Intervention de Seybah Dagoma

Séance en hémicycle du 28 février 2013 à 21h30
Instrument de réciprocité sur les marchés publics

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSeybah Dagoma, rapporteure de la commission des affaires économiques :

Madame la ministre du commerce extérieur, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit n'est certes pas au coeur de l'actualité. Pourtant, il soulève des enjeux de fond pour l'économie française et pour l'économie européenne. Le commerce international s'organise aujourd'hui dans un contexte marqué par la crise économique et l'émergence de nouveaux acteurs. Ce nouveau contexte pose un défi majeur à l'Europe.

La liberté des échanges est un principe fondateur de l'Union européenne et la conduite de la politique commerciale en porte la marque. Notre continent a fait le choix de l'ouverture. Il se voulait avant-gardiste en abolissant les frontières intérieures, et en abaissant progressivement les barrières quantitatives et tarifaires aux frontières extérieures.

Depuis une décennie, l'émergence de nouveaux acteurs qui ne partagent pas spontanément notre vision des échanges commerciaux a bouleversé la donne. Leur attitude dément la prédiction européenne d'un monde débarrassé des barrières commerciales et nous contraint à ajuster notre doctrine.

La résolution examinée ce soir par notre assemblée propose de faire un pas vers ce que nous appelons le juste échange. Elle permet de lutter contre une forme d'euro-naïveté qui coûte cher à nos nations, à nos entreprises, à nos territoires, et à travers eux à nos salariés.

La résolution porte sur la réciprocité de l'accès des entreprises européennes aux marchés publics des pays tiers, et inversement, des entreprises des pays tiers aux marchés publics européens.

Les marchés publics sont une première marche essentielle dans la redéfinition de l'approche européenne du commerce international.

Ils sont en effet un secteur important de l'économie mondiale. De l'ordre de 1 000 milliards d'euros par an, ils représentent entre 15 et 20 % du PIB de la plupart des États, l'Europe étant dans la fourchette haute, avec 19 %.

L'asymétrie entre le degré d'ouverture des marchés publics de l'Union européenne et celui de ses principaux partenaires commerciaux est patente. Elle est apparue au grand jour en octobre 2006 dans l'affaire dite Bombardier.

Cette entreprise canadienne avait remporté un contrat de 4 milliards d'euros avec la SNCF pour la rénovation du réseau transilien au détriment d'Alstom. L'entreprise Alstom a quant à elle été empêchée de soumissionner pour la rénovation du métro de Montréal.

Cette asymétrie résulte d'abord de l'application de la seule règle internationale existant en la matière, l'Accord plurilatéral sur les marchés publics. En effet, bien qu'ils l'aient signé, certains pays, et non des moindres, ont décidé soit d'exclure du champ de l'accord les entités sous-centrales – en clair les provinces ou les États – c'est le cas des États-Unis et du Canada, soit d'appliquer des exclusions sectorielles. C'est ainsi que le Japon et les États-Unis ont exclu les chemins de fer et les travaux publics.

Il en résulte notamment que la part des marchés publics potentiellement ouverts est de 90 % pour l'Union européenne, alors qu'elle est de 32 % aux États-Unis, de 28 % au Japon et de 16 % au Canada.

Par ailleurs, au-delà des engagements dans le cadre de cet accord, l'Europe aurait pu restreindre elle aussi l'accès à ses marchés publics ; elle ne l'a pas fait.

Cela signifie que les entreprises de pays émergents dont les marchés sont a priori inaccessibles, comme la Chine ou l'Inde, peuvent soumissionner de facto en Europe.

La Chine l'a ainsi fait pour la construction d'une partie des autoroutes polonaises. L'entreprise indienne Tata intervient pour le compte des autorités locales écossaises.

Pour l'Europe, la conséquence est double : d'abord une perte en termes d'opportunités, que la Commission européenne estime à 12 milliards d'euros ; ensuite, un risque de concurrence déloyale sur les marchés publics européens.

À plus ou moins long terme, les enjeux vont s'alourdir.

Les marchés publics sont en forte expansion dans les pays émergents. La demande en biens va aller croissant, corrélativement au développement du niveau de vie. Dans tous ces domaines, l'Europe, et particulièrement la France, a un intérêt offensif.

Il faut en effet toujours garder en tête que les marchés publics représentent une part significative de secteurs stratégiques européens comme les transports collectifs, la santé ou encore tout ce qui tourne autour de la gestion de l'eau et des déchets. C'est sur ces secteurs que l'Europe va devoir s'appuyer pour sa réindustrialisation. C'est la raison pour laquelle le rapport Gallois fait valoir que l'ambition industrielle doit s'appuyer sur une politique commerciale extérieure basée sur une ouverture équitable et sur le principe de réciprocité.

L'instrument de réciprocité sur les marchés publics proposé par la Commission européenne est donc particulièrement bienvenu. Il consiste en une redéfinition du périmètre d'ouverture des engagements de l'Europe. Pour les entreprises d'un pays dont les marchés publics sont fermés, l'ouverture des marchés publics sera conditionnelle.

La proposition de règlement prévoit deux volets : le premier est un mécanisme d'exclusion ponctuelle en cas de manquement substantiel à la réciprocité, à l'initiative des États membres mais qui devra être approuvé par la Commission européenne. Le deuxième prévoit un mécanisme d'exclusion général à l'égard d'un pays tiers, à l'initiative de la Commission européenne, après enquête et négociations.

Il s'agit bien là de mettre en place une palette d'instruments adaptés aux enjeux pour conjurer cette prophétie d'Hubert Védrine qui ferait de l'Europe « l'idiot du village global », assistant passif et résigné au déclin de sa base productive.

Devons-nous faire semblant de ne pas voir que l'écart entre notre attitude et celle de nos partenaires commerciaux a un coût de plus en plus élevé ? Je ne le pense pas.

La France tente de faire avancer la réciprocité, cette idée juste et utile, qui fait consensus dans notre pays et transcende les clivages partisans.

Avec ma collègue Marie-Louise Fort, nous avons pu le constater lors des travaux préparatoires à la présentation de la résolution conduits par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques. Je tiens d'ailleurs à remercier les responsables de ces commissions, Danielle Auroi et François Brottes.

Pour notre pays, engagé dans un processus de redressement productif visant à enrayer la désindustrialisation et à reconquérir un socle de compétitivité, la perspective d'une nouvelle donne commerciale européenne, veillant au respect des intérêts des entreprises et des travailleurs, est attractive. Elle est un levier qui peut nous permettre d'intensifier nos exportations.

Madame la ministre, dans le cadre de notre discussion, je souhaiterais vous poser plusieurs questions.

Dès le lendemain de votre nomination, vous avez engagé un tour des capitales européennes pour convaincre nos partenaires des autres États membres de la pertinence de l'instrument de réciprocité. Cette initiative a créé une véritable dynamique politique européenne. Pouvez-vous nous dire quelles conclusions doivent être tirées de vos échanges avec vos homologues européens ?

En ce cinquantième anniversaire du Traité de l'Élysée, la France mesure plus que jamais l'importance de sa relation avec l'Allemagne. Très attachée à la conception libérale du commerce international, l'Allemagne exprime des réticences à instituer de nouvelles régulations. À quelles conditions, selon vous, l'Allemagne pourrait-elle adhérer au principe d'un instrument de réciprocité ?

Avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen dispose de nouveaux pouvoirs pour s'affirmer face aux États. Il a vocation à peser de plus en plus dans la vie de l'Union. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les positions des différents groupes politiques du Parlement européen à ce sujet et l'état d'esprit du rapporteur Daniel Caspary ?

Dans les négociations commerciales bilatérales conduites par l'Union européenne avec les États-Unis, le Japon ou peut-être demain avec l'Inde, la recherche de la réciprocité dans les marchés publics est-elle une priorité et dans quelle mesure l'existence de l'instrument de réciprocité faciliterait-il ces négociations bilatérales ?

Enfin, il ne semble pas que la Chine ou l'Inde aient réagi à ce projet : en avez-vous eu des échos lors de vos voyages ?

Chers collègues, j'en suis convaincue, l'application de la réciprocité dans l'accès aux marchés publics est un combat emblématique qui en appelle d'autres.

Dans ses relations commerciales, dans ses relations monétaires, au sein des instances internationales où se négocient les normes sociales et environnementales, l'Union européenne ne doit pas être naïve.

Alors que le chômage se répand sur notre continent, les peuples européens attendent de nous du volontarisme et de la lucidité.

Promouvoir la réciprocité, c'est bâtir un nouveau cadre de référence permettant de rompre avec la percée néolibérale des trente dernières années.

Comme la taxe sur les transactions financières, la régulation bancaire, le refus de l'austérité généralisée et la rupture avec l'orthodoxie monétaire, la réciprocité peut et doit contribuer à rendre à la régulation et au bon sens leur place dans l'économie mondiale.

En adoptant la résolution européenne soumise ce soir à votre examen, notre assemblée peut épouser ce juste combat. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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