Intervention de Gérard Rameix

Réunion du 24 juillet 2012 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérard Rameix :

Ce que je veux dire, c'est que ces ventes sont risquées. La vente à découvert n'est vraiment gagnante que si elle est pratiquée « en bande », c'est-à-dire par plusieurs hedge funds, dans le but de faire baisser les cours au moyen d'une forme de prophétie autoréalisatrice. En dehors d'une telle hypothèse, la vente à découvert n'est pas forcément néfaste.

Par ailleurs, l'interdiction de vente à découvert laisse entier le problème de l'harmonisation des conditions de réalisation des transactions. En France, par exemple, le titre devra être livré à J + 2, mais au Royaume-Uni, il pourra l'être à J + 8. Si nous voulons discipliner les opérations « short » sur le marché européen, il convient avant tout de trouver un accord sur des conditions de livraison identiques.

Malgré ces réserves d'ordre technique, il est normal que, lorsque le marché est très agité, les régulateurs aient la possibilité d'interdire les ventes à découvert. L'AMF l'a fait en 2008, et je n'hésiterais pas à le faire moi-même si le besoin s'en faisait sentir. Mais ce n'est pas la panacée. Ainsi, si les cours des titres bancaires se sont écroulés en juillet dernier, ce n'est pas seulement à cause des ventes à découvert, mais parce que le marché a pris en compte l'existence, dans le bilan des banques, de titres de dettes libellés en euros dont certains n'étaient peut-être pas dépréciés. Il ne faut pas confondre le symptôme et la pathologie, même s'il est vrai que les ventes à découvert peuvent perturber le marché dans certaines circonstances.

En ce qui concerne les conseillers en investissements financiers – CIF –, la loi adoptée il y a quelques années leur impose d'adhérer à une des associations professionnelles agréées chargées de mettre en place les règles et d'en contrôler l'application. Mais ce sujet doit être repris en permanence. Le conseil financier est un métier très délicat, et tous les conseillers – dont le nombre est élevé – ne sont pas aussi honnêtes et compétents qu'il le faudrait.

J'en viens à la question de la fiscalité. En tant que médiateur du crédit, j'ai beaucoup travaillé sur le financement de l'économie. À la suite des états généraux de l'industrie, j'ai notamment été chargé de créer l'Observatoire du financement, réunissant des représentants du secteur financier, des entreprises non financières et certains experts du secteur public comme Oséo, la Banque de France ou la Caisse des dépôts. Un des problèmes importants est que l'épargnant est prêt à investir sur une faible durée et en prenant peu de risques, alors que l'économie a besoin d'une épargne plus longue et plus risquée. Il est dès lors fâcheux que la fiscalité ait plutôt pour effet d'encourager le placement court et peu risqué. Des travaux importants sont nécessaires pour pouvoir rompre cette tendance.

Dans mon propos introductif, je n'ai pas voulu affirmer que l'AMF n'avait marqué aucun point. Au contraire, j'estime qu'elle a réalisé beaucoup de choses. J'ai simplement exprimé ma frustration de constater qu'en définitive, nous n'avions pas pu nous montrer plus forts que la marée.

Cela dit, j'ai une autre frustration s'agissant des assemblées générales d'actionnaires et de la rémunération des dirigeants. Dans un marché, la réponse normale d'un régulateur consiste à assurer la transparence : si les opérateurs sont bien informés, leurs échanges devraient entraîner la fixation du juste prix. Ce raisonnement, mutatis mutandis, a été appliqué aux rémunérations, dont le montant était ignoré du public jusqu'à la fin des années 1990. L'obligation de publication devait entraîner une certaine discipline dans ce domaine. C'est pourtant le contraire qui s'est produit : à mesure que les rémunérations faisaient l'objet de publicité, leur niveau a augmenté jusqu'à devenir exorbitant. Une solution serait de renforcer les pouvoirs des assemblées générales d'actionnaires et de permettre qu'elles en débattent directement. Mais l'effet d'une telle mesure n'est pas garanti : tout dépendra des grands gérants, qui détiennent la majorité.

« Que faut-il faire ? » me demande Charles de Courson. On peut faire beaucoup de choses.

Tout d'abord, il faut sanctionner dès que cela s'avère nécessaire, ce qui suppose de mener des enquêtes solides et d'argumenter pied à pied devant la commission des sanctions, le juge d'instruction ou le tribunal correctionnel.

J'hésite à parler d'une affaire individuelle comme celle d'EADS, mais il est exact que j'avais ouvert une enquête sur la levée de stocks options par les dirigeants de l'entreprise plusieurs semaines avant que les faits ne soient rendus publics. Notre conclusion était que les personnes mises en cause avaient eu recours à une information privilégiée. Pourtant, après un long débat, la commission des sanctions en a décidé autrement.

Depuis, des ajustements ont été effectués en matière de procédure qui me paraissent pertinents. Nous avions en effet commis une erreur en transmettant au Parlement nos propositions concernant la création de l'AMF. Le fait que l'annulation de certaines sanctions, à la fin des années 1990, ait été rarement motivée par des problèmes de fond nous avait naïvement conduits à penser qu'une simple modification de la procédure était nécessaire. Cela a conduit à distinguer, pour la première fois, l'autorité chargée de l'enquête – le secrétaire général –, de celle qui engage les poursuites – le collège –, ou qui propose les sanctions – la commission des sanctions. Mais nous n'avions pas prévu la possibilité de faire appel, ni même envisagé un dispositif d'accusation convenable. Ainsi, lors de l'affaire EADS, la défense a eu la parole pendant cinq jours, mais l'accusation pendant seulement une demi-heure. La première était assurée par des avocats très bien rémunérés, la seconde par un magistrat fort compétent, mais peu habitué à intervenir dans une instance de jugement. Le déséquilibre au détriment de l'accusation était donc criant.

Ce déséquilibre a-t-il joué dans l'appréciation portée par les membres de la commission des sanctions ? Il conviendrait de le leur demander. Pour ma part, je considère cette affaire comme un échec pour la régulation.

Cela étant, nous parlons d'une procédure contradictoire. Même lorsque les conclusions de l'enquête sont sévères, il est dans l'ordre des choses, dans un État de droit, que la défense l'emporte parfois sur l'accusation.

L'épisode des subprimes illustre la difficulté de s'exprimer à contretemps. Dès 2006, nous avions présenté devant le collège de l'AMF un rapport sur les risques associés à ce type de prêt hypothécaire. À une époque où personne ne connaissait leur existence, un de mes adjoints, Hubert Reynier, avait en effet relevé que les produits structurés représentaient plus de 40 % du chiffre d'affaires des agences de notation, ce qui constituait une véritable dérive.

C'est aussi à cette époque que nous avions souligné les risques pris par les banques et les opérateurs ayant recours à des leveraged buy-out – LBO – aux effets de levier très importants. Mais lorsque le marché s'emballe et que tout le monde est optimiste, de tels avertissements lancés par un régulateur sont très peu entendus. La leçon que j'en tire, c'est que non seulement on ne doit pas hésiter à s'exprimer à contre-courant – contrairement à l'opinion selon laquelle le marché a toujours raison –, mais aussi qu'il faut s'exprimer plus nettement et rechercher des appuis. À l'époque, nous avions posé un diagnostic, mais sans parvenir à ce que la presse s'en fasse suffisamment l'écho.

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