Intervention de Noël Mamère

Réunion du 6 novembre 2013 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère, co-rapporteur :

Notre étude n'a pas porté sur l'ensemble des pays émergents ni sur l'ensemble de cette partie de l'Afrique qui est appelée à un développement très important. Nous aurions pu aller en Tanzanie, en Angola ou au Mozambique dont l'avenir est aussi des plus prometteurs, lié aux ressources de gaz et de pétrole dont ils disposent. Notre vision est donc un peu parcellaire mais met néanmoins en évidence, au moment où l'on connaît des difficultés en Afrique de l'Ouest, le profond déséquilibre de notre politique africaine : une forte présence en Afrique francophone et une quasi absence d'Afrique anglophone.

Même s'il reste des inégalités internes très profondes, des indices de sous-développement très forts, on y voit émerger des classes moyennes, et l'on y repère tous les indicateurs qui marquent les pays émergents, quant à la consommation de biens, à l'éducation, au développement de ressources en matières premières. Les pays que j'ai cités sont appelés à une véritable explosion économique, comme l'est de son côté le Ghana.

Nous devons avoir, nous-mêmes et l'Europe, une conception de nos relations qui tienne compte de la responsabilité sociale et environnementale. Le Nigeria par exemple, devrait passer de 150 millions d'habitants à 400 en 2050 ; dans 30 ans, l'Afrique, Est et Ouest confondus, aura une génération de quelque 500 millions de jeunes, équivalent à la population européenne d'aujourd'hui. Tenir compte de cette réalité doit nous inciter à revoir nos politiques de développement et d'accompagnement de l'avenir de ces pays si l'on veut prévenir des problèmes futurs d'immigration.

Nous devons réviser les images erronées que l'on peut avoir de ces pays : l'Afrique du Sud est structurellement le plus important de l'Afrique subsaharienne, elle a des ambitions diplomatiques et tend à s'imposer sur le continent, comme elle l'a fait en République centrafricaine, ce qui a suscité des problèmes au niveau interne au président Zuma, mais il faut cependant savoir qu'au Zimbabwe voisin, le niveau d'éducation est y est bien supérieur, de sorte que beaucoup de travailleurs zimbabwéens occupent en Afrique du Sud des postes qualifiés, faute de ressources humaines nationales suffisantes. L'éducation est une des forces du Zimbabwe, malgré la longue dictature de Mugabe, comme elle l'est aussi au Kenya, malgré ses problèmes interethniques graves, qui ont conduit le Président Kenyatta devant la CPI. En d'autres termes, malgré la corruption, les inégalités, le niveau d'éducation s'accroît dans plusieurs de ces pays ; cela offre des perspectives d'avenir. Des classes moyennes vont se développer ; les demandes changent et notre pays devrait pouvoir jouer un rôle de passerelle entre cette Afrique australe et l'Afrique francophone. Il faut tenir compte d'une demande très forte de relations politiques plus étroites avec les pays d'Afrique francophone.

Nos propres relations politiques sont très faibles : le Président de la République est allé en Afrique du Sud récemment. Alstom a signé un contrat historique à cette occasion, mais c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Nos relations sont en fait assez pauvres, à la mesure des moyens que nous consacrons à ces pays anglophones. Il faut savoir par exemple que les moyens humains de l'ambassade de France au Bénin sont plus importants que ceux de notre ambassade en Afrique du Sud, qui sont en baisse. Le même constat se fait avec le Nigeria, malgré son expansion économique et la récente visite de Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Alors même que l'on parle de diplomatie économique, on peut aussi regretter le fait que les relations politiques que nous avons avec les pays africains soient exclusivement le fait du MAEE et que le ministre de l'économie ne se rende jamais en Afrique, et notamment pas en Afrique anglophone. Nous recommandons que dans ces pays où il y a un très fort potentiel, la France soit plus présente, en particulier sur le plan économique. Elle devrait s'inspirer de cette pratique anglo-saxonne d'avoir des secrétaires d'Etat spécifiquement délégués à ces pays, comme le font le Royaume-Uni ou l'Allemagne.

Le second constat d'ordre économique tient au fait que les entreprises qui sont présentes dans ces pays sont toujours les mêmes : les grands groupes français, Total, Alstom, Bouygues, Thales, EDF. Inversement, l'ambassadrice de RFA au Kenya nous expliquait la très forte présence des PME allemandes. Les PME françaises sont en revanche absentes, faute de soutien institutionnel à l'exportation suffisant de la part de nos dispositifs, comme celui que les Allemands ont su mettre en place avec l'IPEX, dédié à ce soutien. L'écologiste que je suis est sensible au fait que le Kenya axe en partie son développement sur les énergies renouvelables ; l'AFD fait un travail fort important sur ces questions en soutenant la filière géothermique, mais ce sont les Allemands qui sont présents sur le scolaire et les énergies renouvelables au Kenya. Si la Françafrique est toujours de mon point de vue très présente en Afrique de l'Ouest, dans ces régions anglophones, c'est la Chinafrique qui s'est imposée, notamment sur les grands chantiers d'infrastructures. Pour autant, je ne crois pas que cette présence soit indéfinie ni appelée non plus à submerger la France et les autres pays européens, compte tenu des conditions dans lesquelles la Chine intervient sur le continent sans chercher à améliorer les conditions des populations ni à redistribuer les richesses qu'elle en retire.

Nous avons un rôle à jouer en matière d'éducation, de santé. Sanofi est très présente en Afrique du Sud mais cela ne suffit pas : il y a des problèmes très importants de pandémies à traiter. Inspirons-nous de ce que Amartya Sen a écrit quant aux indices de développement humain pour contribuer à répondre à ces défis, tout en retirant les avantages économiques qu'il se doit de notre aide, de notre relation et de notre présence, et de notre action en faveur de la dignité des hommes.

Avec Michel Destot, au conseil d'administration de l'AFD, nous avons par exemple voté contre le projet d'aide à l'extension de l'aéroport d'Addis Abeba qui consistait en l'agrandissement des hangars destinés à entreposer les fleurs coupées dont on sait dans quelles conditions de travail insupportables les ouvrières les produisent.

Il faut se battre également contre ces fléaux sociaux et écologiques, contre l'accaparement des terres, notamment en Ethiopie, où les petits propriétaires sont expulsés au profit de cultures extensives, de la canne à sucre, au détriment des cultures vivrières. Jean-Christophe Belliard est de ceux qui ont insisté sur le fait que nous devions être attentifs à ces problématiques. De même est-il important que nous ne contribuions pas à la dévastation d'un pays comme la Tanzanie qui exploitera bientôt des richesses importantes.

Beaucoup de lieux communs peut-être dans tout cela mais aussi le constat de notre grande faiblesse politique dans ces pays d'Afrique anglophone qui se tournent pour le moment vers leurs anciens colonisateurs, vers la Chine aussi, faute de partenaires solides. Il est impératif que nous augmentions notre présence politique et économique. Que nous nous inspirions de l'Allemagne dans ses mécanismes de soutien à l'exportation pour ses entreprises, qu'Ubifrance soit plus présente, même si elle vient de s'installer au Kenya il y a quelques semaines. Il faut accroître sa présence en Afrique anglophone, qu'un rapprochement se fasse, semble-t-il en train de se dessiner, entre la BPI et Ubifrance, pour plus de moyens et d'efficacité. Il faut aussi profiter de l'extension de la compétence géographique de l'AFD qui vient d'être décidée ; l'agence est d'ores et déjà très présente au Kenya et en Afrique du Sud, où elle intervient très opportunément à Soweto et à Johannesburg dans la réhabilitation d'habitats sociaux occupés par des populations noires. La France doit poursuivre en ce sens, dans une perspective d'action économique sans oublier les problématiques sociales.

Sur le plan culturel, si je faisais un micro-trottoir, ceux d'entre nous qui ont vraiment entendu parler ou vu des spectacles proposés lors de la saison sud-africaine en France seraient-ils si nombreux ? Cela pour dire que nous avons des initiatives culturelles remarquables, innovantes, mais qui restent d'un impact limité. Il faudrait savoir en améliorer la visibilité. Dans le même esprit, nous devons faciliter les échanges universitaires. Nombre d'étudiants ont naturellement tendance à aller vers les universités anglophones mais il y a aussi une demande de France et cela suppose que nous sachions y répondre, de faciliter l'accès et d'améliorer nos politiques d'immigration et le statut des étudiants étrangers dans notre pays.

Je terminerai en répétant que les pays d'Afrique anglophone vont connaître une très forte évolution économique, une explosion, en termes d'importance des classes moyennes, de population, de niveau d'éducation. Il nous faut sortir des images d'Epinal : le Masaï, au Kenya, a aujourd'hui en mains un Smartphone, sur lequel il reçoit les virements que lui fait son cousin de Nairobi, car le e-banking a fait des progrès remarquables dans ce pays. Tout cela pour dire que des étapes ont été franchies par rapport à nous ; c'est la même chose en matière de commerce où l'on passe directement au commerce en ligne sans étape intermédiaire. En d'autres termes, il faut nous adapter, changer notre regard et améliorer notre présence politique et culturelle ; nous ne pouvons absolument pas être absents de cette région d'Afrique. Nous en tirerons profit, c'est de notre intérêt, tout en essayant de faire en sorte que ces pays ne soient pas dans 20 ans ce que René Dumont avait craint, c'est-à-dire mal partis. L'Afrique n'est pas mal partie, mais il faut changer notre regard, notre politique de développement vis-à-vis de pays qui ont sans doute beaucoup à nous apporter.

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