Intervention de Michel Zumkeller

Réunion du 6 novembre 2013 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Zumkeller, co-rapporteur :

Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à trois pays, l'Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria. Il fallait faire des choix et nous avons opté pour les plus prometteurs sur le plan de l'émergence, ceux qui ont vocation, plus que d'autres, à jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale ou régionale. Nous avons réalisé près d'une trentaine d'auditions, et effectué un déplacement au Kenya et en Afrique du Sud.

Notre rapport se présente en trois volets. Tout d'abord, un regard général sur l'Afrique et ses perspectives, notamment économiques : il y a un afro-optimisme ambiant chez beaucoup de spécialistes, et parfois l'affirmation que l'Afrique toute entière est en train d'émerger. Nous avons cherché à voir ce qu'il en était réellement avant de faire un focus sur l'Afrique anglophone, sur les forces et faiblesses des trois pays que nous avons retenus. Le rapport s'achève sur une analyse du positionnement de la France.

Même s'il y a émergence ou pré-émergence pour certains pays, l'Afrique est encore le continent du sous-développement : c'est la région la plus pauvre, où se trouvent les inégalités les plus fortes, où la violence et la mauvaise gouvernance sont les plus fréquentes et les progrès de la démocratisation les plus lents. C'est en Afrique où les indices de développement sont les plus faibles, et où les progrès en matière d'OMD ont été les plus lents et restent insuffisants.

En même temps, l'Afrique est aujourd'hui la région la plus dynamique. L'Amérique latine et l'Asie sont en phase de décélération et révisent à la baisse leurs prévisions, après avoir connu des taux de croissance particulièrement forts dans les années antérieures. A l'inverse, l'Afrique a traversé la crise mieux que les autres continents. Elle a fait preuve d'une résilience que l'on explique par plusieurs facteurs : la démographie, qui tire la demande intérieure, l'émergence de classes moyennes, et surtout, l'importance des exportations de matières premières, notamment vers les BRICS. Sur le continent, les meilleures performances économiques sont celles de pays qui sont richement dotés par les hasards de la géologie. De nombreux analystes et institutions internationales voient aujourd'hui l'Afrique dans la position de la Chine et de l'Inde il y a 20 ou 30 ans et considèrent que les conditions de son décollage sont réunies. Certains estiment qu'en 2050, le PIB africain sera équivalent à celui des Etats-Unis et de l'Union européenne cumulés. Il y a une réelle confiance envers le continent, malgré ses handicaps et difficultés, qui se traduit notamment par le fait que les investissements étrangers sont sans cesse plus nombreux.

Nous sommes pour notre part prudents car la croissance même très élevée reste encore insuffisante pour compenser les effets de la démographie et avoir un véritable impact sur la baisse de la pauvreté ; également parce que la croissance, tirée par les exportations de matières premières, reste fortement dépendante de la demande extérieure et insuffisamment créatrices d'emplois. C'est d'ailleurs essentiellement vers le secteur minier que se dirige la majeure partie des investissements. La croissance est fragile et devrait être consolidée, d'autant que l'Afrique pâtit encore du fait d'avoir des ressources humaines peu formées, et de rester peu compétitive.

Dans ce tableau, comment se situent les pays d'Afrique anglophone ? L'Afrique du Sud est le géant économique incontestable et incontesté du continent, avec des ambitions diplomatiques fortes, au plan régional. La puissance économique de l'Afrique du Sud repose avant tout sur l'exploitation de ses matières premières, mais aussi sur un secteur industriel bien plus développé que celui de n'importe quel autre pays africain. Il y a un très bon tissu d'infrastructures, même s'il est très insuffisant. Ce sont des facteurs qui font la différence. En même temps, l'Afrique du Sud est le plus petit des BRICS et accuse un retard considérable sur les autres émergents ; son PIB est quatre fois inférieur à celui de l'Inde. C'est surtout pour des raisons politiques plus qu'économiques qu'elle a été cooptée par les BRICS. En outre, l'Afrique du Sud présente des faiblesses qui ont un impact sur ses performances économiques, parmi les plus modestes du continent. Ce n'est pas en Afrique du Sud qu'il y a le meilleur dynamisme. Les tendances macroéconomiques sont préoccupantes sur le long terme, et son poids économique diminue. L'Afrique du Sud reste néanmoins le moteur économique de la région, compte tenu de son avance, mais souffre aussi de handicaps importants. C'est aujourd'hui le pays le plus inégalitaire au monde, avec des inégalités croissantes, en proie à des tensions sociales extrêmement fortes, que le drame de Marikana l'an dernier a mis en lumière. Des faiblesses graves ont un impact sur son développement économique et social, comme celle de son système d'éducation, hérité de l'apartheid. 20 ans de gouvernement de l'ANC n'ont pas réussi à inverser un certain nombre de facteurs et la tendance semble donc durablement inscrite d'une érosion des positions économiques du pays.

Le Nigeria est également un pays en proie à des difficultés majeures : géant d'Afrique, pays le plus peuplé du continent, il sera au 3e rang après l'Inde et la Chine en 2050, avec 400 millions d'habitants. Coexistent au Nigeria un Nord aux caractéristiques sahéliennes, et un Sud avec une mégapole ultramoderne : Lagos, dont le PIB équivaut à celui du Sénégal, de la Côte d'Ivoire et du Cameroun réunis. Pays membre de l'OPEP, dixième producteur de pétrole, le Nigeria doit cependant importer pour sa consommation, compte tenu de l'état de ses infrastructures de raffinage. Les tensions sont particulièrement vives entre les régions productrices d'hydrocarbures, sur le delta du Niger, très pollué, et les régions de l'intérieur en manque de retombées de la manne pétrolière. La violence terroriste de Boko Haram au Nord et du MEND au Sud est un problème particulièrement grave. Cela étant, le Nigeria est aussi un « Eldorado » que tout le monde considère comme un pays d'avenir, au dynamisme étonnant, dans lequel il est impératif d'être présent, politiquement, économiquement, si l'on entend exister en Afrique.

De son côté, le Kenya a surmonté une crise post-électorale majeure en 2008. Il se trouve dans un environnement régional difficile avec la Somalie au Nord et la violence terroriste qui en découle sur son territoire, comme on l'a vu avec l'attaque contre le centre commercial de Nairobi. Un pays à deux vitesses, avec la moitié de la population vivant sous le seuil de pauvreté dans les zones les plus déshéritées mais des centres de recherche et des facultés de médecine de niveau international, où l'utilisation des technologies de l'information est remarquablement développée. Le Kenya a des ambitions économiques régionales très fortes et entend se positionner comme le hub économique de la région d'ici à 2030.

Les pays d'Afrique anglophone présentent donc des contrastes internes particulièrement aigus, des défis politiques, économiques, sociaux, à surmonter, mais aussi des performances impressionnantes, un dynamisme remarquable, des réformes qui portent leurs fruits, des économies qui se modernisent et se diversifient ; ils ont de fortes ambitions sur les plans politique et économique, et sont des pays avec lesquels il va falloir compter, dont notre pays ne peut rester à l'écart.

Le dernier volet du rapport analyse nos positions aujourd'hui sur le continent et spécialement, dans la partie anglophone. Sans surprise, la relation politique de la France est plus dense avec ses partenaires traditionnels, et ses positions sont meilleures en Afrique francophone qu'en Afrique anglophone. En termes de parts de marché, de présence des entreprises, de relations politiques, la comparaison est toujours à l'avantage du « pré carré » francophone. Si les parts de marché sont faibles, en diminution, si la France perd du terrain par rapport à ses partenaires européens, les volumes d'échanges augmentent cependant. Les investissements en Afrique anglophone sont également modestes. Ce sont essentiellement les grands groupes français qui sont à la fois les acteurs de notre commerce extérieur et qui sont présents par leurs investissements, parfois très anciens, sur les secteurs traditionnels que sont les transports, les industries pétrolières, chimiques, pharmaceutiques, le BTP. On retrouve donc des entreprises comme Total, Areva, Bolloré, Bouygues, Sanofi-Aventis, Alstom, Lafarge, et d'autres dans les différents pays concernés.

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