Intervention de Guillaume Pepy

Réunion du 19 mars 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Guillaume Pepy :

Je vous remercie pour vos encouragements. Les 250 000 salariés de la SNCF sont extraordinairement sensibles à l'opinion que les élus de la République ont de leur travail ; je prends donc les auditions auxquelles vous me conviez comme des marques d'intérêt et de reconnaissance très fortes.

Je redis de la manière la plus claire que l'objectif le plus important de tous, au cours des cinq ans qui viennent, est la qualité de service, et en premier lieu la sécurité. Celle qu'offre notre système ferroviaire est parmi les meilleures du monde, et elle doit le demeurer. Cela paraît acquis, mais ce ne l'est pas - c'est un effort de tous les instants, car 17 000 trains roulent tous les jours sur notre réseau, et plus de 1 000 à un instant donné, dont 60 % en même temps sur seulement 10 % du territoire, le grand bassin parisien.

Je tiens à préciser que l'échec du fret ferroviaire n'est pas celui des 10 000 cheminots qui y travaillent mais l'échec à créer collectivement les conditions d'un développement équilibré du transport ferroviaire de marchandises en Europe. Une étude récemment réalisée par le cabinet Bain a mis en évidence une perte cumulée de 5 milliards d'euros en cinq ans par les opérateurs de fret ferroviaire des sept pays européens considérés. Nos équipes, quant à elles, ont réussi à améliorer la qualité du service : l'indice de satisfaction des clients a progressé de dix points et la perte financière a été réduite d'un tiers ces quatre dernières années, ce qui est un résultat appréciable.

J'en suis d'accord, monsieur Rémi Pauvros, notre préoccupation principale doit être de mieux organiser l'inter-modalité pour mieux servir des territoires ruraux et dépenser au mieux chaque denier public qui nous a été confié. Notre objectif n'est pas un moindre service public mais un meilleur service public. Il s'agit de gagner en efficacité pour faire aussi bien, car on peut améliorer la qualité du service sans forcément dépenser davantage ; à de certains moments il faut dépenser plus, mais l'on peut aussi faire des économies. L'enjeu est l'efficacité globale de notre système de transport ferroviaire, au moment où se conjuguent une crise financière des collectivités publiques et la forte exigence des usagers que le train soit moins cher.

Voilà qui explique, monsieur Martial Saddier, les caractéristiques du produit à bas coût que nous souhaitons proposer : aucun sacrifice sur la qualité mais une efficacité accrue de nos moyens de production, afin de pouvoir répercuter sur les voyageurs les économies que nous réalisons. Parce que nous sommes parvenus à réduire de 30 % les coûts de production, le trajet Marseille-Marne-la-Vallée ou Montpellier-Marne-la-Vallée est proposé au voyageur à prix variant de 10 à 50 euros dans les trains Ouigo.

Comment traiter le volet social de la réforme, m'a-t-il été demandé ? J'ai confiance en la capacité de l'ensemble des partenaires sociaux de négocier une convention collective pour la branche ferroviaire. Cela prendra 18 mois ou deux ans et, si l'on y parvient, le texte, qui sera le pendant de la réforme institutionnelle et financière, prouvera notre capacité collective à moderniser le système sans faire l'impasse sur le volet social et sans, non plus, pérenniser pour l'éternité des règles héritées du passé. Je prends l'engagement de m'investir à cette fin.

S'agissant du foncier, M. Jacques Rapoport et moi-même sommes favorables au guichet unique.

MM. Bertrand Pancher et Philippe Duron m'ont interrogé sur la dette. La question est très délicate. L'endettement de la SNCF est de 7 milliards d'euros, celui de RFF s'élève 32 milliards, soit quelque 40 milliards en tout, mais le risque existe que cet endettement progresse fortement d'ici dix ans en raison de l'évolution des taux d'intérêt et des projets déjà lancés. Nous proposons aux pouvoirs publics de stabiliser la dette – la question pendante est de savoir à quelle échéance et à quel niveau car endettement et surendettement sont choses distinctes. Notre premier objectif doit être de casser la dynamique d'augmentation de la dette puis, dans un second temps, de l'amortir. Parce qu'elle évitera doublons, ordres et contrordres, et parce qu'elle allègera la gestion contractuelle, la réforme nous permettra d'améliorer fondamentalement l'efficacité de l'organisation. L'unification de l'infrastructure permet de doubler la productivité annuelle du gestionnaire, qui passera de 1 à 2 %. Il restera à renforcer l'efficacité du capital investi dans le système ferroviaire ; et comme il s'agit de 100 milliards d'euros - répartis pour moitié entre le transporteur et le gestionnaire du réseau -, une amélioration de 1 ou 2% signifie que l'on gagne 1 ou 2 milliards. C'est en optimisant un réseau de bonne qualité et en créant davantage de richesse collective que nous pensons pouvoir stabiliser la dette. Outre cela, il faudra faire des choix d'infrastructures entre continuer le programme de grande vitesse ; mieux entretenir le réseau existant ; rattraper le retard pris en Île-de-France. J'ai la conviction que l'on ne peut mener les trois de front, sous peine d'une dérive de la dette difficilement maîtrisable. Il faudra donc se fixer des priorités.

M. François-Michel Lambert a insisté sur la multi-modalité. Je suis persuadé que l'on peut combiner transports ferroviaires, modes « doux » et systèmes personnalisés de transport à la demande. Il ne s'agit donc pas de réduire le service public mais de l'améliorer à un coût raisonnable pour la collectivité, comme beaucoup de pays européens l'ont déjà fait. Ce sera la priorité du mandat à venir.

En matière de transport de marchandises, je pense que pour les longues distances l'efficacité peut être renforcée par une bonne articulation entre le fluvial et le ferroviaire, le combiné portuaire et l'utilisation de trains longs. Il n'y a rien à attendre de l'opposition entre modes de transport, chacun en est désormais convaincu, mais il faut maintenant passer aux actes.

Nous croyons beaucoup à l'innovation technologique pour le transport ferroviaire de marchandises. L'autoroute ferroviaire est une invention française, et je la tiens pour une bonne priorité. Le ministre va annoncer le lancement prochain d'une autoroute ferroviaire Atlantique, puis d'une autre reliant le Nord-Pas-de-Calais à l'Est et au Rhin-Rhône. À long terme, c'est une solution efficace et économiquement supportable.

Monsieur Jacques Krabal, soyez assuré que nous aurons pour boussole, au cours des années à venir, la qualité de service.

Oui, monsieur Jean-Yves Caullet, la multi-modalité suppose l'évolution de la billettique, avec un outil de communication en champ proche – la technologie NFC - dont nous ne disposons pas encore mais qui est déjà utilisée en Corée, à Hong-Kong et au Japon, et qui va s'implanter en Europe ; elle permettra l'interopérabilité avec les smartphones.

Je vous répondrai par écrit à propos de la filière bois, et aussi de la logistique inverse, qui progresse en effet en raison de la forte tendance à la récupération en vue de recyclage.

M. Olivier Falorni s'interroge sur l'accueil que fera l'Union européenne au projet français de réforme ferroviaire. L'Union ne peut être complètement sourde à l'expression de la volonté de la France, deuxième pays ferroviaire d'Europe, en cette matière. Si la réforme est adoptée par le Parlement français, elle deviendra un élément de fait dans le débat européen. Ni le Conseil des ministres ni le Parlement européen ne peuvent y être insensibles. C'est pourquoi je recommande que le débat aboutisse, en France, dans un délai relativement rapide, à temps pour que la réforme soit prise en compte lors de l'élaboration du quatrième paquet ferroviaire, qui ne sera pas adopté avant l'été 2014.

M. Jean-Jacques Cottel s'est élevé contre la tarification du TGV Nord-Europe. Actuellement, cette ligne perd de l'argent. Si la tarification est un peu plus chère que pour les autres lignes, c'est que le péage est élevé ; la ligne est aussi empruntée par Eurostar et Thalys, et RFF a estimé la capacité contributive importante. M. Jacques Rapoport et moi-même souhaitons ouvrir la réflexion à ce sujet, l'objectif étant d'utiliser la ligne à des tarifs raisonnables.

Mme Valérie Lacroute s'est inquiétée de l'avenir des trains Intercités sur la ligne Paris-Nevers. J'ai saisi l'État, autorité organisatrice, qui a montré une grande sensibilité à ce que, sur ce parcours, ces trains desservent les grandes villes mais qu'il y ait aussi des arrêts intermédiaires dans les villes du bassin parisien. Je pense pouvoir vous rassurer : l'intention n'est pas de supprimer la desserte du grand bassin parisien.

Je souhaite aussi rassurer Mme Suzanne Tallard, qui m'a demandé quels engagements nous pouvons prendre pour nourrir l'appareil industriel français. Alstom s'est engagé auprès de la SNCF et des pouvoirs publics à construire, à l'échéance de 2018, une troisième génération de TGV. C'est nécessaire en France, mais aussi pour l'exportation vers le Brésil, la Russie et plus tard l'Amérique du Nord. La décision annoncée à Valenciennes est la bonne. Par ailleurs, nos marchés peuvent conduire à la construction de plus d'un millier de rames de TER, soit dans les usines Alstom soit dans les usines Bombardier. Sans même parler de l'exportation, la charge de travail est donc raisonnable pour l'industrie ferroviaire française.

Je le redis : je crois, monsieur Christophe Priou, au combiné portuaire. Vous m'avez aussi interrogé sur la capacité du système ferroviaire à être totalement accessible aux personnes handicapées en 2015. Dans son rapport, Mme la sénatrice Claire-Lise Campion indique que toutes les collectivités publiques ne leur seront probablement pas totalement accessibles à cette échéance. Nous devons maintenir l'effort d'adaptation du système ferroviaire, sans baisser la garde, à raison d'un investissement de 150 à 170 millions d'euros par an.

Je pense avoir répondu aux préoccupations exprimées par Mme Sophie Errante à propos de la sécurité. J'ajoute que le rôle de l'Agence ferroviaire européenne va être renforcé – c'est une des questions débattues dans le cadre de l'élaboration du quatrième paquet ferroviaire, d'une grande importance pour garantir le niveau de sécurité que nous souhaitons partout en Europe, où les mêmes normes et les mêmes contrôles doivent s'appliquer. Nous sommes bien sûr favorables à ce que le haut niveau de sécurité français devienne la norme de sécurité européenne et que l'Agence ferroviaire européenne soit chargée d'en surveiller le respect.

M. Philippe Duron et M. Gilles Savary, évoquant la crise du financement, se sont demandé si un train de modèle intermédiaire entre le TGV et le train classique, et prévu pour rouler à 220 kilomètres à l'heure ne coûterait pas moins cher. Dans le passé, la SNCF a été très fermée à cette idée, fascinée qu'elle était par la modernité de la très grande vitesse et par son potentiel mondial. Elle a eu tort, car ce modèle n'est peut-être pas le plus efficace pour la France dans les dix ou quinze ans à venir. Je suis donc ouvert à cette discussion, sans préjugés. J'observe que nos collègues allemands ont fixé la norme de 250 kilomètres à l'heure, mais il faut reconnaître qu'ils sont aidés par une géographie différente de la nôtre. Pendant ce temps, on a engagé en France la deuxième phase du TGV-Est, qui permettra de parcourir le trajet entre Paris et Strasbourg en 1 heure 55 au lieu de 2 heures 20 actuellement, pour un coût estimé à 3 milliards d'euros ; on conviendra que la minute gagnée l'est à un prix élevé. Il est donc positif et légitime que la commission Mobilité 21 rouvre cette perspective, surtout si l'on ne veut pas reporter la construction de lignes de TGV à des échéances lointaines de 20 ou 30 ans.

M. Laurent Furst a insisté sur la part importante du financement public dans le ferroviaire. J'en ai parlé moi-même et ne le conteste pas, mais j'observe que la même remarque vaudrait, serait-il face à vous, pour un représentant de la société Dassault, qui vit largement de la commande publique sans qu'on lui en fasse le reproche. Que notre chiffre d'affaires s'explique pour une large part par des contrats publics n'est pas une faiblesse mais une force, mais cela nous oblige à des efforts de compétitivité exceptionnels. C'est pourquoi je propose de faire passer la marge opérationnelle de l'entreprise de 9,5 % à 10,5 ou 11 % à l'échéance de 2020. Cet effort considérable nous permettrait de réduire notre dette à 5,5 ou 6 milliards d'euros.

M. Alexis Bachelay a, à juste titre, souligné l'insuffisance de l'information en cas de perturbation. Nous devons progresser à ce sujet, je l'ai dit, et j'ai bon espoir que nous le ferons lorsque chacun des 17 000 trains qui roulent chaque jour sera géo-localisé en temps réel, ce qui n'est pas encore le cas. L'investissement fait par RFF dans le réseau de télécommunication ferroviaire GSM–Rail le permettra.

M. Yann Capet souhaite la relance du fret ferroviaire par le biais de l'investissement technologique. Il est vrai que nous n'avons pas suffisamment investi dans les technologies aptes à rendre l'activité de fret plus efficace. On a cependant progressé, puisque les trains mesurent maintenant entre 700 et 800 mètres, mais l'on pourrait sans doute faire rouler des trains longs de 1 200 à 1 500 mètres si des innovations techniques étaient réalisées. C'est sans doute une des pistes importantes pour améliorer l'efficacité globale du fret.

M. Jean-Pierre Vigier s'est élevé contre la vétusté des trains d'équilibre du territoire. Le ministre l'a indiqué, 400 millions d'euros seront engagés en 2013 pour entamer leur renouvellement. Les besoins étant estimés entre 400 et 600 trains, le programme, qui pourrait s'étaler sur 5 à 7 ans, permettrait de passer de la génération des trains Corail à une génération de trains automoteurs adaptés aux lignes Intercités.

M. Gilles Savary m'a interrogé sur le rôle de l'État actionnaire. Depuis la création de l'Agence des participations de l'État, celui-ci a beaucoup progressé dans le pilotage du secteur public et je n'ai pas à me plaindre de la manière dont il exerce sa fonction d'actionnaire de la SNCF. Mais il est vrai que la division du système ferroviaire en plusieurs entités a obligé l'État à arbitrer en permanence « entre ses enfants » et cela le met mal à l'aise car il les aime tous de la même manière… La réunification du système ferroviaire mettra fin à ce drame cruel : si un pôle public unifié est constitué, l'État n'aura qu'à dire : « Voilà quelle stratégie doit être suivie », et il reviendra au pôle unifié de la mettre en oeuvre.

M. Guillaume Chevrollier a enfin souligné la nécessité de penser le trajet « de bout en bout » et, de cette manière, la desserte des territoires ruraux. Je tiens à le rassurer. Si la SNCF est à la fois le ferroviaire, Keolis, les parcs de stationnement, des centrales de mobilité, le transport pour personnes à mobilité réduite, le vélo, le vélo électrique et l'auto-partage, c'est parce que nous avons la conviction absolue que nous sommes capables d'avoir un très haut niveau de service public, y compris dans les zones rurales, à des coûts raisonnables et maîtrisés. C'est l'engagement que je prends devant vous.

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