Intervention de Jérôme Bonnafont

Réunion du 27 avril 2016 à 18h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Jérôme Bonnafont, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères :

Je concentrerai mon intervention liminaire sur les aspects purement diplomatiques de la lutte contre le terrorisme.

Tout d'abord, on peut dire, de façon très générale, que l'on a pu observer au cours des derniers mois un changement d'atmosphère s'agissant de la lutte contre Daech. De fait, alors que sa progression paraissait difficilement résistible, on constate que la contre-offensive enregistre des succès grâce à la combinaison des forces de la coalition et des forces nationales irakiennes en particulier. Il me paraît important de souligner ce changement d'atmosphère pour expliquer la manière dont se situe notre diplomatie dans ce contexte.

En ce qui concerne la Syrie, nos motivations sont doubles : d'une part, obtenir des succès décisifs contre Daech et Jabaht al-Nosra (JAN), les deux grands groupes terroristes actifs sur le territoire syrien et, d'autre part, aboutir au règlement politique des affrontements armés qui ont fait, au cours des cinq dernières années, plusieurs millions de réfugiés et de déplacés et, selon l'envoyé spécial de l'ONU, 400 000 victimes. À cet égard, monsieur le président, vous avez mentionné à juste raison la résolution 2254 de l'ONU, adoptée en décembre 2015, qui prévoit un mécanisme de négociation politique pour tenter de régler la question syrienne. C'est dans ce cadre que se réunissent, depuis l'automne, à Vienne et maintenant à Munich, les principaux protagonistes régionaux, dont l'Iran, ainsi que les États-Unis et la Russie, qui sont en dialogue, la France et un certain nombre d'autres pays européens participant de façon extrêmement active à ces discussions.

La résolution, qui se fonde sur les conclusions d'une ancienne conférence de Genève, prévoyait un cessez-le-feu qui devait conduire à l'engagement d'une négociation sur la transition politique de façon à mettre en place un organe de gouvernement intérimaire capable de préparer les arrangements pour la Syrie de demain. Après le vote de cette résolution, une cessation des hostilités a été obtenue à Munich au mois de mars, avec trois éléments concomitants : cessation des hostilités, sauf contre Daech et Jabaht al-Nosra, accès de l'aide humanitaire à un ensemble de sites assiégés, essentiellement par le régime, et ouverture par l'envoyé spécial des Nations unies, Staffan de Mistura, de négociations entre le régime et la coalition d'opposants réunie à l'issue de la conférence de Riyad, qui rassemble l'opposition non terroriste, qu'il s'agisse d'opposants politiques de l'étranger ou de groupes armés de l'intérieur.

Au début, les choses se sont passées de façon relativement prometteuse, puisque les combats, notamment les bombardements, ont cessé, l'aide humanitaire a commencé d'avoir accès à certaines villes et Staffan de Mistura a réuni les deux délégations à Genève. Mais, depuis quelques jours, elles se sont à nouveau dégradées de façon sérieuse. Tout d'abord, l'aide humanitaire n'accède plus que de façon très parcellaire à l'ensemble des villes où elle devait arriver. Ensuite, si l'opposition est arrivée avec des propositions politiques et constitutionnelles jugées intéressantes et constructives par Staffan de Mistura, en revanche le régime n'a mis sur la table aucune forme de proposition politique. Enfin, le régime a repris ses offensives, en particulier contre Alep, en prétendant se concentrer sur les forces de Jabaht al-Nosra mais en causant des dégâts civils et en ciblant d'autres groupes, ce qui constitue une infraction à la cessation des hostilités. La délégation de l'opposition a donc décidé de suspendre sa participation aux négociations, et la communauté internationale recherche actuellement les moyens de relancer la dynamique diplomatique. Aujourd'hui même, Staffan de Mistura doit s'exprimer devant le Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation pour que celui-ci l'apprécie et étudie les moyens d'aller plus loin.

Cette situation est, selon nous, préoccupante du point de vue de la lutte contre Jabaht al-Nosra et Daech. En effet, le Gouvernement estime que la mobilisation des efforts contre ces groupes terroristes ne peut être efficace et définitive tant que la discussion politique n'aura pas accompli un progrès décisif permettant de tourner la page de la guerre civile en Syrie. L'arrêt des négociations retarde, bien entendu, le moment où l'ensemble des forces syriennes réconciliées pourront se tourner contre Daech. Dans le cadre des contacts que nous avons avec l'opposition, nous lui demandons de mobiliser ses forces contre Daech également, ce qu'elle a accepté à certaines conditions. En tout état de cause, nous pensons qu'il faut trouver le moyen de renouer la discussion politique.

En ce qui concerne l'Irak, vous avez sans doute constaté que le gouvernement de ce pays a connu, ces derniers jours, des difficultés politiques importantes. Ces difficultés sont liées au fait que le Premier ministre, M. Abadi, a souhaité nommer un nouveau gouvernement de « technocrates », dans le contexte d'importantes manifestations organisées par le mouvement dit « sadriste » – du nom d'un des chefs religieux chiites – autour de la zone verte à Bagdad. Ce nouveau gouvernement a été présenté au Parlement, qui ne l'a pas accepté comme tel, estimant notamment que le Premier ministre ne devait pas céder à la pression de la rue. Après des négociations compliquées et une certaine agitation parlementaire, le Premier ministre a pu faire adopter une partie de son remaniement ministériel, repoussant l'autre partie à plus tard.

Qu'en est-il de la réconciliation nationale ? Cette agitation populaire est due au fait que, depuis quelques mois, les réformes marquent le pas, faute pour le Gouvernement de parvenir à les faire adopter par le Parlement. Le remaniement avait pour but de remédier à cette situation puisqu'il s'agissait de constituer un gouvernement capable de soumettre plus rapidement un certain nombre de projets au Parlement. Nous continuons à plaider, dans le cadre de nos contacts politiques avec le gouvernement irakien, pour que la réconciliation nationale soit conduite de façon dynamique. Nous avons également intensifié notre coopération militaire avec ce gouvernement, et nous menons dans le cadre de la coalition de lutte contre Daech et au plan européen une politique d'aide à la stabilisation, qui consiste dans le rétablissement des services publics et de la concorde civile dans les villes reprises à Daech.

On ne peut pas ignorer la situation au Kurdistan, particulièrement affecté par la crise économique profonde qui résulte de la baisse des cours du pétrole. Le Kurdistan connaît, en outre, une crise politique due à la décision du président du gouvernement de prolonger son mandat, hors cadre constitutionnel et au débat avec les deux grands partis – Goran, qui était dans sa majorité jusqu'à récemment, et l'UPK, qui est dans l'opposition –, qui porte sur le point de savoir comment se fera la normalisation institutionnelle. Mais, parallèlement à ces difficultés politiques, les progrès de la lutte contre Daech ont produit un changement d'atmosphère. J'étais à Bagdad il y a quelques semaines, et j'ai été frappé de constater à quel point l'ensemble des dirigeants politiques – chiites, sunnites et kurdes – sont déterminés à faire en sorte que la lutte contre Daech progresse rapidement, avec pour objectif, désormais, la reprise de Mossoul.

S'agissant de la Libye, le Gouvernement était préoccupé notamment par le fait que l'instabilité politique qui prévalait jusqu'à tout récemment favorisait l'extension de l'emprise de Daech, en particulier à Syrte, avec une agressivité notable contre les bases pétrolières et les terminaux pétroliers, et contre la Tunisie où l'organisation a fait plusieurs incursions. Il était donc urgent que soit mis en oeuvre l'accord politique sur un gouvernement d'entente nationale et un conseil présidentiel qui avait été conclu à Skhirat il y a quelques mois. Avec le nouveau représentant des Nations unies, M. Martin Kobler, et le nouveau premier ministre, M. Sarraj, les choses ont récemment avancé dans la bonne direction. Nous sommes en train de définir avec ce dernier les modalités de sa reprise de contrôle de l'ensemble des administrations publiques et financières et d'entreprendre des discussions sur le type de soutien militaire qui peut être apporté.

Un mot sur le Yémen où la présence d'Al-Qaïda, sous la forme d'AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), et de Daech est très importante et se nourrit de l'instabilité politique et de la guerre qui s'y prolonge. Les discussions de paix qui, sous la pression de la communauté internationale, de l'ONU et de l'Arabie saoudite, ont débuté il y a quelques jours à Koweït sont une bonne nouvelle, d'autant qu'elles s'accompagnent d'un cessez-le-feu globalement respecté par les parties au conflit et doivent aboutir à un processus de réconciliation nationale. Il est clair que, comme la Libye, le Yémen doit être stabilisé politiquement si l'on veut pouvoir lutter efficacement contre Daech.

Il y aurait évidemment beaucoup à dire sur les autres régions, et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur le sujet. Je veux simplement souligner que nous ne nous méprenons pas : les succès militaires enregistrés contre Daech ou Al-Qaïda comme les progrès des règlements politiques ici ou là ne doivent pas nous conduire à sous-estimer l'ampleur de la menace qui demeure. N'oublions pas, en effet, que ces organisations terroristes, lorsqu'elles sont menacées sur le plan militaire classique, ont encore des moyens de représailles par la guerre asymétrique, notamment l'organisation d'attentats tels que ceux que nous avons subis en Europe et que subissent le Koweït, l'Arabie Saoudite ou la Turquie.

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