Intervention de Patrick Calvar

Réunion du 24 mai 2016 à 18h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure, DGSI :

Nous avons communiqué plus de 9 000 noms au fichier Schengen. Reste que, comme je vous l'indiquais, l'identité ne signifie pas nécessairement grand-chose : vous pensez bien qu'Abaaoud ne se promenait pas avec des documents d'identité à son nom. J'y insiste, nous souhaitons la systématisation de la biométrie. Il conviendra ensuite de croiser les fichiers nationaux et d'y intégrer la base Eurodac et la base des demandeurs d'asile. Si nous ne franchissons pas cette étape, nous irons au-devant de problèmes.

Le système des fiches S est appliqué dans chaque pays ; ensuite, on agit en fonction de la loi nationale, sauf si une procédure judiciaire est enclenchée sur notre territoire, auquel cas nous pouvons demander une assistance, mais, encore une fois, dès lors qu'une enquête judiciaire n'est pas ouverte, nous ne disposons pas de moyens coercitifs. Je le répète, la clef, c'est l'utilisation de la biométrie. Les contrôles, au sein de l'espace Schengen, sont aléatoires, ils ne peuvent pas être systématiques. Abaaoud devait circuler grâce à des papiers qui le lui permettaient sans trop de problèmes, et même s'il avait été arrêté, encore eût-il fallu que l'on relève ses empreintes digitales et qu'on puisse les croiser avec toutes les bases de données.

Vous souvenez-vous de l'individu qui a voulu poignarder un officier de police au commissariat du XVIIIe arrondissement ? On l'a annoncé Marocain, puis Irakien, enfin Tunisien. Il avait été arrêté en Allemagne et au Luxembourg pour des infractions de droit commun. Je me souviens très bien que, alors que sa mère s'exprimait à la télévision en disant que la police avait tué son fils, une partie de nos partenaires pensaient toujours qu'il s'agissait d'un Marocain alors que nous avions confirmation par les Tunisiens eux-mêmes qu'il était ressortissant tunisien.

Nous procédons bien à la consultation de certaines bases mais les différentes lois nationales ne le permettent pas toujours. Prenons l'exemple des fiches S : certains services de sécurité sont dans l'incapacité légale d'en créer. C'est ce qu'il faut changer. Le problème pour l'Europe n'est pas la coopération entre les différents services de renseignement mais sa capacité à disposer d'un droit pénal à peu près identique partout.

La DGSE et la DGSI sont intégrées dans une structure bilatérale. Nous échangeons toutes nos informations en temps réel. Suivant les cas, l'un ou l'autre service joue le rôle de pilote selon que l'individu concerné est en France ou à l'étranger, mais notre stratégie demeure celle du démantèlement judiciaire. La vraie différence avec les pratiques passées est que les deux directions sont, j'y insiste, totalement intégrées. Tous les moyens sont mis en oeuvre pour prendre en compte les individus dont nous savons qu'ils ciblent le sol français. Tout se passe de façon très fluide entre les deux services.

J'en viens à la question de M. Cavard sur les enfants. Les chiffres que je vous ai donnés sont probablement en dessous de la réalité. Honnêtement, je ne sais pas comment nous ferons. Reste que nous ne prenons pas suffisamment conscience de ce phénomène. Beaucoup d'enfants sont nés là-bas et n'ont pas d'existence légale. Ceux qui sont maintenant âgés d'une dizaine d'années sont de véritables dangers ambulants. Même en faisant abstraction de leur implication dans les organisations terroristes, il faut s'interroger sur leur état psychologique. Il faudra donc que nous fassions avec, ce qui signifie que nous sommes encore loin d'être sortis de cette crise.

Autre point : si nous ne lançons pas de réforme territoriale visant à regrouper nos moyens pour renforcer nos capacités de projection, c'est parce que nous attendons que nos collègues du renseignement territorial soient en mesure de couvrir l'ensemble du spectre des signaux faibles, ce qui n'empêche pas que nous communiquions. L'EMOPT représente 14 000 personnes et mon service, qui se situe en haut du spectre, en regroupe quelque 4 000 ; nous sommes par conséquent bien obligés de définir des priorités.

J'en reviens à l'affaire de Bruxelles : ces gens parlaient très clairement mais personne n'interceptait leurs communications ; et quand bien même nous les aurions interceptées, il n'est pas sûr que nous aurions été à même de les déchiffrer. Il s'agit de vrais soldats – nous avons changé de dimension.

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