Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 28 février 2013 à 21h30
Instrument de réciprocité sur les marchés publics

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nous ouvrons ce soir le débat pour intégrer dans la perspective plus large du juste échange un sujet essentiel sur lequel nous aurons l'occasion de revenir plus avant au cours des prochains mois. Il s'agit d'une première étape dans le vaste sujet du juste échange. Au bout du compte, c'est bien la logique de l'équité dans nos relations commerciales et économiques que nous devons interroger.

À mon tour, je citerai Pascal Lamy, dont l'intervention nous a beaucoup marqués : il a expliqué hier que l'équité dépendait de la façon dont les États interprétaient cette logique et que, lorsque les États-Unis disaient que la Chine était un pays riche avec beaucoup de pauvres, les Chinois répliquaient que la Chine était un pays pauvre avec quelques riches. C'est une question de point de vue ! Mais je crois justement que l'Union européenne, parce qu'elle a de l'expérience, peut donner une définition beaucoup plus logique à cette équité en commençant par les instruments qui s'offrent à elle, comme aujourd'hui l'instrument de réciprocité.

Je souhaite remercier vivement nos collègues Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort, toutes deux rapporteures de la proposition de résolution qui nous rassemble aujourd'hui et que la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité. À leur initiative, nous avons soutenu le projet de la Commission européenne visant à la mise en place d'un régime d'ouverture conditionnelle des marchés publics européens.

Le Conseil européen a reconnu en septembre 2010 le principe de réciprocité dans les échanges internationaux. Pourtant, presque deux ans auront été nécessaires pour trouver une concrétisation dans ce projet de règlement. Les pays du Nord, jugeant ce texte protectionniste, ont tout fait pour en retarder l'adoption au collège des commissaires, qui ont aussi un peu traîné les pieds. La Haute représentante, Catherine Ashton, s'est personnellement mobilisée contre ce texte, et elle a pu jouer sur les contradictions entre les États. Il est vrai qu'elle s'est appuyée sur la thèse de l'OMC, selon laquelle plus il y a de fluidité dans le commerce, plus il est possible d'effacer la pauvreté. Sauf que cela fait quinze ans que l'on entend cette antienne et, à ma connaissance, la pauvreté dans le monde n'est toujours pas éradiquée.

Aujourd'hui, ce projet n'est pas acquis : quinze délégations y sont opposées, et ce pour des raisons différentes : les pays du Nord y sont hostiles, au nom du tout libre-échange ; les pays comme l'Allemagne, dont la balance commerciale est excédentaire, craignent des représailles ; les pays comme l'Espagne comptent sur leurs perspectives d'exportations pour sortir de l'ornière. Avec des points de vue différents, on observe une convergence de mauvaises raisons, si je puis dire.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous préciser les positions de nos partenaires, et sur quels alliés la France peut réellement compter, y compris les pays en difficulté, dont certains semblent penser que la réponse n'est pas du côté du juste échange ?

Le très libéral commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, que la commission des affaires européennes a récemment auditionné, a dit lui-même l'importance de légiférer pour l'avenir. Même lui estime qu'une législation est nécessaire.

Ne nous leurrons pas. On a cité l'exemple du Canada. Une situation semblable à l'appel d'offres polonais remporté par une entreprise chinoise peut se répéter. Or le dumping social, qu'il faudrait d'ailleurs plus sérieusement encadrer à l'intérieur des frontières de l'Union, est contraire à l'esprit de l'Europe que nous souhaitons, mais il est en action. La commission des affaires européennes a d'ailleurs souhaité travailler plus avant sur ces questions d'harmonisation sociale, fiscale et environnementale, à l'intérieur et à l'extérieur des frontières de l'Union. Gilles Savary et Chantal Guittet sont mobilisés sur ce sujet.

Ce rééquilibrage des engagements réciproques est d'autant plus important que ces marchés publics concernent souvent des secteurs stratégiques, comme les industries aérospatiales, la défense, les transports collectifs et les équipements médicaux.

Cette échelle doit aussi s'articuler avec la nécessité de mieux allotir certains marchés publics, afin de donner toutes leurs chances aux PME, aux structures d'insertion et aux produits issus du commerce équitable. C'est toute la dynamique de la transformation écologique de l'économie, créatrice d'emplois, dans le domaine du changement climatique – l'efficacité énergétique est un des sujets essentiels, pas forcément partagé par tous au niveau de l'Union européenne –, des déplacements collectifs, de la gestion des déchets, de l'assainissement et de l'urbanisme. Madame la ministre, avez-vous l'impression qu'une nouvelle logique urbanistique vécue différemment au niveau de l'Union européenne est à l'oeuvre aujourd'hui ?

Les États-Unis ont bien un Small Business Act ! Pourquoi n'y a-t-il pas l'équivalent au niveau de l'Union européenne ? D'ailleurs, les États-Unis, comme le Canada, le Japon et les pays émergents ont su mettre leur politique commerciale au service de leur production, et leurs taux de fermeture des marchés publics sont parmi les plus élevés. Pascal Lamy, que nous avons auditionné hier, prétend que l'Union européenne sait se protéger aussi bien. Permettez-moi d'en douter, à moins que vous ne nous apportiez, madame la ministre, des précisions à ce sujet.

Dans le cadre de l'accord avec le Canada, y a-t-il eu la possibilité de marquer des avancées sur cette question, qui va d'ailleurs se poser à nouveau très vite avec les projets d'accord concernant le Japon et les États-Unis ?

Comment appréciez-vous le risque que l'Union consente des concessions dans des domaines comme l'agriculture en contrepartie d'une ouverture des marchés publics, et cela au détriment de nos préférences collectives, comme le refus des OGM ou la protection des indications géographiques ? Les inquiétudes concernant les indications géographiques sont très nombreuses.

Quant aux dispositions concrètes du projet de règlement, il est prévu un mécanisme de surveillance des offres anormalement basses. Ne serait-il pas aussi opérationnel de prendre en compte les conditions sociales et environnementales dans lesquelles ces offres sont présentées ? Ce serait une première étape vers une taxe climatique aux frontières de l'Union européenne.

En effet, les marchés publics sont une commande publique qui n'est pas seulement soumise aux critères de prix. Ce sont aussi des opportunités formidables pour avoir un effet levier, tant sur le plan social qu'écologique. Ces outils sont indispensables pour réorienter l'économie à l'échelle mondiale, européenne, nationale, régionale, même municipale, nous le savons bien ! C'est aussi un outil qui parle à nos concitoyens car, localement, ils peuvent en voir les effets.

Nos concitoyens ont fait le choix, en France, d'un vrai changement, pour mettre fin à la mise en concurrence de tout à tout prix, et à la surexploitation des ressources naturelles.

C'est bien cet esprit de justice et d'équité qui vous anime, madame la ministre, et qui doit irriguer notre débat, pour l'avenir de l'Union, mais aussi pour le développement des pays du sud, dont les normes sociales et environnementales ne sont pas au niveau des nôtres. Ainsi, nous protégerons notre modèle social et environnemental européen tout en favorisant les nécessaires progrès pour les populations des pays les plus pauvres. J'espère que vous nous apporterez des éclaircissements sur l'ensemble de ces sujets. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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