un tel niveau de ressources budgétaires, comment le lycée agricole pourrait-il avoir un projet de territoire à faire valoir ? Il faut leur rendre leur rôle d'exemplarité.

Sur la question de l'artificialisation des terres et du stockage de carbone, je vous renvoie à l'avis du CESE de mai 2015 sur la bonne gestion des terres agricoles, dans lequel nous avions fait des propositions pour lutter contre l'artificialisation des sols et protéger leur fertilité. La question du retour du carbone est cruciale. Dès lors qu'on parle de politique énergétique, il y a un risque de retirer le carbone du sol ; la question est de trouver les bons équilibres. Les chercheurs y ont travaillé et ont obtenu des résultats qui devraient pouvoir être partagés dans des lieux de discussion qui restent à créer ; chacun pourrait ainsi déterminer la part de carbone à restituer au sol et celle qu'il est possible de prélever pour en tirer une ressource énergétique. Quant à l'artificialisation, diverses recommandations figurent dans l'avis de 2015 concernant les SCoT, les PLU, la formation des élus, la valeur agricole ou encore l'inclusion de la valeur agronomique des sols dans les documents d'urbanisme. Les plans locaux d'urbanisme intercommunal permettent d'étudier les dossiers à une échelle plus grande que celle de la commune.

S'agissant de la recherche, nous ne préconisons pas de regrouper les instituts, mais de faire en sorte qu'ils travaillent plus ensemble. Ils le font déjà depuis dix ans : le rapport de l'Agence nationale de la recherche sur l'agroécologie montre le niveau d'interdisciplinarité qui est déjà pratiqué. Il faut continuer en ce sens et développer l'interdisciplinarité entre les chercheurs et les agriculteurs, et expérimenter directement sur le terrain avec les agriculteurs. Le PDG de l'INRA est totalement favorable à une telle évolution. Des chercheurs de Dijon ont mis en place des indicateurs de fertilité des sols avec des groupes d'agriculteurs ; ils apprécient de travailler directement avec eux, car cela leur apprend énormément.

Sur l'OMC et l'Europe, je serai auditionnée le 14 mars par le Comité économique et social européen sur l'avis que je vous présente aujourd'hui, et je m'entretiendrai également avec une personne de la direction générale de l'agriculture. Comme vous le savez, la réflexion sur la PAC 2020 est en cours. Les agricultures au sein de l'Union européenne sont tellement différentes qu'il sera compliqué de créer un outil utile à tout le monde. L'idée est de faire émerger la notion d'agroécologie en la liant à l'alimentation et à l'environnement. Mais nous sommes un pays parmi les autres, et il faut tenir compte de la diversité de l'Europe.

En matière d'exportation, nous devons faire valoir la qualité de nos produits. Comment pourrions-nous être compétitifs sur des produits comme le blé ou le porc, qui peuvent être produits à des coûts très inférieurs dans d'autres parties du monde ? Faut-il nous battre pour rester compétitifs, ce qui n'est pas possible sans abandonner le modèle social auquel nous tenons et notre organisation actuelle ? Réfléchissons plutôt au moyen de nous positionner sur des marchés où la qualité de nos produits serait reconnue – par l'absence de pesticides, pour le respect du bien-être animal ou de l'environnement. Nous avons plus à défendre de cette façon qu'en continuant de nous battre sur les coûts. Les éleveurs de porcs bretons ont fait disparaître ceux du Sud-Ouest quand ils se sont développés, mais ils sont en difficulté à leur tour. Comment continuer de produire à perte ? Sur le marché mondial, d'autres producteurs savent faire moins cher. Pas mieux, moins cher !

Je ne pense pas que les productions agroécologiques soient plus soumises aux aléas climatiques. En diversifiant les productions, la sensibilité aux aléas climatiques est réduite. Quand une production est affectée par une année trop humide ou trop sèche, il est possible de se rattraper sur une autre production. Celui qui place tous ses oeufs dans le même panier n'a que ses yeux pour pleurer en cas de mauvaise année, comme ce fut le cas pour les céréales l'an dernier.

L'organisation territoriale doit s'appuyer sur les outils qui existent dans la loi : les plans régionaux d'agriculture durable et les projets alimentaires territoriaux. Le rapport suggère de rapprocher ces programmes, mais il nous a été répondu qu'ils ne recouvraient pas exactement les mêmes choses. Peut-être est-il néanmoins possible de bâtir des ponts.

L'utilisation de pesticides augmente en France. Si une légère baisse a été constatée l'an dernier, c'est après plusieurs années consécutives de hausse. Cela veut dire que la politique menée jusqu'à présent, en dépit de tous les acquis relevés par M. Dominique Potier et dont je prends note, n'offre pas les bons outils.

Pour moi, l'agroécologie va plus loin que l'agriculture écologiquement intensive parce qu'elle se base sur le travail avec la biodiversité environnante. Pour utiliser cette biodiversité, et donc moins recourir aux pesticides ou utiliser des pesticides naturels, nous devons recréer de nouveaux équilibres naturels dans l'environnement de la production agricole. Cela implique de replanter des haies et des arbres là où c'est possible, et parfois de réduire la taille des parcelles. Cette biodiversité vient en aide à la production agricole.

L'agriculture française est une réussite : il fallait produire plus, elle l'a fait. Mais elle se trouve aujourd'hui dans une impasse environnementale, ayant atteint les limites du système. Il faudrait utiliser toujours plus de produits, ce qui joue contre les sols. D'où la nécessité de réfléchir à d'autres modes de production, moins utilisateurs de produits, plus soucieux de la résilience et de la vie des sols pour apporter une nouvelle fertilité. Pour cela, il faut utiliser moins de pesticides. Nous avons le choix entre un cercle vertueux et un cercle destructeur ; choisissons de nous intégrer dans le cercle vertueux !

On constate une meilleure résilience des exploitations qui ont mis en place l'agroécologie, grâce à leur plus grande diversification. Elles sont moins soumises aux aléas climatiques ou économiques.

Pardonnez-moi si je n'ai pas répondu à toutes vos questions ; en tout cas, je vous remercie de toutes vos remarques et commentaires.

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