Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 19 mars 2013 à 21h30
Débat sur le rapport d'information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les co-rapporteurs, ce débat nous permet de réfléchir ensemble et posément à une autre politique pénale plus efficace et de repenser sans démagogie aucune la place de la prison.

La loi Dati sur les peines plancher a indéniablement provoqué une augmentation de la population carcérale depuis sa mise en application. Inspiré des législations américaines, qui réévaluent elles aussi ce dispositif aujourd'hui, le système des peines plancher est une effroyable machine à remplir des prisons déjà surchargées. Il est totalement contre-productif pour lutter contre la récidive et assurer la prise en compte et l'indemnisation des victimes.

Ce mécanisme s'est en effet révélé totalement inefficace, voire injuste. Outre le discrédit que ce dispositif réducteur jette sur le juge pénal, il transforme les tribunaux en distributeurs automatiques de peines de prison. Il est l'émanation directe de la défiance de l'exécutif vis-à-vis des juges, de la volonté de se passer complètement du judiciaire, qui est pourtant l'un des contre-pouvoirs essentiels de notre démocratie.

Or le principe d'individualisation des peines est déduit de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, selon laquelle « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Si la fonction de juger est l'un des piliers de la démocratie, elle exige que tout citoyen soit jugé en tant que sujet de droit et non comme un simple objet ou comme une abstraction.

Cela signifie très clairement et très directement que le juge doit prendre en compte la nature et les circonstances de l'infraction poursuivie, mais aussi et surtout la personnalité de l'auteur dans toutes ses composantes, pas exclusivement son casier judiciaire.

Une étude publiée par le ministère de la justice en octobre 2012 a conclu qu'en 2010 les peines minimales ont été prononcées dans 38 % des cas éligibles et que, si l'on n'a pas davantage eu recours aux peines d'emprisonnement dans ces cas, la durée des peines prononcées a augmenté, passant en moyenne de 8,2 mois à 11 mois entre l'entrée en vigueur de la loi et 2010. Cela correspond à une augmentation d'environ 4 % des années de détention prononcées. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, le résultat est encore plus impressionnant si l'on parle en heures de prison.

La peine plancher porte atteinte au principe d'égalité du citoyen devant la justice, car la loi autorise le juge – si tant est qu'il motive sa décision – à déroger à la peine minimale, à condition que le délinquant offre des « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ».

Cette expression, définie nulle part et appréciée différemment en fonction des juridictions, rompt avec le principe d'égalité des justiciables, puisque les plus précaires ont de plus grandes difficultés à apporter la preuve de ces garanties. Un sans domicile fixe, un chômeur ou un étranger ont évidemment plus de mal à justifier de leur capacité d'insertion – ou, encore mieux, de réinsertion – que le justiciable en col blanc qui s'est donné les moyens d'une défense efficace et bénéficiera d'une application plus modérée de la loi pénale.

Revenons enfin aux principes cardinaux de notre droit pénal !

Les juges, d'ailleurs, ne s'y trompent pas, qui ont commencé à détourner les dispositions de la loi Dati. Le précédent exécutif, sans le crier sur les toits, en catimini, a pris des mesures pour tenter de réduire la durée des condamnations et d'adoucir les conditions carcérales liées à la surpopulation carcérale.

Enfin, grâce à votre circulaire de politique pénale prescrivant aux parquets un recours limité aux peines plancher, ces dernières finissent par tomber en désuétude dans nos juridictions.

Laissons donc aux magistrats le soin d'apprécier à leur juste mesure les faits délictueux. Leur décision ne doit être contrainte en aucune manière, particulièrement par une peine plancher qui ne tient a priori nul compte du parcours global de l'individu, de la nature des infractions et de la nécessaire individualisation de la peine. Laissons les juges faire leur métier de juge !

La politique du tout carcéral est un échec cinglant dans le combat que nous menons tous contre la récidive. La prison est criminogène, notamment lorsque les sorties sont sèches. Les discours binaires, radicaux, réducteurs et caricaturaux de la droite et de l'extrême droite n'apportent aucune solution pour lutter efficacement contre la délinquance, sauf s'il s'agit de flatter les bas instincts et de jouer sur les peurs, aussi légitimes puissent-elles être.

Ce dispositif électoraliste, on l'a vu, démagogique et populiste à souhait, dogmatique et même tape-à-l'oeil, n'a pas fait baisser la délinquance, pas plus qu'il n'a eu d'effet direct sur la récidive – qui a considérablement augmenté –, aidé les victimes ou réconcilié le corps social.

Il est certes plus facile d'être démagogue que pédagogue. Le jury de la conférence de consensus recommande d'abandonner les peines automatiques, ainsi que le préconise l'excellent rapport, pragmatique et volontariste, de notre collègue Dominique Raimbourg.

À votre tour, madame la garde des sceaux, vous avez annoncé la suppression des peines plancher. Nous nous félicitons de cette convergence de vues, qui nous permettra de travailler efficacement dans ce sens, et sans délai. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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