Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 20 mars 2013 à 8h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Mon intervention portera principalement sur le Mali.

Je ne puis à ce stade confirmer ni infirmer le communiqué d'AQMI aux médias mauritaniens que vous évoquez.

Cette semaine a été marquée par la mort d'un cinquième soldat français, le caporal Van Dooren, auquel il sera rendu hommage samedi matin en ma présence.

S'agissant de la situation au Mali, je tiens un point hebdomadaire devant la Commission de la défense. Je rappelle les trois objectifs ayant motivé notre intervention : stopper l'offensive des terroristes, qui s'étaient engagés au début de janvier dans une opération visant à descendre vers Mopti et Bamako – ce qui a été fait – ; contribuer à la restauration de l'intégrité du Mali et à sa préservation – ce qui est en cours – ; enfin, permettre l'application des décisions internationales, le déploiement de la force africaine et l'opération européenne de formation de l'armée malienne – qui sont également à l'oeuvre.

Sur la partie strictement militaire, après la libération des villes occupées par les djihadistes – notamment Tombouctou et Gao –, qui s'est effectuée sans trop de difficultés en raison de la stratégie d'évitement de la part des groupes terroristes, en particulier d'AQMI et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) – le groupe Ansar Eddine semblant s'être dilué ou reconverti dans d'autres groupes –, nous menons depuis plus d'un mois contre ceux-ci des opérations difficiles, mais qui progressent de jour en jour dans l'Adrar des Ifoghas comme dans la zone de Gao.

Dans l'Adrar des Ifoghas, nous avons organisé un dispositif solide autour de la zone, avec la présence des forces françaises à Tessalit et à Kidal ainsi qu'un soutien des forces tchadiennes à l'est. Cette action s'est traduite par des combats très significatifs dans la vallée d'Amettetai, qui ont permis de neutraliser un nombre important de djihadistes. Je me suis rendu sur place : nous reprenons ainsi l'ensemble des vallées de l'Adrar. C'est dans la vallée de Terz, par laquelle nous pénétrons notamment, qu'est intervenue la mort du caporal Van Dooren après l'explosion d'un engin explosif improvisé ou IED.

Les conditions de travail de nos forces – auxquelles je souhaite rendre hommage – sont, en raison de la chaleur – de l'ordre de cinquante degrés –, extrêmement difficiles, à la fois physiquement et pour l'approvisionnement et la logistique. Cette « neutralisation » ne s'en poursuit pas moins jour après jour, essentiellement à pied.

Nous avons parallèlement poursuivi nos opérations de sécurisation sur la frontière algérienne. De même, nous avons mené des actions dans le Timétrine, à l'ouest de l'Adrar des Ifoghas, qui sont bien avancées.

Dans cette zone, ce sont les terroristes d'AQMI, très organisés, armés et déterminés, qui ont combattu.

Nous avons recueilli sur place énormément de matériel militaire, par dizaines de tonnes, qu'il s'agisse de matériel sophistiqué, d'ordinateurs ou de dispositifs de déclenchement d'IED. Hier encore, nous avons découvert d'autres caches.

Nous devrions aboutir assez rapidement à la neutralisation de l'Adrar des Ifoghas. Les opérations se déroulent à peu près conformément au calendrier prévu par l'état-major des armées.

Dans la région de Gao, nous sommes accompagnés par les forces nigériennes et des forces maliennes. C'est la zone des groupes du MUJAO, qui recouvre un réseau à la fois djihadiste et mafieux. Nous avons dû intervenir plusieurs fois autour de Gao où ils sont mêlés à la population, ce qui explique beaucoup de trafics depuis de nombreuses années, qu'il s'agisse des trafics de drogue, d'armes, voire d'otages. Grâce à l'argent dont il dispose, le MUJAO paye des mercenaires ou des complices. Nous rencontrons de sa part une résistance significative, avec des actions asymétriques, ce qui nous amène à faire des patrouilles régulières pour sécuriser l'ensemble de la zone. Nous y avons également découvert d'importants dépôts d'armes et de munitions.

Mais nos actions nous permettent de neutraliser régulièrement un nombre important de terroristes.

La forêt de Ouagadou constitue le troisième lieu de notre intervention actuelle. La nouveauté, dont nous nous réjouissons, est que les actions y sont menées par la MISMA et les forces maliennes, sans les forces françaises – hormis le soutien médical et de renseignement. Je rappelle qu'au début de notre intervention, c'était là que se trouvaient les principaux chefs d'AQMI.

La Mauritanie a fermé ses frontières, ce qui empêche concrètement de prendre les pistes. L'Algérie, avec laquelle nous entretenons des relations de bonne intelligence a fait de même.

Nous avons récemment mis en place une directive de coordination opérationnelle entre les trois composantes militaires présentes sur le territoire malien, que sont celles du général de Saint-Quentin, commandant l'opération Serval, du général Abdulkadir, qui dirige la MISMA, et du chef d'état-major de l'armée malienne, le général Dembélé. Ils se sont mis d'accord sur des stratégies et des objectifs.

Quant à la MISMA, elle compte aujourd'hui 6 300 soldats et le Tchad y est désormais intégré. Notre souci est que non seulement elle se positionne au sud, mais aussi progresse vers le nord afin d'alléger les forces françaises. Tout nous laisse penser que ce sera le cas la semaine prochaine, les forces du Burkina Faso devant se positionner sur Tombouctou et celles du Niger sur Ménaka.

Quand un État membre de la MISMA met à disposition des forces, il en assure normalement financièrement le coût pendant les trois premiers mois – même s'il nous est arrivé de pallier parfois certains manques en alimentation et en carburant –, à la suite desquels un financement international doit prendre le relais. À la conférence des donateurs, un chiffre de 455 millions de dollars a été annoncé et des sommes commencent à arriver à l'agence spécialisée de l'ONU à cet effet. L'Union africaine a annoncé par ailleurs la mobilisation de 50 millions d'euros pour permettre à la MISMA d'assurer la phase de transition qui lui incombe.

Celle-ci va se transformer en opération de maintien de la paix des Nations unies ou MINUMA, selon un calendrier inchangé : une résolution sera proposée à cette fin au Conseil de sécurité à la mi-avril pour une mise en oeuvre effective environ trois mois plus tard.

Le mandat de la MINUMA visera à stabiliser les zones libérées et à accompagner la transition militaire et politique. La France, qui a pris cette initiative, est soutenue. La MINUMA reprendra les forces de la MISMA, auxquelles pourront s'ajouter d'autres forces dans un nouveau contexte et avec un nouvel état-major. La France y contribuera de manière modeste mais réelle, à la fois pour l'organisation générale de la mission et en support de la force, dans des conditions qui restent à déterminer.

Concernant la mission européenne EUTM Mali, elle a pour but d'assurer la formation, voire la reconstitution, de l'armée malienne. Les sessions de formation commenceront la semaine prochaine : elles se dérouleront pendant plusieurs mois et bénéficieront à plusieurs unités.

Il n'y a pas eu de difficulté pour mobiliser des instructeurs de la part de nos collègues européens – le seul problème qui s'est posé étant d'ordre linguistique, les instructeurs ayant vocation à parler français.

La position du chef d'état-major de l'armée malienne a été que l'on forme de nouveaux soldats : a ainsi été lancée une nouvelle opération de recrutement de 3 500 soldats, qui seront intégrés dans le processus de formation de la mission européenne. Le pré-recrutement doit être surveillé de manière à avoir une armée malienne nouvelle à la fin du processus. Le chantier est immense.

Nous avons un souhait : que l'élection présidentielle ait lieu au mois de juillet – ce qui a été dit et répété par le Président de la République du Mali ainsi que son premier ministre. Il est important que ce processus électoral soit engagé car la seule légitimité politique viendra de là : il y a plusieurs candidats – parmi lesquels ne figure pas le président Traoré, qui n'a pas le droit de se présenter.

Deux points restent préoccupants. D'abord, le processus de réconciliation, qui avait été adopté par l'Assemblée nationale malienne – laquelle avait établi une feuille de route –, avance lentement. Lors de ma visite, il y a dix jours, le lancement de la commission à ce sujet venait à peine de se faire la veille, alors qu'il avait été annoncé haut et fort quelque temps auparavant par le Président Traoré. Cette commission sera composée d'un président, de deux vice-présidents et de trente-trois membres, mais ceux-ci n'ont pas encore été nommés – ce qui peut entraîner des désagréments, perturbations ou irritations, voire plus, du côté de ceux qui sont de bonne foi et souhaitent que le processus se mette en oeuvre. Cela peut accentuer par ailleurs des réactions plus vives de ceux qui sont de mauvaise foi. Nous avons donc demandé à plusieurs reprises que se mette en place le processus : on nous dit qu'il est en cours.

Deuxièmement, la présence de l'État dans les zones libérées se fait attendre. Je l'ai fait savoir au Président Claude Bartolone, qui va se rendre au Mali dans les prochains jours, pour qu'il le redise aux autorités maliennes. Aujourd'hui, la scolarité, l'électricité ou les soins sont assurés par la Croix Rouge internationale ou diverses ONG.

S'est tenue hier à Lyon, sous l'autorité de Laurent Fabius, une conférence réunissant les collectivités locales maliennes et françaises pour relancer le processus de coopération et de développement. De plus, aura lieu à la mi-mai à Bruxelles, une conférence européenne coprésidée par l'Union européenne et la France pour renforcer l'aide au développement au profit du Mali.

Je précise que lorsque nous disons que nous allons commencer à nous retirer du pays au courant du mois d'avril, c'est pour faire comprendre que nous n'avons pas vocation à rester sur place dans la durée et que la position de confort sous la protection des forces françaises est provisoire.

Notre retrait sera le signe que le processus de libération, qui correspondait à la mission pour laquelle nous étions engagés, est en voie d'achèvement. Nous allons l'opérer de manière progressive et tactiquement réfléchie.

Globalement, le processus militaire se déroule normalement, dans des conditions météorologiques extrêmement difficiles. Sauf événement particulier, nous aurons bientôt achevé la mission confiée à nos forces. Mais la transition militaire n'a de sens que s'il y a une transition politique, en faveur de laquelle une pression de la France, mais aussi européenne et internationale, sera nécessaire. Le débat aux Nations unies devrait être utile à cet effet, de manière à ce que nous puissions aboutir à une pacification durable de ce pays, qui est pauvre et sur lequel nous devons beaucoup investir à l'avenir pour qu'il connaisse un nouveau développement.

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