Intervention de Philippe Errera

Réunion du 27 avril 2016 à 18h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Philippe Errera, directeur général des relations internationales et de la stratégie du ministère de la défense :

Nous avons beaucoup de certitudes totalement réfutées par Poutine ; celle-là en fait partie. Il suffit de voir, grâce à nos propres moyens de renseignement, les localités où la Russie a frappé : l'essentiel de ces frappes ont visé des zones dans lesquelles Daech n'était pas physiquement présent mais où seule l'opposition se trouvait.

Les choses ont néanmoins évolué après l'attentat contre l'Airbus russe au-dessus de l'Égypte, mais à la marge : si nous dressons le bilan de l'intervention russe, l'essentiel des frappes a visé l'opposition et c'est encore le cas aujourd'hui, dans le cadre de l'appui que les forces russes apportent aux forces syriennes. La Russie a mené des frappes contre Daech et le JAN, mais dans une faible proportion. Elle a annoncé son retrait de Syrie au mois de mars dernier. Or nous constatons surtout qu'elle a réaménagé son dispositif, de façon à tirer, de manière assez habile, le bénéfice politique et diplomatique maximal de cette annonce sans pour autant mettre en péril sa présence et son assistance aux forces syriennes. Elle a même renforcé un certain nombre de ses composantes militaires, en particulier les hélicoptères d'attaque.

Quoi qu'il en soit, nous maintenons nos contacts avec la Russie. Le Président de la République s'y est rendu dès le 26 novembre, deux jours après son déplacement à Washington, le ministre de la défense le 21 décembre et le chef d'état-major le 23 décembre. M. Jean-Marc Ayrault, quant à lui, s'y est rendu la semaine dernière, et les contacts entre fonctionnaires se poursuivent. Au plan militaire, nous entretenons des contacts à travers nos services de renseignement militaires respectifs, et, à ma connaissance, la DGSE n'a jamais rompu ses contacts avec les services extérieurs civils russes. Pour autant, l'idée d'une politique de lutte contre Daech partagée avec la Russie est contrariée par le fait que celle-ci n'est pas engagée militairement contre Daech. Par ailleurs, nous estimons que tant que Bachar el-Assad restera au pouvoir, le moteur de l'instabilité en Syrie, qui a nourri Daech et lui a offert ses marges de manoeuvre, demeurera. Dès lors, tant que la Russie ne s'engage pas de manière entière dans une transition crédible, qui implique que Bachar el-Assad ne soit pas à la tête des autorités syriennes, notre effort de lutte contre Daech restera fortement contraint.

S'agissant de la fermeture de l'ambassade à Damas, je laisserai répondre M. Bernard Bajolet que vous entendrez sans doute. Mais je dirai de manière générale que nos services ne dépendent pas que des ambassades, et c'est heureux, pour leurs activités de recueil du renseignement.

J'en viens à la Turquie. Oui, nous constatons des ambiguïtés, des ambivalences, dans la politique turque. Cela dit, nous avons constaté une évolution de la politique turque s'agissant du contrôle de la frontière et, selon nos collègues du ministère de l'intérieur, des combattants français. Pour autant, il nous semble important de poursuivre les efforts diplomatiques et nos contacts avec la Turquie, notamment pour nous assurer que la position turque, dans la lutte contre Daech et, plus globalement, dans son rôle dans la région et sa relation avec Bagdad, ne va pas créer un autre foyer d'instabilité.

Comment évaluer la réalité des frappes ? Nous disposons aujourd'hui de tout un ensemble de moyens que nous n'avions pas en 1999, lors de la campagne du Kosovo, qu'il s'agisse du recueil de renseignements d'origine satellitaire ou des Pod Reco équipant les Rafale ou les Mirage, qui nous permettent de dresser le bilan de nos frappes. En outre, le renforcement de nos échanges de renseignements militaires avec les États-Unis concernant ce théâtre s'est accéléré après les attentats du 13 novembre.

Par ailleurs, si Raqqah est liée à notre sécurité intérieure, c'est parce que c'est là que sont formés des Français pour mener des attentats sur le sol français.

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