Intervention de Vincent Peillon

Séance en hémicycle du 14 mars 2013 à 15h00
Refondation de l'école de la république — Article 1er et rapport annexé, amendement 1141

Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale :

Les questions que vous posez sur un thème délicat, qu'il convient d'aborder de manière précautionneuse, sont parfaitement légitimes. Je veux y répondre en m'efforçant de faire en sorte que nous nous comprenions.

Pour ce qui est de la liberté et de l'expression « arracher l'élève à tous les déterminismes », je rappelle que le but de l'école républicaine a toujours été de produire un individu libre. En instruisant, l'école éduque à la liberté : nous avons déjà eu l'occasion de dire hier que telle était notre mission.

La possibilité de construire se propre autonomie, c'est-à-dire la capacité de se donner à soi-même la règle, suppose d'être capable de prendre de la distance par rapport à tous les héritages. Cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à ces héritages, mais simplement que l'on soit capable de les choisir par soi-même. L'idée que nous nous faisons de la morale laïque n'est pas du tout celle d'un universalisme abstrait où l'État, détenteur de l'universel, s'arrogerait le pouvoir d'arracher les uns et les autres à leurs cultures, leurs familles, leurs affections, leurs enracinements. Ce que nous souhaitons, c'est que chacun puisse disposer, au cours de son développement, des outils nécessaires pour « ne pas se croire », comme disait Alain, et être capable de prendre la distance permettant de choisir par lui-même ses adhésions, de les reconnaître, de mettre à ses projets le poids des mobiles et des motifs. Si vous craignez que nous ne soyons adeptes d'une conception platonicienne, qui voudrait qu'au nom de l'universel, on arrache les enfants aux familles pour les placer dans des pouponnières, je vous rassure, ce n'est pas le cas – mais vous avez eu raison de me demander de le préciser.

Par ailleurs, je ne veux pas qu'il y ait de malentendu sur l'expression « morale laïque ». Le seul sens de la laïcité, qui n'est pas une confession puisqu'elle est partagée par tous, c'est précisément de respecter toutes les opinions privées, les fois personnelles, et de dégager une morale commune à l'ensemble de ces familles d'esprits ou de valeurs. Cette morale commune existe – le précédent gouvernement avait d'ailleurs réintroduit des leçons de morale à l'école primaire, sans malheureusement obtenir de résultats vraiment convaincants. Ce qu'il faut bien comprendre, et ce n'est pas toujours facile, c'est qu'une morale laïque est simplement une morale qui ne repose pas sur un fondement confessionnel. Elle laisse à chacun le choix de son opinion privée, n'ayant quant à elle pour objet que de rassembler en proposant une référence fondée sur ce qui est commun aux uns et aux autres.

Ce qui est fondamental, c'est la notion d'obligation dont vous avez parlé. De ce point de vue, il y a un malaise dans notre société. Nous tolérons l'instruction civique, qui est un enseignement de valeurs communes dans l'État, nous avons une Constitution, des représentations, tout cela s'apprend. De même, on fait maintenant de l'enseignement juridique, basé sur la notion d'interdit et de sanction – c'est la définition même du droit positif. À côté de tout cela, nous avons totalement oublié que le modèle républicain, c'est précisément la volonté politique et morale d'unir et de se dire qu'au-delà même de la prescription d'État, il y a la personne, à laquelle notre société reconnaît une valeur imprescriptible. La source de la dignité de la personne n'est pas de l'ordre du droit – il y a des lois injustes, il y a des systèmes de droit positif qu'il faut modifier –, c'est une source qui vient de l'intérieur, en dehors de toute idée de sanction. C'est la question du devoir, de l'obligation, des valeurs que nous partageons.

Comme vous le voyez, le champ des valeurs est investi, à l'extérieur de l'école de la République, par une foule de gens. La neutralité que veut l'école est confessionnelle et politique, mais n'a jamais été morale. En effet, la République, indépendamment des différentes familles politiques qui la composent, reconnaît un ensemble de valeurs communes qui ont une définition reposant sur l'obligation. Je souhaite simplement que l'on harmonise les différents enseignements actuellement dispensés en primaire, au collège et au lycée – mais non dans les lycées technologiques, pour une raison inexpliquée. J'ai confié une mission sur ce point à trois personnalités, qui doivent rendre leurs travaux fin mars. Nous aurons l'occasion de redéfinir ensemble, avec toutes les précautions nécessaires, les contenus, mais aussi les méthodes d'enseignement, car on voit bien que l'on ne peut pas faire la même chose en cours préparatoire et en terminale. Par ailleurs, il faudra répondre à une question qui se pose de façon insistante aujourd'hui : devons-nous et, le cas échéant, avons-nous les moyens d'évaluer les connaissances ? Ceux de mes prédécesseurs qui ont eu cette intention se sont toujours heurtés à la même difficulté : dès lors que ce n'est pas une discipline identifiée, qu'il n'y a pas une progression déterminée, qu'il n'est pas procédé à une évaluation à un moment ou à un autre, les choses sont abandonnées.

Les précautions que vous avez exprimées permettent d'enrichir ce débat. De mon côté, je veux souligner l'attente très forte de nos concitoyens de nous voir porter ensemble nos valeurs communes, étant précisé que ces valeurs sont fragiles et qu'elles sont contestées par certains. Nous avons donc à les défendre.

1 commentaire :

Le 03/10/2013 à 09:45, laïc a dit :

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"En instruisant, l'école éduque à la liberté..." A chaque fois que j'ai voulu rappeler l'école à son devoir de liberté, l'école m'a sanctionné...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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