Intervention de Pascal Canfin

Réunion du 12 mars 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement :

C'est déjà un symbole que le ministre chargé du développement vienne s'exprimer devant votre commission – on m'a d'ailleurs plusieurs fois attribué dans la presse le titre de ministre du développement durable !

Je voudrais évoquer deux questions principales : la façon dont nous intégrons le développement durable dans la politique de développement et l'action de la diplomatie française pour réussir l'accord sur le climat de Paris 2015, qui est conduite conjointement par les ministères chargés de l'écologie et des affaires étrangères.

Sur le premier sujet, je rappelle qu'existent, d'une part, un agenda du développement et de la solidarité internationale sur l'éducation, la santé ou les infrastructures, et, d'autre part, un agenda du développement durable, du climat, de la biodiversité et de la lutte contre la diversification, et que les deux ne sont pas spontanément convergents. Tel est l'enjeu des grandes négociations qui ont commencé à s'ouvrir dans le cadre de l'ONU sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) – à savoir les huit objectifs de lutte contre la pauvreté – et ceux du développement durable, à la suite du sommet de Rio+20, qui doivent être respectivement renouvelés et définis en 2015.

La position française a été affinée avec la société civile dans le cadre des Assises du développement et de la solidarité internationale, conclues le 1er mars dernier, et les positions européennes sont en train de se stabiliser. Je me rendrai demain à New York pour deux jours de réunions de travail à l'ONU sur la définition des futurs objectifs du développement durable. Nous partageons notre siège avec l'Allemagne – ce qui est une première, dont je me réjouis – et la Suisse sur ce sujet.

La France et l'Europe plaident pour une convergence entre ces deux agendas : il s'agit d'un point majeur des négociations internationales des trois années à venir. Il est inenvisageable de poursuivre une politique de développement n'intégrant pas les questions de soutenabilité. C'est d'ailleurs ce que dit la Banque mondiale dans un récent rapport publié juste avant la conférence de Doha sur le climat, dans lequel elle précise qu'un monde connaissant une température de 4 degrés supplémentaires aurait plus d'enfants mourant avant l'âge de cinq ans à cause de l'insécurité alimentaire et de la sécheresse. Au Sahel, il pleut aujourd'hui en moyenne 30 % de moins qu'il y a dix ans ; au Sénégal, à Saint-Louis, l'érosion côtière commence à grignoter la ville. Les pays les plus pauvres sont les plus touchés et les plus vulnérables. Il est illusoire de penser qu'on puisse continuer à se développer avec 9 milliards d'habitants en 2050 comme on l'a fait jusqu'ici.

J'ai pris plusieurs mesures pour intégrer la soutenabilité environnementale dans les politiques de développement – la soutenabilité sociale l'étant par essence dans celles traitant d'éducation ou de santé.

En matière énergétique, nous avons modifié en octobre dernier la stratégie de l'Agence française de développement (AFD) – qui est notre troisième banque publique après la Caisse des dépôts et la Banque publique d'investissement (BPI) –, de façon à faire des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique les deux priorités de notre intervention. Cet organisme va prêter entre 5 et 6 milliards d'euros dans les trois prochaines années à des pays du Sud, émergents ou en développement, pour favoriser des investissements dans ce secteur. Le Président de la République a annoncé à cet égard, lors de la clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale, que nous arrêterons de financer des centrales à charbon sans dispositif de type CCS (capture et stockage de carbone) : nous considérons que soutenir de telles infrastructures est incompatible avec notre agenda de transition énergétique et de lutte contre le changement climatique.

Dans le domaine agricole, nous sommes en train de revoir la doctrine de l'AFD, de manière à donner la priorité, dans nos investissements sous forme de prêts mais aussi de dons, à l'agriculture paysanne, c'est-à-dire à des formes d'agriculture peu intensives en carbone, et à des circuits courts sur des marchés locaux – plutôt qu'à une agriculture d'exportation sur le marché mondial, qui a sa raison d'être mais ne doit pas forcément être financée par des fonds publics. Nous avons achevé la concertation avec une soixantaine d'organisations de la société civile, du Nord comme du Sud, et allons adopter un texte lors du prochain conseil d'administration de l'AFD fin mars.

S'agissant de la biodiversité, la doctrine évoluera au cours du second semestre 2013 en vue de renforcer sa prise en compte dans les projets financés par l'AFD.

En outre, deux éléments transversaux ont été mis en place.

D'abord – cela est à l'oeuvre pour la première fois sous une forme pilote ce mois-ci, avant une instauration définitive en octobre pour tous les projets de l'AFD –, chaque projet fera l'objet, au-delà d'un premier avis bancaire et financier, d'un avis « développement durable » – qui intégrera une méthodologie permettant d'évaluer le projet et de le noter –, au vu duquel le conseil d'administration prendra sa décision. Cela donnera un système de références communes à l'ensemble des projets financés par l'agence.

Deuxièmement, la France s'est donnée pour objectif de porter à 50 % les projets financés ayant des « co-bénéfices » climat – nous allons d'ailleurs atteindre un taux de 45 %.

Notre action est aussi conduite au niveau européen. Le dernier budget européen en matière de politique de développement pour les sept prochaines années est de 27 milliards d'euros. Nous souhaitons intégrer dans cette politique l'objectif de 20 % de projets favorables au climat au travers du Fonds européen de développement (FED) – il n'y a pas aujourd'hui d'objectif de soutenabilité en la matière.

Par ailleurs, la France a proposé d'organiser en 2015 la grande conférence sur le climat. Lorsque j'ai annoncé cette nouvelle dans le cadre du forum des économies majeures, le négociateur chinois a déclaré « vous voulez faire Copenhague sur Seine ! », ce qui montre la difficulté de la tâche ! Cela donne à l'ensemble des acteurs politiques français une responsabilité particulière. Je gère ce dossier pour le ministère des affaires étrangères, sous l'autorité de Laurent Fabius.

Nous devons éviter l'erreur du « tout ou rien » de la Conférence de Copenhague, où l'on a voulu obtenir un accord qui allait changer le monde pour finalement aboutir à peu de chose – ce qui a créé une sorte de « climate blues » freinant toutes les mobilisations. Il convient d'être modeste : la logique voudrait qu'il n'y ait pas d'accord, même si nous allons tout faire pour que ce soit le cas.

Nous commençons à travailler sur plusieurs pistes. D'abord, nous essayons de savoir pourquoi les agendas en vigueur échouent. On voit qu'on est dans un imaginaire du « burden sharing » ou partage du fardeau. Or la capacité de l'humanité à se mettre d'accord sur un tel partage de manière coopérative et pacifique sans que rien ne l'impose est aujourd'hui à peu près nulle, même si l'on peut toujours espérer une forme de sursaut à Paris en 2015. Il y a donc lieu de construire autre chose : d'où l'importance de travailler sur un imaginaire positif en termes de technologies ou de financements et des bonus de coopération pour chaque pays. Nous devons trouver des alliés, au Nord comme au Sud, pour prendre des initiatives à cet égard.

Deuxièmement, on peut se demander si les 100 milliards de dollars que les pays riches ont décidé de consacrer aux pays en développement lors de la Conférence de Copenhague sont publics et additionnels aux actions en cours en matière d'aide publique au développement ou intègrent les fonds privés et ce qui est déjà entrepris. Même si l'on se situait dans le premier cas, l'objectif serait très difficile à atteindre dans le contexte budgétaire actuel, et s'il l'était, cela ne changerait pas grand-chose dans la mesure où ce montant constitue une goutte d'eau par rapport à celui consacré à l'ensemble des infrastructures – au mieux 2 à 3 % – et ne permettrait pas de vraiment lutter contre le changement climatique. Il faut essayer de construire un agenda à la fois plus réaliste politiquement et plus ambitieux, ce qui suppose de faire de l'investissement favorable au climat la norme. On pourrait déjà orienter en ce sens les 100 milliards actuels consacrés à l'aide publique au développement sans qu'il en coûte un euro de plus, autrement dit faire en sorte que les fonds finançant des centrales à charbon ou des modèles agricoles ou énergétiques n'intégrant pas la question climatique le fassent.

La France a une responsabilité particulière car elle dispose d'un appareil diplomatique lui permettant d'être présente à peu près partout dans le monde pour faire avancer ce dossier au cours des trois années à venir. Je compte sur vos idées et vos initiatives pour nous y aider et obtenir un succès diplomatique à Paris en 2015.

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