Intervention de Mikheil Djanelidze

Réunion du 8 février 2017 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Mikheil Djanelidze, ministre des affaires étrangères de Géorgie :

Merci beaucoup pour vos questions, qui montrent une fois de plus tout l'intérêt que vous portez à la Géorgie et à la région, ainsi que la connaissance que vous avez des développements qui les concernent.

Je commence par la question des territoires occupés, qui a été abordée par plusieurs d'entre vous.

Nous essayons d'avoir un dialogue constructif avec la Fédération de Russie, dans le cadre de différents formats, notamment les négociations que nous menons à Genève. En 2012, nous avons ouvert un nouveau canal de discussion, entre le représentant spécial du Premier ministre géorgien et le vice-ministre des affaires étrangères compétent de la Fédération de Russie. Le dialogue par ce canal nous a permis de désamorcer les tensions, de maintenir une certaine stabilité dans les territoires géorgiens occupés, de favoriser les contacts entre les populations, ainsi que les échanges culturels et commerciaux.

Mais, malheureusement, la situation dans les territoires occupés demeure très préoccupante, voire alarmante. Hier, les autorités de fait d'Ossétie du Sud ont annoncé la possible tenue d'un référendum. Ce référendum s'inscrit dans la continuité de la politique mise en oeuvre par la Fédération de Russie depuis qu'elle occupe ces territoires, surtout depuis qu'elle a signé avec leurs autorités de fait, en 2014, de prétendus « traités d'intégration ». Avec ces traités, les Russes sont en train d'absorber ces territoires, de conduire un processus d'assimilation. Leurs structures politiques, économiques, sociales, de défense et de sécurité sont directement subordonnées à Moscou. Les Russes disposent de bases militaires et ont créé, avec les autorités de fait, des structures militaires communes, qui sont opérationnelles depuis cette année.

En ce qui nous concerne, notre politique s'appuie uniquement sur le travail diplomatique, sur des négociations pacifiques. Or, face à cette puissance militaire, il est très difficile de discuter par les canaux diplomatiques. Encore une fois, pour que notre démarche soit couronnée de succès, nous avons besoin du soutien de nos partenaires, notamment de l'Union européenne, de la France, de l'Allemagne et des autres États membres. Toute politique de révision des frontières, que ce soit en Ukraine ou en Géorgie, pourrait mener à des conflits beaucoup plus importants, à une escalade dans d'autres parties de l'Europe. C'est pourquoi nous devons, ensemble, défendre très fermement les principes, les normes et les règles de droit international, qui ont apporté la paix, la prospérité et la possibilité d'un développement stable de nos nations en Europe.

La Géorgie est un pays indépendant et souverain. Son intérêt est de faire partie du monde démocratique, des sociétés libres, de l'Europe libre. Ce choix n'est pas purement politique ou orienté par tel ou tel : c'est le choix du peuple géorgien. J'ai mentionné, dans mon propos liminaire, les siècles d'histoire de la Géorgie et notre volonté de faire partie de cet ordre européen, de participer à la sécurité européenne.

Ce que nous pouvons faire pour favoriser une résolution pacifique du conflit, c'est renforcer la Géorgie, son État et ses institutions démocratiques, autrement dit faire de la Géorgie un véritable État européen. Dans le même temps, nous devons poursuivre le processus de renforcement de la confiance avec les populations qui vivent dans les territoires occupés. Nous le faisons quotidiennement : nous mettons en oeuvre des programmes spéciaux comprenant un volet social, qui offrent notamment des perspectives en matière d'éducation et de commerce. Lors de son discours devant le Parlement, le Premier ministre a déclaré qu'il était ouvert à de nouveaux projets en ce sens avec nos partenaires internationaux.

Quel peut être le rôle de la diplomatie française ? Apporter un soutien constant aux principes internationaux, dans le cadre du dialogue bilatéral et des discussions internationales. La France le fait déjà, et nous apprécierions de travailler encore plus en partenariat avec elle.

Pour notre part, nous veillons, pour toute question ou problème concernant les relations avec notre pays, à assurer chacun d'entre vous que la Géorgie s'engage pour les valeurs auxquelles nous croyons tous, et que nous avons les mêmes intérêts : la paix et la stabilité dans la région. Nous avons déjà donné des preuves en ce sens, mais nous ne nous arrêtons pas en chemin : bien que nous fassions face à de grands défis, nous allons continuer à faire porter nos efforts sur les politiques qui font de la Géorgie un partenaire fiable pour vous.

J'en viens à la décision que vous avez évoquée concernant l'OTAN. Il ne s'agit pas seulement, pour la Géorgie, de faire partie de l'alliance militaire, mais aussi de participer à la sécurité transatlantique, de faire partie du monde démocratique, de cette alliance démocratique. Nous savons qu'il y a actuellement des interrogations sur le rôle et l'action de l'OTAN, ainsi que sur la participation des États membres à son développement, mais nous entendons aussi des déclarations en faveur d'un renforcement de l'OTAN et des contributions à l'organisation.

La Géorgie contribue à l'OTAN et à la sécurité transatlantique : nous investissons de manière constante plus de 2 % de notre PIB dans notre défense et nous participons à des missions internationales de l'OTAN. Ramenée au nombre d'habitants, notre contribution à sa mission en Afghanistan est d'ailleurs l'une des plus élevées, y compris du point de vue financier, ce qui n'est pas facile pour un pays tel que le nôtre qui fait face à tant de défis. Mais nous sommes persuadés que nous ne devons pas être un simple bénéficiaire du soutien de l'Alliance atlantique : nous devons apporter notre propre contribution, afin de montrer notre valeur à nos partenaires et amis.

Nous faisons tout pour mettre en oeuvre les mesures prévues par les instruments concrets que l'OTAN met à la disposition de la Géorgie : à travers le programme national annuel – annual national programme (ANP) –, nous conduisons des réformes institutionnelles et démocratiques ; le paquet substantiel OTAN-Géorgie nous aide à bâtir notre appareil de défense, de sécurité et de résilience ; nous menons un dialogue très actif dans le cadre de la Commission OTAN-Géorgie. Grâce à ces instruments concrets, l'adhésion, à terme, de la Géorgie à l'OTAN est un objectif réalisable.

Nous sommes conscients qu'il faut pour cela non seulement une coopération pratique, mais aussi un consensus politique. Nous mettons tout en oeuvre pour créer ce consensus, et faire de la Géorgie un pays digne d'être accepté par l'OTAN. La question n'est pas vraiment celle du réalisme, de la géopolitique ou des intérêts de la Russie, qui ne souhaite pas avoir l'OTAN à ses frontières. Nous savons que les frontières que la Russie partage avec l'OTAN ont été les plus sûres : elles ont apporté la paix, la prospérité et le développement aux régions concernées.

Nous savons qu'il y a eu des résistances analogues dans de nombreux autres cas, mais nous sommes persuadés que la participation de la Géorgie à la sécurité transatlantique est aussi dans l'intérêt de la région, y compris de la Fédération de Russie, car la stabilité dans le Caucase est très importante pour elle. La Géorgie a un rôle important à jouer pour assurer la stabilité dans la région, à travers son processus de démocratisation et son engagement pour les valeurs. L'Europe, la communauté transatlantique et la Russie peuvent y trouver un intérêt commun.

Si nous voulons adhérer à l'OTAN, c'est non pas pour récupérer nos territoires par la force – nous ne nous attendons nullement à ce que l'OTAN combatte pour la réunification de la Géorgie –, mais pour avoir un avenir stable, bâtir une démocratie et un État solides, ce qui est nécessaire au développement futur de notre pays et à la réintégration des territoires occupés. L'adhésion à l'OTAN est, nous le savons, une question très sensible, qui nécessite une discussion approfondie entre différents membres de l'Alliance. Nous sommes déterminés à travailler d'arrache-pied afin que la Géorgie soit prête pour le jour où la décision sera prise.

La question des personnes déplacées internes est l'une des plus sensibles en Géorgie. Elles sont plus de 350 000. Comment le référendum en Ossétie du Sud pourrait-il être considéré comme légal alors que 70 % de la population au moins a quitté ce territoire à cause de l'épuration ethnique ? Il n'existe aucune norme qui permette d'établir la validité d'un tel référendum. Il s'inscrit dans la politique d'annexion menée par la Russie. Il s'agit d'une nouvelle provocation, destinée à entraver le processus de rétablissement de la confiance et de résolution pacifique du conflit que nous avons engagé. C'est pourquoi nous demandons à nos partenaires et aux organisations internationales d'élever la voix pour condamner cette situation et appeler la Russie à respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de ses voisins, leur droit souverain à se développer et à assurer leur stabilité interne. Nous sommes persuadés, je le répète, que ces conflits sont une source d'instabilité et peuvent avoir de graves retombées non seulement pour notre région, mais aussi pour l'Europe dans son ensemble et pour la sécurité européenne.

S'agissant du conflit du Haut-Karabagh, nous avons assisté à une montée des tensions en avril dernier. Le conflit se militarise et peut s'intensifier à tout moment. Nous attachons beaucoup d'intérêt à sa résolution pacifique. Nous entretenons de bonnes relations avec les deux parties, l'Azerbaïdjan et l'Arménie.

Avec l'Azerbaïdjan, nous avons des projets stratégiques dans le domaine de l'énergie, des transports et du commerce, qui ont aussi leur importance pour l'Union européenne. Nous allons notamment accroître la capacité du gazoduc qui traverse l'Azerbaïdjan et la Géorgie. Il reliera les gisements gaziers de la mer Caspienne au gazoduc transanatolien, qui sera lui-même prolongé par le gazoduc transadriatique aboutissant en Italie. Cela permettra de livrer des volumes supplémentaires de gaz à l'Europe. Ces projets ne peuvent pas être menés à bien sans stabilité.

La Géorgie est aussi un pays important pour l'Arménie : le gaz russe lui est livré par un gazoduc qui traverse notre pays ; nous lui offrons un accès à la mer, et sommes donc une voie de transit et de communication avec l'Europe.

Nous avons besoin d'un plan de paix pour résoudre le conflit du Haut-Karabagh. La France prend activement part aux négociations. Selon moi, la communauté internationale, notamment l'Union européenne, devrait s'engager davantage pour soutenir ces efforts. Encore une fois, il ne s'agit pas seulement d'un conflit local : c'est la sécurité de la région qui est en jeu.

Le projet de gazoduc que j'ai mentionné à propos de l'Azerbaïdjan traverse la Turquie. Celle-ci est un acteur important dans la région, un partenaire stratégique pour nous comme pour l'Alliance atlantique. Nous avons tout intérêt à sa stabilité. Nous menons un dialogue politique de haut niveau avec elle, dans différents formats. Le Premier ministre géorgien a été le premier dirigeant étranger à se rendre à Ankara après la tentative de coup d'État. La Turquie a soutenu avec force la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Géorgie. Elle est un partenaire clé pour notre stabilité, notre développement économique et notre intégration dans les structures euro-atlantiques, ainsi que pour la sécurité de la mer Noire.

En résumé, notre région est très importante du point de vue géopolitique. Elle est actuellement volatile. La Géorgie joue un rôle essentiel dans ce contexte. Son intérêt est de soutenir la paix et la stabilité dans la région. Aujourd'hui, elle est un partenaire fiable pour l'Union européenne, qui partage les mêmes intérêts. Nous avons besoin de davantage de coopération et d'engagement pour trouver des solutions pacifiques aux conflits dans la région, notamment pour mettre fin à l'occupation des territoires géorgiens. Ces solutions ne peuvent être fondées que sur les principes et les normes internationaux. C'est la seule formule qui puisse garantir une Europe en paix. À défaut, nous pourrions être confrontés à une escalade sans précédent et à des conflits qui affecteraient non seulement notre région, mais aussi de nombreuses parties du monde.

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