Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 15h00
Renforcement des droits des patients en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les radicaux de gauche sont attachés à la défense des libertés individuelles et considèrent que le droit de vivre sa mort et de finir sa vie dans la dignité relève d'un choix individuel qu'il convient de respecter. La volonté de la personne doit prévaloir et sa capacité à évaluer ce qui est digne et indigne doit être reconnue. Si les progrès de la médecine et des traitements ont contribué à allonger l'espérance de vie, c'est parfois au détriment de la qualité de vie et de la dignité. Et qui est le mieux à même d'apprécier celle-ci sinon l'individu lui-même ? Comment comprendre que la liberté, valeur fondamentale orientant la vie de chacun, soit si difficile à accepter en matière de fin de vie ?

Choisir sa mort devrait être l'ultime liberté. Ainsi est respectée l'autonomie, entendue comme ce qui permet aux êtres humains de mener et accomplir un projet de vie selon leurs convictions dans les limites imposées par les droits et libertés d'autrui. Pourtant, le droit de choisir reste souvent refusé aux patients en phase avancée ou terminale d'une affection grave, invalidante et incurable génératrice de souffrances insupportables. Il y a là une atteinte à la liberté de décision du malade en fin de vie incompatible avec le respect de la volonté de chacun et avec le droit de mourir dans la dignité.

Dès 1978, un tel droit est revendiqué dans une proposition de loi déposée par le sénateur radical de gauche Henri Caillavet. Déjà, obligation d'information, consentement du malade par acte authentique et responsabilité médicale faisaient l'objet de propositions, finalement rejetées par le Sénat au motif que le problème posé relevait de l'éthique individuelle et médicale. En réalité, il s'agissait alors d'abstention thérapeutique.

En 2005, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui porte votre nom, monsieur le rapporteur, proscrit l'obstination déraisonnable, c'est-à-dire l'acharnement thérapeutique, et consacre le droit de tout patient de refuser ou interrompre un traitement, même si cela met sa vie en danger, et l'obligation faite au médecin de respecter la volonté de celui-ci. Grâce à cette loi, de réels progrès ont été accomplis en une dizaine d'années, grâce en particulier au développement, hélas ! trop limité des soins palliatifs, auxquels il importe de consacrer plus de moyens pour en permettre l'accès à bien davantage de patients, d'autant plus qu'il existe de fortes inégalités territoriales dans notre pays, certains départements étant nettement sous-dotés en réseaux de soins palliatifs, voire n'en possédant aucun.

Le groupe UMP a décidé de déposer une nouvelle proposition de loi visant à renforcer les droits des patients en fin de vie, qui relèvent pour beaucoup de la souffrance et de la détresse marquant la fin de vie. Pour nous, cette nouvelle proposition de loi ne fait que réécrire la loi du 22 avril 2005. Il s'agit d'une « loi Leonetti bis » qui, en ouvrant le droit à la sédation terminale, ne répond pas aux attentes des Français. Celle-ci n'est pas satisfaisante, car la combinaison de traitements sédatifs et de la privation d'alimentation et d'hydratation conduit certes à la mort, mais à quel prix ? Si le patient finit par mourir, c'est souvent au terme de souffrances pour lui-même mais aussi pour sa famille et ses proches, qui regardent partir un être cher dans la douleur.

Ainsi, selon un sondage IFOP réalisé pour Pèlerin Magazine en septembre 2012, 68 % des Français estiment que la loi actuelle sur la fin de vie ne permet pas suffisamment de respecter la volonté du malade en fin de vie. Toujours selon la même étude, 86 % d'entre eux sont favorables à l'aide médicale à mourir. Les chiffres varient quelque peu d'une étude à l'autre, mais globalement, environ 90 % des Français souhaitent bénéficier d'une assistance médicalisée au décès. Ce qu'attendent les Français aujourd'hui, c'est la reconnaissance d'un droit à l'aide active à mourir et de la liberté fondamentale de rester maître de sa destinée, de choisir pour soi et de ne pas franchir un certain seuil de souffrance physique et d'inéluctable déchéance. Voilà ce que veulent les Français !

La proposition de loi dont nous avons à débattre aujourd'hui ne nous paraît donc pas à la hauteur des enjeux. Si elle constitue une avancée dans le « laisser mourir », nous reconnaissons, elle ne répond pas à la demande d'aide à mourir souhaitée par la très grande majorité des Français. En effet, outre le cas des patients en phase terminale, il convient de reconnaître aussi le droit à une assistance médicalisée aux malades atteints d'une affection incurable ou invalidante qui, sans menacer immédiatement leur vie, leur inflige de très fortes souffrances sans espoir de guérison.

En outre, les directives anticipées s'imposant au médecin une fois validées par le patient, le médecin et éventuellement la personne de confiance évoquée à l'article 2, elles n'ont pas lieu d'être revisitées collégialement, ce qui présente de plus le risque de prolonger les souffrances du patient et d'accroître la probabilité qu'il n'obtienne pas satisfaction. Une nouvelle option visant à légaliser l'aide médicale à mourir doit être introduite dans le parcours de soins en fin de vie, car les soins palliatifs et la sédation terminale ne peuvent soulager toutes les souffrances physiques ou psychologiques.

C'est d'ailleurs une des soixante propositions de campagne du Président de la République, qui déclarait : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Le Président de la République a constitué une commission de réflexion sur la fin de vie. Après cinq mois de réflexion et une dizaine de débats citoyens, le professeur Didier Sicard a rendu son rapport à François Hollande en décembre dernier.

Face au constat que la législation en vigueur ne répond pas à l'ensemble des préoccupations légitimes exprimées par les personnes atteintes de maladies graves, invalidantes et incurables, il a décidé de saisir le Comité consultatif national d'éthique afin qu'il se prononce sur les trois pistes d'évolution de la législation ouvertes par le rapport, que vous avez rappelées, madame la ministre : comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées ? Selon quelles modalités et conditions strictes accompagner à un malade conscient et autonome atteint d'une maladie grave et incurable ? Comment rendre plus dignes les derniers moments d'un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d'une décision prise à sa demande, par sa famille ou par les soignants ?

Dès lors, pourquoi aller plus vite que la musique ? Nous nous étonnons en effet de la précipitation à présenter ce texte. Cette question mérite à nos yeux une place bien plus importante dans le débat public. Pour le groupe RRDP, il est nécessaire d'adopter des mesures pour un droit à une mort digne. Il est nécessaire de reconnaître au patient en phase avancée ou terminale d'une affection grave, invalidante et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qu'il juge insupportable et qui ne peut être apaisée le droit d'obtenir une assistance médicalisée pour terminer sa vie. Ce droit est d'ailleurs déjà reconnu, de façon strictement encadrée, aux Pays-Bas depuis 2001, en Belgique depuis 2002 et au Luxembourg depuis 2009.

L'étude de l'INED intitulée Les décisions médicales en fin de vie en France et publiée en décembre 2012 montre qu'un décès sur cent fait l'objet de décisions médicales en fin de vie. Le droit pénal actuel assimile l'aide active à mourir à un assassinat ou un meurtre. Même si des sanctions pénales sont rarement prononcées, le législateur ne peut se défaire de ses responsabilités et s'en remettre aux juridictions statuant au cas par cas. Il ne peut laisser les praticiens, saisis d'une demande légitime pour terminer sa vie dans la dignité, exposés aux sanctions pénales ou disciplinaires. L'exercice du droit à mourir doit bien sûr être très strictement encadré par des règles et procédures extrêmement précises. Mais l'impératif doit bien être le respect de la volonté exprimée par le malade, le libre choix par chacun de son destin personnel, bref le droit des patients à disposer d'eux-mêmes.

Poser la question du droit à mourir dans la dignité suppose que le débat s'engage de façon ouverte, sans contrainte dogmatique ni religieuse. Une telle approche est conforme au principe de laïcité, qui est une valeur intrinsèque au radicalisme et une éthique basée sur la liberté de conscience visant à l'épanouissement de l'homme en tant qu'individu et citoyen. Je conclurai en citant Sénèque, qui écrit, dans les Lettres à Lucilius : « Pour sa vie, on a des comptes à rendre aux autres, pour la mort, à soi-même. La meilleure mort ? Celle que l'on choisit. »

Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, mes chers collègues, le groupe RRDP ne soutient pas le texte et votera en faveur de la motion de renvoi en commission déposée par le groupe SRC et de la motion de rejet préalable déposée par le groupe écologiste. Le groupe RRDP souhaite qu'une véritable législation nouvelle, analogue à la proposition de loi déposée en octobre 2012 et reconnaissant le droit à une assistance médicalisée pour une fin de vie dans la dignité, soit adoptée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

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