Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 28 février 2013 à 21h30
Instrument de réciprocité sur les marchés publics — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne nous réunit ce soir, dans le cadre de cette semaine de contrôle, pour débattre ensemble de l'instrument de réciprocité sur les marchés publics dans le commerce international.

Je tiens tout d'abord à saluer, car cela n'arrive pas assez souvent, l'examen dans cet hémicycle d'une proposition de résolution présentée par la commission des affaires européennes. J'espère bien que cela se renforcera encore dans les mois et les années à venir, pour que nous puissions porter nos idées auprès des institutions européennes avec le plus de force possible.

Il est certain que le sujet du « juste échange international » appliqué au secteur des marchés publics mérite l'adoption d'une résolution après un examen en séance publique. Je suis convaincue, comme beaucoup l'ont déjà dit ici, que nous partageons tous l'objectif de peser sur les décisions européennes pour adopter des outils qui permettent à nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrentes dans le monde.

Depuis l'accélération de l'ouverture des marchés et le phénomène de mondialisation des échanges commerciaux, nous avons toujours eu un train de retard pour réguler avec équité l'abandon du protectionnisme.

La situation préoccupante de nos entreprises nous oblige à nous mobiliser ensemble pour donner les moyens à notre ministre et à notre commissaire d'aboutir à l'adoption d'un règlement efficace. Ainsi j'espère, mes chers collègues, que nous adopterons à l'unanimité cette proposition de résolution que le groupe RRDP soutient avec force et vigueur. Cette proposition marque l'aboutissement d'une volonté de faire face à la dérégulation de la mondialisation déloyale qui mine notre industrie.

Avec plus de 2 millions d'entreprises, 35 millions de salariés et une production de 1 600 milliards d'euros de valeur ajoutée par an, l'Europe représente une puissance industrielle forte dans le monde. Mais si, globalement, elle a relativement mieux résisté à la crise économique que d'autres pôles industriels, la situation de l'industrie française est quant à elle devenue préoccupante : moins de 13 % de notre PIB contre plus de 20 % dans douze pays de l'Union dont l'Allemagne, des pertes d'emplois considérables qui s'aggravent, un manque d'investissement et un déséquilibre commercial massif.

Si nous disposons encore d'atouts importants sur lesquels nous devons concentrer nos efforts pour redevenir une puissance industrielle, la gravité de la crise a mis en lumière des pratiques dans les marchés publics qui faussent la concurrence et nuisent à notre tissu industriel.

Ainsi, le principe de réciprocité, c'est-à-dire l'octroi de concessions en échange de contreparties équivalentes pour aboutir à un échange juste et mutuellement bénéfique, a refait surface dans les débats sur la politique industrielle, en particulier pour les marchés publics.

Depuis deux directives de 2004, les règles européennes en matière de marchés publics imposent des procédures de passation garantissant la transparence, l'égalité d'accès et des conditions de concurrence équitable pour les contrats atteignant un certain seuil.

L'idée de base, que l'on peut comprendre facilement et qui n'est pas mauvaise en soi, consiste à donner les moyens aux acheteurs publics des pays européens d'acheter au prix le plus bas possible leurs équipements. Les achats publics représentent 17 % du PIB de l'Union européenne, laquelle offre ainsi le « plus grand marché public du monde ».

Ces marchés publics font d'ailleurs l'objet d'un accord multilatéral à l'OMC. Mais dans cet accord, certains États ont conditionné leur engagement à l'adoption de limites sur l'ouverture des marchés publics pour les secteurs des transports, de l'énergie, des télécommunications ou encore de l'eau.

L'Union européenne a choisi par principe d'ouvrir ses marchés publics, tout en avertissant qu'elle aurait une attitude dérogatoire pour les fournisseurs et prestataires des pays qui ont fixé des barrières. Mais en pratique, cela n'a eu aucun effet, et la Cour de justice de l'Union européenne a d'ailleurs expliqué que la Commission était parfaitement consciente que la clause de réciprocité introduite ne pouvait pas fonctionner car elle n'était pas intégrée dans le corpus juridique du droit issu de l'Union européenne.

Ainsi, que ce soit pour des raisons juridiques ou techniques liées à l'impossibilité de déterminer la nationalité d'une entreprise, ou pour des raisons financières avec la possibilité d'accéder à des équipements à un coût réduit, les conditions de réciprocité n'ont finalement jamais été appliquées. En conséquence, l'Union européenne ouvre aujourd'hui ses marchés publics à toutes les entreprises, quelle que soit leur nationalité d'origine.

Les conséquences de cette ouverture sans contrepartie handicapent une grande majorité de nos entreprises européennes. D'abord, les entreprises européennes sont limitées dans leurs accès aux marchés publics dans de nombreux pays, ce qui représente un manque à gagner considérable. Surtout, les entreprises concurrentes, qui bénéficient d'une forme de subvention cachée par un accès privilégié à leur marché intérieur, peuvent librement venir les assommer en répondant aux appels d'offres sur les marchés européens avec des propositions en dessous de leurs coûts réels, voire avec des offres anormalement basses.

Ainsi, nos entreprises se retrouvent asphyxiées par cette pratique européenne de l'accord sur les marchés publics de l'OMC. Les chiffres sont accablants : 312 milliards d'euros de marchés publics européens étaient totalement ouverts en 2009, soit 15 % du total des marchés publics européens. À tire d'exemple, les États-Unis ont ouvert uniquement 3,1 % du total de leurs marchés publics, le Japon 3,8 % et le Canada 0,9 %.

De nombreux exemples récents démontrent notre candeur : le Japon a réussi à fermer ses frontières pour les appels d'offres dans le secteur ferroviaire ; dans le même temps, ses entreprises remportent des appels d'offres en Europe, le dernier en date étant d'un montant de 8,5 milliards d'euros en Angleterre. Cette situation se reproduit à l'identique pour les hélicoptères.

Pour les lanceurs de satellites institutionnels, c'est presque caricatural : les marchés publics sont totalement fermés dans les pays tiers alors que l'Union fait lancer de nombreux satellites par Soyouz.

La Commission a longtemps fait le choix de tenter de convaincre les pays tiers à revenir sur les exceptions contenues dans l'accord plurilatéral pour les marchés publics. Cette stratégie n'a pas été gagnante, ces pays préférant continuer à pouvoir bénéficier de cette situation rentable qui leur donne un avantage compétitif.

L'Europe doit également être ferme dans la négociation des nouveaux accords bilatéraux, et vous en avez parlé, madame la ministre, ainsi que certains de mes collègues. L'accord économique et commercial global en cours de négociation entre l'Union européenne et le Canada nécessite une grande vigilance de la part de l'Europe mais aussi de notre part. Je vous ai entendue, madame la ministre, mais je crois qu'il faut préciser que le Canada est un pays fédéraliste et, si la négociation actuelle se fait avec le niveau fédéral, c'est à l'échelon subfédéral, commune et province, que la majorité des marchés publics sont attribués – je crois que tout le monde n'a pas compris cela. Vous estimez que les accords de libre-échange sont une chance, mais ils ne le sont que s'ils sont bien négociés et bien compris. Si la France, et j'ai pu le vérifier, ne manque aucune occasion de réaffirmer que le principe de réciprocité doit s'appliquer aux deux niveaux institutionnels, encore faut-il que les provinces canadiennes soient signataires de l'accord. Or pour suivre cet accord depuis un certain nombre d'années, je peux vous dire que ce n'est absolument pas le cas à ce jour. Si c'était le cas, ce serait bien.

Si cet accord n'est pas signé par les provinces, l'Europe serait encore le grand perdant. Surtout, n'oublions pas que cet accord servira de modèle pour la négociation annoncée avec les États-Unis.

Revenons à la résolution. Depuis plus de dix ans, certains dénoncent à voix haute les effets ravageurs de cette ouverture trop souvent unilatérale des marchés publics dans les pays de l'Union.

Mais le débat idéologique et économique autour de ce principe reste difficile en raison de l'opposition de plusieurs États membres – vous avez dit, madame la ministre que neuf étaient pour et quinze contre – et notamment de l'ancien commissaire au commerce extérieur, Peter Mandelson, qui a vivement combattu l'adoption d'outils juridiques efficaces pour l'application de ce principe. Malheureusement, il a fallu attendre le constat indiscutable de l'injustice de l'application des règles en vigueur pour commencer à espérer avancer sur le sujet.

En attendant, avec les effets cumulés de la crise, nos entreprises ont souffert ; beaucoup ont délocalisé leur outil de production et les emplois qui vont avec, et d'autres ont même fait faillite.

Face à l'ampleur de la crise et pour enrayer la chute de nos entreprises européennes, l'une des pistes pour leur redonner de l'air, c'est la conquête des marchés extérieurs où nos entreprises ont un net avantage compétitif, comme pour le secteur ferroviaire souvent cité.

Cette prise de conscience a enfin pris corps progressivement dans les textes de l'Union entre 2010 et aujourd'hui. Mais il a fallu de nombreuses étapes successives, ce qui témoigne à la fois de la difficulté de parvenir à un consensus avec nos partenaires européens et de la lenteur institutionnelle pour mettre en place un outil juridique contraignant.

Mais ni les entreprises, ni les peuples européens ne peuvent se permettre une telle lenteur. Ils réclament une Europe plus réactive, plus efficace pour les protéger d'une concurrence faussée.

La proposition de résolution dont nous débattons vise à affirmer une position claire de la représentation nationale du peuple français pour soutenir le projet de règlement afin de redéfinir les secteurs d'ouverture de l'Europe et garantir l'effectivité de la réciprocité sur les marchés publics.

Pour conclure, j'ai la conviction profonde aujourd'hui que si rien ne change, les entreprises et les peuples d'Europe ne pourront pas continuer à subir passivement les conséquences d'une mondialisation injuste.

L'autorégulation des marchés ne sera jamais source d'équité et de justice. C'est pourquoi l'Union Européenne doit se donner les moyens de se protéger des pratiques commerciales déloyales.

Les géniaux théoriciens du « laisser-faire » ou « laisser-aller » ne tiennent pas assez compte des moyens de fausser la concurrence. Une concurrence forte sans régulateur fort aboutit à des conséquences économiques et sociales insupportables.

Les peuples européens veulent d'une Europe qui reprend son destin économique en main, qui affirme sa volonté de réguler le libre-échange, défendant les principes de loyauté, de symétrie et de réciprocité dans les relations commerciales, pour veiller sur nos intérêts européens collectifs, nos emplois et protéger notre mode de vie et notre cohésion sociale.

Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur le droit du travail, sur les injustices de la régulation monétaire, sur le droit sanitaire, sur le droit de l'environnement, sur le droit de la protection sociale. Lorsque ces droits sont bafoués par nos partenaires commerciaux, alors les règles du principe de réciprocité doivent être appliquées pour rétablir la justice.

Le groupe RRDP votera sans réserve cette proposition de résolution qui traduit la volonté de notre Assemblée de soutenir avec force ce principe et encourage chaleureusement notre ministre à porter haut ce message dans les négociations difficiles qui l'attendent. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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