Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 3 avril 2013 à 17h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Je suis heureux de reprendre ces points d'information après quinze jours d'interruption, les contraintes de mon agenda m'ayant empêché de venir devant vous la semaine dernière.

Lors de ma dernière audition, le 20 mars, nous étions encore pleinement engagés dans l'Adrar des Ifoghas, et nous déplorions la perte de notre cinquième soldat, Alexandre Van Dooren, à qui j'ai rendu un hommage national à Angoulême il y a une dizaine de jours. Nous sommes à présent entrés dans une nouvelle phase. La libération de l'Adrar des Ifoghas est désormais achevée et la situation évolue moins depuis une quinzaine de jours.

Je serai assez bref sur le bilan des opérations menées depuis le 11 janvier, et commencerai par le volet militaire. Nos troupes ont d'abord stoppé l'offensive terroriste vers Bamako, avant de repousser en quelques semaines les djihadistes jusque dans l'Adrar des Ifoghas et de reprendre, avec l'armée malienne, le contrôle des principales villes ; puis s'est engagée la libération de l'Adrar des Ifoghas, notamment avec la bataille de l'Ametettaï, principal refuge des djihadistes. Enfin, certains chefs ont été éliminés, parmi lesquels Abou Zeid – même s'il a fallu du temps pour vérifier son identité –, et plusieurs groupes ont été fortement touchés : depuis le 11 janvier, nous avons ainsi récupéré et détruit plusieurs tonnes d'armes et de munitions, détruit des bases d'entraînement et porté atteinte aux flux logistiques. Au nord de Tombouctou et de Gao, dans les zones initialement vouées à devenir des sanctuaires pour le terrorisme international, la menace est donc désormais réduite. Nous devons ces résultats à l'efficacité et au courage exceptionnels de nos soldats, et ce dans des conditions devenues très éprouvantes, en particulier à cause de la chaleur. Depuis trois mois, nous avons perdu cinq hommes au combat et déploré plusieurs blessés, auxquels j'ai de nouveau rendu visite, la semaine dernière, à l'hôpital Percy. À chacune de mes visites, je suis impressionné par leur détermination et leur volonté de repartir au combat.

Malgré des résultats remarquables, des menaces asymétriques demeurent dans les environs de Gao et à Tombouctou, où les combattants du MUJAO, mêlés à la population, continuent de mener des actions terroristes que nous nous efforçons de contrer en soutien des forces maliennes, ou d'anticiper en cherchant des caches dans les oueds autour de Gao. Il a ainsi fallu intervenir à Tombouctou ce week-end, comme il avait fallu le faire le week-end précédent, dans la zone de l'aéroport. En menant ces opérations les premières, les forces maliennes retrouvent le sens du combat, même si nos troupes viennent rapidement les épauler – par exemple avec nos blindés et notre aviation de chasse, le week-end dernier. La situation est néanmoins très différente de celle que nous avions connue dans l'Adrar des Ifoghas, où nous faisions face à des troupes organisées dont les combattants, désormais, refusent l'affrontement et s'éparpillent à l'approche de nos soldats, abandonnant repaires et munitions. La menace est désormais principalement liée aux actes terroristes, jusqu'à présent au nombre de quatre – dont deux à Tombouctou et deux autres à Gao.

Sur le plan stratégique, l'armée malienne commence à reprendre confiance, la quasi-totalité du territoire est libérée, le pays a recouvré sa souveraineté et son existence n'est plus menacée : il doit à présent s'organiser politiquement. J'ajoute que l'ampleur des arsenaux que nous avons découverts, en particulier au nord, montre qu'il existait une réelle volonté d'exporter le terrorisme au-delà des frontières maliennes.

Sur le plan politique, s'agissant de la réconciliation nationale que j'appelais de mes voeux, et dont j'avais souligné les difficultés le 20 mars dernier, des éléments nouveaux laissent entrevoir un frémissement. La Commission de dialogue et réconciliation, annoncée lors de la venue du Président de la République à Bamako, se met en place. Son président et ses deux vice-présidents viennent d'être nommés, en la personne, respectivement, de M. Mohamed Salia Sokona, qui fut ambassadeur du Mali en France de 2003 à 2010, de Mme Traoré Oumou Touré, responsable d'une coalition d'organisations féminines, et de M. Méti ag-Mohamed Rhissa, officier des douanes touareg. Une réunion entre les chefs touaregs et les communautés du nord s'est tenue avant-hier à Niamey, à l'initiative du Président du Niger. De plus, tout laisse à penser que la tenue des élections présidentielles l'été prochain est envisageable, pour peu que s'accélère un processus politique qui prend du temps, comme avait pris du temps, d'ailleurs, la réinstallation des autorités maliennes dans les villes libérées ; c'est aujourd'hui chose faite, à telle enseigne que l'opération terroriste du week-end dernier visait le gouverneur de la région de Tombouctou.

S'agissant des perspectives, sur le plan opérationnel, le Président de la République a arrêté, sur ma proposition, un scénario de retrait progressif de nos forces, à mesure que montera en puissance la mission internationale de soutien au Mali, la MISMA, bientôt relayée par la MINUSMA, la mission des Nations unies de stabilisation au Mali. L'objectif du scénario prévisionnel est de porter le nombre de nos hommes sur le terrain à moins de 4 000 à la fin du mois d'avril – puisque ce seuil avait été dépassé lors de l'offensive menée dans l'Adrar des Ifoghas, qui avait alors nécessité des renforts –, à moins de 2 000 fin juillet ou début août et à 1 000 à la fin de l'année, à la faveur du « tuilage » avec la MINUSMA.

Dans ce contexte de présence décroissante, notre objectif opérationnel est d'empêcher la reconstitution des groupes djihadistes. Nos troupes restent donc particulièrement mobilisées dans les zones de Tombouctou et de Gao, en particulier dans la boucle du fleuve Niger. Notre centre de gravité devra se repositionner dans la région du fleuve, afin d'empêcher la résurgence de groupes djihadistes. Il nous faudra aussi poursuivre une surveillance étroite de l'Adrar des Ifoghas et du Timétrine, et mener, simultanément, des opérations de reconnaissance dans la zone qui s'étend de Tombouctou jusqu'à Taoudenit. Une partie de nos troupes gagnera à cet effet Tombouctou avant de se redéployer, au cours des prochains jours, dans cette zone très désertique, la dernière que nous ne maîtrisions pas encore totalement mais où la présence terroriste est a priori réduite.

Nous renforcerons également les opérations menées en appui des forces maliennes et les actions combinées avec la MISMA, à l'instar de celle qui fut conduite avec succès pour libérer la forêt de Ouagadou, où se réfugiaient, au début de l'opération Serval, les groupes djihadistes que nous retrouvions dans l'Adrar des Ifoghas. L'arrivée des troupes sénégalaises à Gao a permis aux forces nigériennes de s'installer à Ménaka ; quant aux soldats burkinabais, le Président du Burkina Faso m'a confirmé leur arrivée prochaine à Tombouctou.

La mission européenne EUTM-Mali – European Union training mission –, installée à Koulikoro et composée de 550 soldats – dont, pour la France, 150 formateurs et un peu plus de 90 protecteurs – représentant vingt pays, a pu débuter ; l'Espagne, la Belgique, la République tchèque enverront des hommes pour la protection des formateurs, qui était un sujet de préoccupation.

La MINUSMA remplacera la MISMA suite à une nouvelle résolution que le Conseil de sécurité des Nations unies devrait adopter en avril. Les discussions officielles se sont engagées hier, sur la base d'un rapport du secrétaire général des Nations unies, rapport auquel la France a contribué. Cette mission « Casques bleus », composée de 11 800 soldats, devrait prendre le relais de la MISMA trois mois après le vote de la résolution, c'est-à-dire dès cet été. Notre présence sur le terrain diminuera à mesure que se renforcera celle de cette mission.

Enfin, nous avons pris acte des prémices de la réconciliation nationale. La tenue d'élections présidentielles fin juillet me semble techniquement possible : il convient d'encourager la classe politique malienne dans cette voie, le vote de la résolution à l'ONU constituant une incitation supplémentaire. Des candidats, d'ailleurs, se préparent déjà.

Par ailleurs, les collectivités territoriales françaises ayant des liens anciens avec le Mali se sont réunies il y a quelques jours à Lyon, afin d'organiser le soutien au redressement économique de ce pays, et le 15 mai, à Bruxelles, le Président de la République présidera, au côté du président Barroso, une réunion des acteurs européens pour le développement du Mali.

En conclusion, nous sommes donc entrés dans une nouvelle phase. La zone des quatre vallées est désormais sous contrôle. Nos opérations vont se concentrer sur Taoudenit et la région située à l'ouest ; après quoi l'ensemble du territoire sera libéré, même si des poches de menace, bien entendu, subsisteront.

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