Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 5 juillet 2012 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, de votre présence nombreuse ce matin. Au moment où vous prenez vos fonctions, j'adresse à chacune et chacun d'entre vous, élu pour la première fois ou réélu, mes félicitations personnelles pour la confiance que vous ont témoignée vos électeurs. J'ai été sensible, monsieur le président, à votre invitation à venir m'exprimer devant votre commission et c'est bien volontiers que je me plie, la première, à cet exercice dont, pour avoir siégé durant quatre législatures dans cette maison, je sais combien il est fructueux pour les parlementaires mais aussi difficile pour le ministre.

Je ne suis pas indifférente, monsieur le président, à votre approche lyrique de la justice. Je la garderai présente à l'esprit pour qu'elle guide mon action. Je ne rêve pas d'une société parfaite, j'aime les hommes, avec leurs défauts, leurs faiblesses et leur vulnérabilité. C'est par le vivre ensemble, auquel contribue en effet la justice, que nous aidons chacun à dépasser ses défaillances, dont toutes d'ailleurs ne donnent pas lieu à action judiciaire.

La justice est un service public tout à fait particulier en ce qu'elle structure l'État de droit et la société démocratique. Elle répond aux besoins quotidiens des citoyens : n'oublions pas que les affaires civiles représentent 70 % de son activité, ce que les affaires pénales, plus médiatiques, tapageuses et faciles à mettre en scène ont tendance à faire oublier. La justice civile occupera une place extrêmement importante dans les réformes que j'ai l'intention de conduire.

Héritiers d'une situation, il convient que nous commencions par dresser un état des lieux avant de tracer de nouvelles orientations. Cela doit nous éviter certaines erreurs de méthode qui ont pu être commises par le passé.

Mon premier engagement est de mettre un terme à la frénésie législative. Lors de mes consultations et de mes déplacements, partout, de manière quasi-unanime, il m'est demandé une pause législative. Je m'engage à ce qu'aucune réforme ne soit lancée sans concertation préalable, notamment avec ceux appelés à la mettre en oeuvre. L'inflation législative de ces dernières années est avérée, avec une trentaine de lois pénales en cinq ans. Pour autant, les dispositifs mis en place, parfois bien conçus, grâce notamment aux études d'impact, désormais obligatoires et en général bien menées, ont souvent manqué d'efficacité, péchant dans leur application. Tel a été le cas de la réforme de l'hospitalisation d'office pour laquelle les moyens n'ont pas suivi.

Nous avons trop souvent eu affaire sous la précédente législature à des lois réactives, donc par nature peu prospectives. Inefficaces, ces textes ont été source d'insécurité juridique, aussi bien pour les praticiens du droit que pour les justiciables. Rendant la loi moins lisible, ils en ont amoindri la force en même temps qu'ils ont porté atteinte à la crédibilité de la parole ministérielle. Je m'engage, pour ma part, à tenir le plus grand compte des remontées en provenance des juridictions et de toute l'expérience née de la pratique judiciaire. La concertation et la consultation seront mes règles de travail. Le dialogue sera constant tout d'abord entre l'exécutif et le législatif, et, au-delà, avec les organisations professionnelles, les syndicats, les associations, les chercheurs.

Ces dernières années, les lois relatives à la justice ont, la plupart du temps, été adoptées après déclaration d'urgence. Je m'engage, pour ma part, à respecter la maturation du travail législatif et à laisser projets et propositions de loi suivre le cours normal de leur examen par les deux chambres. Cela commence mal, me direz-vous, avec le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, qui sera très prochainement examiné après engagement de la procédure accélérée. Mais après que cette incrimination a, dans les conditions que l'on sait, disparu de notre code pénal, chacun comprendra l'urgence qu'il y avait à pallier le vide juridique ainsi créé.

Dans le souci d'une justice plus cohérente et plus lisible, jamais ne vous seront proposées de mesures isolées. Nous veillerons au contraire à les articuler, de façon qu'elles constituent par leur ensemble un véritable projet politique de réforme de la justice, compréhensible de tous, notamment des citoyens.

La situation dont nous héritons se caractérise aussi par l'asphyxie des tribunaux. Les politiques pénales de ces dernières années, centrées sur l'incarcération, ont abouti à ce qu'on compte aujourd'hui 69 000 détenus pour 57 000 places. Approche pénale, correctionnelle, assises : telles ont été les réponses privilégiées. C'est parfois nécessaire mais l'engorgement des juridictions a lui-même une incidence sur la qualification des infractions, des délits ou des crimes. La multiplication des comparutions immédiates comme l'institution de peines plancher ont conduit à prononcer toujours plus de peines d'incarcération, sans que cela fasse d'ailleurs diminuer les délits graves et les crimes, déjà lourdement réprimés par le code pénal. De tout cela, non seulement le nombre des affaires pénales a explosé, mais le délai de traitement des affaires civiles s'en est trouvé allongé.

L'asphyxie des tribunaux tient également à une demande croissante de justice de la part des citoyens, de plus en plus éduqués et de mieux en mieux informés. Demandeurs d'une plus grande célérité et d'une plus grande efficacité, soucieux que les enquêtes soient menées à charge et à décharge, ils réclament tous les moyens permettant la manifestation de la vérité, comme les analyses ADN, ce qui n'est d'ailleurs pas neutre sur les frais de justice.

Pour lutter contre cette asphyxie, peut-être pourrait-on revoir la présence du juge. Des modifications ont déjà été apportées ces dernières années, notamment en matière de divorce. Il conviendrait sans doute de poursuivre la réflexion sur le sujet en prenant en considération les différentes catégories de divorce, bien entendu.

De même, 42 % des jugements rendus par les tribunaux correctionnels concernant des délits routiers, il faudrait peut-être envisager une réponse partiellement différente. Si l'impératif de sécurité routière exige de ne pas relâcher la pression sur les conducteurs, de façon que les comportements délictueux au volant ne repartent pas à la hausse, il n'en serait pas moins bienvenu de désengorger quelque peu nos tribunaux.

J'en viens au style et à la méthode. Nous avons tous en mémoire la façon dont a été conduite la réforme de la carte judiciaire. Si tous les interlocuteurs que j'ai rencontrés conviennent qu'une réforme était nécessaire, ils sont tout aussi unanimes à considérer qu'il aurait fallu repenser l'organisation judiciaire pour réformer la carte judiciaire. Or, cette réforme, conduite dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), l'a été dans une seule perspective comptable. Menée à rythme soutenu, elle a été vécue comme si brutale que même ceux qui contestent la nouvelle carte me supplient de ne pas rouvrir le chantier au niveau de l'ensemble du pays. Je regarderai donc seulement à quels ajustements il peut être procédé, ressort par ressort, en fonction des remontées du terrain – certains aménagements, il faut le reconnaître, ont été bénéfiques, notamment dans le cadre du programme immobilier. Je souhaite que les personnels se sentent ainsi impliqués et soient associés aux réponses nouvelles qui seront apportées, adaptées à chaque territoire.

Avec la brutalité, la précipitation est une autre méthode dont je souhaite me démarquer. La précipitation a, me semble-t-il, caractérisé la mise en place des citoyens assesseurs. Alors que le dispositif issu de la loi du 10 août 2011 entrait en expérimentation en janvier 2012 dans le ressort des cours d'appel de Dijon et Toulouse, dès février, un arrêté prévoyait son extension aux cours d'appel d'Angers, Bordeaux, Colmar, Douai, Fort-de-France, Lyon, Montpellier et Orléans. J'ai stoppé le mouvement et seules se poursuivront les expérimentations de Dijon et Toulouse. Des remontées nous parviennent du terrain qui permettent une première évaluation. Un point a été fait lundi dernier où je recevais à la Chancellerie les premiers présidents et les procureurs généraux de chacune des trente-sept cours. Ce n'est qu'après une évaluation approfondie de cette expérimentation que nous pourrons dire quels aménagements sont nécessaires. La mise en place de citoyens assesseurs a en effet des conséquences sur l'audiencement lui-même, la durée des audiences, mais aussi le coût de la justice. Nous examinerons aussi ce qu'il convient de faire en matière de formation des assesseurs et d'effectifs, de magistrats et de fonctionnaires.

Se précipiter, voilà une erreur que nous ne ferons pas ! Nous respecterons les savoir-faire des professionnels du service public de la justice, où la ressource humaine est d'une extrême qualité. L'expérience, le vécu et la réflexion qui les accompagnent constituent des atouts précieux. Pour ma part, j'ai bien l'intention de puiser abondamment dans cette mine d'or et donc de consulter beaucoup.

J'ai de même commencé de relancer le dialogue social. Il y a deux jours, j'ai présidé le comité technique ministériel, instance qui réunit tous les syndicats de toutes les catégories de métiers judiciaires et où il est possible d'aborder ensemble tous les sujets de fond, notamment les réformes. Cela faisait plusieurs années que le garde des Sceaux n'avait pas présidé ce comité.

Soucieuse d'une justice impartiale, je ne donnerai pas d'instructions individuelles. L'exécutif demeurant responsable de la cohérence de la politique pénale sur l'ensemble du territoire, une circulaire d'action publique sera publiée d'ici à la mi-juillet.

Les engagements du Président de la République sur le service public de la justice, rappelés par le Premier ministre dans son discours de politique générale, guideront notre action.

Premier de ces engagements : une justice impartiale et sereine. Des réformes constitutionnelles seront nécessaires. Des engagements ont été pris concernant l'indépendance de la justice. La gauche est tout particulièrement crédible sur ce point car les grandes réformes qui ont fait progresser cette indépendance ont été conduites lorsqu'elle a été aux responsabilités.

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