Intervention de Christian Paul

Séance en hémicycle du 12 février 2013 à 21h45
Séparation et régulation des activités bancaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Paul :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le plaidoyer talentueux pour l'inaction prononcé par M. François Baroin, le temps n'est pas à la technique bancaire – nous y viendrons plus tard dans le débat. Ce n'est d'ailleurs pas méconnaître la technique, mais simplement la mettre au service du bien commun.

Ce soir, les seules questions qui doivent nous préoccuper sont les suivantes : qu'est-ce qui est utile et bon pour notre pays ? La démocratie politique parviendra-t-elle à progresser face au marché et à reprendre une partie au moins du terrain perdu ? Nous voulons en effet avec le Gouvernement que cette loi prévienne, évite les crises bancaires, mais aussi qu'elle s'attaque résolument à la toxicité des excès quotidiens de la finance. Oui, il s'agit d'une réforme structurelle : ce n'est pas une réforme cosmétique, et même si l'on doit souhaiter la muscler, on ne peut pas la juger superficielle.

Depuis dix ans, l'ancienne majorité nous laissait croire que réforme structurelle signifiait soit réduction de l'intervention publique, soit régression des droits des salariés. Avec l'actuelle majorité et avec ce projet de loi, nous faisons une autre démonstration. Cette loi organise la régulation des activités bancaires, la prévention ou la résolution de leurs crises, et même la prohibition de quelques uns de leurs excès.

Les banques, d'autres l'ont dit avant moi, ne sont ni des anges, ni des démons. Elles sont utiles chaque matin à l'activité économique, et capables chaque jour des pires excès : il y a en elles du Docteur Jekyll et Mister Hyde. Mais ce projet de loi ne constitue pas une expédition punitive : il arrive simplement à point nommé. C'est vrai, monsieur Baroin, il arrive après des années d'impuissance publique, après la honte des subprimes et des millions d'Américains jetés à la rue avec leurs familles, après le scandale de Dexia, après la décadence de l'empire Lehman Brothers.

Monsieur le ministre, le groupe socialiste, républicain et citoyen s'est préparé à nourrir ce débat, et nous nous tenons prêts, à vos côtés. Nous allons nous concentrer sur quelques points, quelques interrogations, et sur des amendements qui ont en commun de vouloir muscler ce texte.

D'abord, le périmètre des filiales : c'est le coeur du réacteur. La France est attendue et observée par les Européens. Elle construit un modèle qui n'est pas seulement français : il s'agit d'un modèle à partager avec les Européens, un modèle de régulation compatible avec ce que l'Europe décidera.

Il est en effet des activités spéculatives qui n'ont pas bénéficié de la garantie de l'État, ni des dépôts des Français. Et les ciseaux bien aiguisés de Mme Berger ne sont pas des ciseaux de bois ; le pouvoir politique pourra les saisir sans trembler. Mais le verdict – car il y a controverse sur cette question – viendra de l'usage qui en sera fait, dans la durée, et qui permettra de dire si ces ciseaux, pour l'avenir, sont aiguisés ou émoussés.

Ces outils de régulation seront confiés au Gouvernement sous le contrôle du Parlement : il s'agit d'une première étape, et elle est essentielle.

Ensuite, la résolution des crises, car personne n'imagine qu'elles soient à jamais bannies. Je nous invite donc à mieux examiner les testaments bancaires, à en faire peut-être à l'avenir – ce serait une autre étape – une épée de Damoclès pour tous ceux qui voudraient jouer avec la société mère. Puisque le périmètre des filiales reste encore modeste, ne laissons pas les créanciers de la banque principale à l'abri, notamment ses créanciers seniors ; ce sera l'objet d'une étape ultérieure.

Nous traiterons également de la prohibition des activités toxiques : c'est la part d'ombre des activités bancaires, que M. Éric Woerth a lui-même évoquée tout à l'heure. Cette part n'est pas pénalement répréhensible, mais elle est terriblement déstabilisatrice pour l'économie. Le trading à haute fréquence et les spéculations sur les matières premières agricoles sont de cette espèce-là. Nous pouvons mieux faire ; les organisations non gouvernementales nous y invitent à juste titre. Il faudra dans le débat éclairer cette question.

Par ailleurs, concernant les paradis fiscaux, je voudrais rappeler que nous avons engagé cette bataille ici même, il y a treize ans, avec les magistrats de l'Appel de Genève, et avec une mission d'information parlementaire que conduisaient Vincent Peillon et Arnaud Montebourg. Ils avaient mis en lumière ces trous noirs de la finance mondiale, qui constituent aussi des paradis bancaires et judiciaires.

Nicolas Sarkozy, lui, était revenu du G20 avec un sabre de bois et des phrases ronflantes. « Les paradis fiscaux, c'est fini ! » : combien de fois ne l'avons-nous entendu !

Des sentinelles citoyennes sont nées parce que la politique spectacle – la vôtre ! – n'était pas à la hauteur. Ces sentinelles ne sont pas toutes socialistes : je pense à Denis Robert, à Eva Joly, à Finance Watch, au Comité catholique contre la faim et pour le développement, et à bien d'autres.

Notre majorité s'honore de voter un amendement de transparence, qui fait date, et que nous avons collectivement inspiré et défendu, avec notre collègue Dominique Potier et le groupe écologiste. Nous engagerons donc la sortie progressive des banques françaises des liaisons dangereuses avec les paradis fiscaux : ce combat mobilise toute la gauche.

Enfin, pouvions-nous délaisser la banque de tous les jours ? Évidemment non. La banque, c'est aussi l'agence au coin de la rue, la vie quotidienne des Français. L'amendement que je défendrai au nom du groupe socialiste propose un bouclier bancaire : celui qu'exige la précarité du salariat, et qui doit permettre, avec d'autres mesures, de rééquilibrer les rapports très déséquilibrés entre les banques et leurs clients.

Mes chers collègues, voilà une belle journée comme nous les aimons. Une belle victoire cet après-midi pour l'égalité des droits, avec le vote de la loi sur le mariage pour tous, une belle bataille ce soir pour que la démocratie affirme ses buts et ses lois face au marché financier : cette journée valait d'être vécue pour chacun d'entre nous, et pour la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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