Intervention de Michel Liebgott

Séance en hémicycle du 21 mars 2013 à 21h30
Débat sur la politique européenne en matière d'emploi des jeunes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Liebgott :

Madame la présidente, chers collègues, étant le dernier orateur, permettez-moi de féliciter le ministre qui laisse le portefeuille de la formation professionnelle pour prolonger son travail au sein du ministère des affaires européennes. Manifestement, il est d'ailleurs irremplaçable, en France, dans sa fonction de ministre de la formation professionnelle… (Sourires.)

Martin Schulz disait que si l'on avait trouvé 100 milliards d'euros pour les banques, on devrait trouver un milliard pour les jeunes. L'emploi des jeunes en Europe est devenu un sujet à part entière tant l'accroissement du chômage remet en question la capacité de notre modèle social à intégrer les nouvelles générations et met en danger les fondements même de notre pacte social.

Il n'existe pas à proprement parler de politique européenne de l'emploi, ce dernier relevant de la compétence de chaque État membre. Mais il existe à n'en plus douter un enjeu européen commun : retrouver un taux d'activité des jeunes satisfaisant pour ressouder le tissu social européen.

De nombreuses disparités nationales existent, plusieurs orateurs les ont déjà évoquées. Je rappellerai simplement que, depuis le début de la crise économique, le chômage des jeunes de 15 à 24 ans a progressé de 50 % dans l'Union européenne, en particulier le chômage de longue durée. Ce n'est pas vrai qu'en Europe : en France aussi le chômage de longue durée – et surtout de très longue durée – est celui qui a le plus augmenté depuis 2008.

Dans toute l'Europe, les incidences du chômage des jeunes sont à craindre aux plans social, sociétal, humain et économique. S'ils sont les premiers touchés par la précarisation des emplois avec des recours aux temps partiels subis, aux emplois temporaires, de faibles rémunérations, ils sont aussi les plus exposés à une précarité financière, une dégradation de leur pouvoir d'achat qui entrave leur autonomie et leurs premiers pas dans le monde du travail.

Ainsi, dans les deux tiers des pays de l'OCDE, les jeunes sortis du système scolaire n'ont droit à aucune forme d'indemnisation faute de pouvoir justifier d'une période suffisante d'emploi pour prétendre à l'assurance chômage. Les aides, lorsqu'elles existent, sont insuffisantes pour que les jeunes en formation puissent poursuivre leurs études sans travailler ou pour compléter un temps partiel.

Cette situation induit par ailleurs un déclassement économique et social durable. Elle affecte la carrière et la rémunération des jeunes à long terme, niveau de retraites compris, même s'ils n'y pensent pas souvent. Cela peut conduire à terme les plus jeunes générations à contester les fondements mêmes de notre système de protection sociale qu'ils jugeraient trop peu redistributif pour eux-mêmes et trop contributif au regard de leur vulnérabilité économique et sociale et du poids du déficit. Certains n'ont pas hésité à parler de génération sacrifiée. Cette situation peut déboucher sur toutes formes de nationalisme et d'excès.

Au plan humain, comment ne pas s'interroger sur une société qui refuse aux jeunes générations la reconnaissance de leur utilité sociale, entrave la construction de leur identité personnelle au moment même où elles devraient acquérir leur autonomie financière, trouver un logement, bref, vivre ? Je ne peux m'empêcher de penser au sentiment de dévalorisation, à la déstructuration des rapports familiaux et des relations sociales lorsqu'un jeune sans emploi vient à côtoyer sous le toit familial un parent licencié à l'occasion d'une restructuration, comme en Lorraine. On voit souvent en effet dans ces régions postindustrielles des générations parties trop tôt en retraite côtoyer des jeunes qui n'arrivent pas à s'insérer dans le marché de l'emploi.

Au plan économique, le chômage des jeunes, comme celui des autres tranches d'âge, entraîne une dégradation des capacités de production, une perte de compétitivité, une baisse de la consommation, un risque de déqualification. Il pèse aussi sur le niveau des comptes sociaux. Je ne reviendrai pas sur les chiffres d'Eurofund que certains ont déjà cités, ni sur ceux du think-tank européen « Pour la solidarité ».

Si le chômage des jeunes est un fléau dont plus personne ne peut ignorer la dangerosité et la toxicité, comment expliquer que l'objectif premier de l'Union européenne n'ait pas été de le réduire ? En privilégiant le taux d'emploi et un chômage structurel durable, les postulats néolibéraux ont longtemps présidé à la vision des politiques européennes de l'emploi. Mais la crise actuelle a bouleversé les certitudes idéologiques. Les pays qui ont promu la sécurité du droit du travail ont mieux résisté, on a pu le constater, en favorisant un contrat fixe quitte à instaurer une flexibilité interne à l'entreprise via le chômage partiel, comme en Allemagne. Au contraire, ceux parmi lesquels il est facile de licencier les travailleurs ont connu une forte augmentation du chômage, comme le Danemark et les Pays-Bas.

Le changement de braquet est donc récent, tant en Europe qu'en France. Dans le cadre des compétences qui sont les siennes, c'est-à-dire stratégiques, la Commission européenne a redéfini des priorités en avril 2012. Dans ce nouveau paquet emploi, on trouve la sécurité sociale et économique, l'éducation et la formation, la vie au travail et hors travail, l'égalité entre hommes et femmes. Il s'intéresse aussi à la qualité des emplois créés, aux conditions de travail et propose un minimum salarial dans chaque État membre, sans aller toutefois vers un salaire minimum européen, seul à même de lutter contre le dumping social infra-européen. Ce paquet emploi est néanmoins prometteur, car il marque un glissement idéologique vers une politique moins libérale et une convergence des politiques de l'Union européenne avec un début de financement.

Je voulais ici souligner la dernière initiative des ministres européens du travail qui, le 27 février dernier, ont donné leur accord pour l'instauration d'une « garantie jeunesse » fondée sur l'expérience de deux pays, l'Autriche et la Finlande., Selon la recommandation du Conseil du 5 décembre 2012, elle vise à faire en sorte que tous les jeunes de moins de 25 ans se voient proposer une offre de bonne qualité portant sur un emploi, un complément de formation, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois suivant la perte de leur emploi ou leur sortie de l'enseignement formel.

Sont prévus 6 milliards d'euros sur sept ans à partir de la fin de 2014 à destination des jeunes de régions dont le taux de chômage est supérieur à 25 % – même si ce critère peut être discuté – ainsi que 3 milliards d'euros issus du Fonds social européen soumis à une obligation de cofinancement national et 3 milliards d'euros issus d'une ligne budgétaire spécialement créée à cet effet.

C'est un projet que nous devons encourager et développer, même si l'on peut lui reprocher une mise en oeuvre tardive – au mieux à fin 2014, lorsque nous serons peut-être entrés dans un cycle de reprise – et des moyens encore trop faibles. Je souhaiterais par ailleurs que ces fonds européens puissent abonder des dispositifs nationaux, tels que le nouveau compte personnel de formation mis en place dans le projet de loi sur la sécurisation de l'emploi, qui doit pouvoir être mobilisé pour les décrocheurs scolaires.

En France, depuis plus de trente ans, notamment à l'initiative de la gauche qui a créé les missions locales dans les années quatre-vingt, ce ne sont pas moins de quatre-vingts mesures qui ont été prises en faveur des jeunes, mettant l'accent sur l'insertion par l'emploi au détriment, somme toute, de la logique éducative. Les contrats aidés se sont multipliés, depuis la création du « dispositif 16-18 ans » jusqu'aux emplois jeunes et contrats initiative-emploi dans le secteur marchand et non marchand, sans toujours éviter les effets d'aubaine.

Je veux souligner les décisions prises par le Président de la République et le Gouvernement qui, depuis mai 2012, ont fait de la jeunesse une grande cause nationale. Je veux surtout insister sur la grande cohérence de ces mesures et sur leur transversalité, car elles touchent aussi bien aux causes structurelles qu'aux causes conjoncturelles du chômage des jeunes.

Je ne reviendrai pas en détail sur les quarante-sept mesures présentées lors du conseil interministériel de la jeunesse du 22 février 2013. Je rappellerai simplement quelques mesures phares en faveur de l'emploi des jeunes, qui font feu de tout bois, usant de tous les leviers des politiques publiques.

Avec les contrats de génération, les emplois d'avenir et la hausse du budget des contrats aidés, nous agissons sur l'insertion par l'emploi de façon massive, pour un effet contracyclique réel dans une conjoncture encore difficile. Contrairement aux gouvernements précédents, nous cherchons à cibler des publics prioritaires, et nous veillons au contenu de formation et à la qualité de contrat de travail en privilégiant le CDI.

Avec le crédit d'impôt compétitivité emploi, qui encourage la création et l'innovation, et avec la création de la Banque publique d'investissement, nous agissons pour créer un nouveau cycle d'innovation, de croissance et donc d'emploi.

Avec le projet de loi sur la sécurisation de l'emploi, qui vise à lutter contre la peur de l'embauche, réhabilite le dialogue social et favorise la mobilité sécurisée, et avec la gestion prévisionnelle des compétences, nous agissons sur les lourdeurs de notre marché du travail.

Avec la refondation de l'école, qui s'attaque aux racines de l'échec scolaire – je pense en particulier à la scolarisation dès deux ans dans les zones d'éducation prioritaire –, affecte plus de moyens au primaire, lutte contre les déterminismes sociaux engendrant des inégalités scolaires et rétablit l'égalité entre les filières, nous agissons sur les failles de notre système éducatif.

Enfin, avec la garantie jeunesse, le nouveau service public de l'orientation pour un accompagnement, des conseils en formation et sur les métiers, ainsi qu'avec le futur projet de loi sur la formation professionnelle que vous n'aurez pas l'honneur de conduire, monsieur le ministre,…

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