Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 24 avril 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

Je voudrais expliquer pourquoi j'ai apporté, en tant que membre de la mission d'information, une contribution écrite à ce rapport et pourquoi je voterai contre sa publication même si je considère qu'il est d'une grande qualité. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail réalisé par les deux rapporteurs. Ce rapport permettra sans nul doute d'améliorer la collecte et le traitement des statistiques. C'est la raison pour laquelle je souscris à nombre de ses conclusions et de ses propositions.

Personne ne conteste que l'état 4001 est obsolète et a besoin d'une reconstruction, et qu'il faut repenser l'interconnexion des statistiques policières et judiciaires, pour avoir une vision réelle de la chaîne pénale dans sa totalité, de la caractérisation de l'infraction aux suites pénales qui y sont données et à l'exécution de la peine si elle est prononcée. Le rapport ne propose d'ailleurs aucun changement quant au point de départ des statistiques, l'enregistrement de la plainte effectué par les policiers et les gendarmes. C'est l'enquête nationale de victimation, instaurée en 2007, qui en a révélé les dysfonctionnements et a permis de donner des orientations pour mieux mesurer la délinquance.

Je partage les propositions, consensuelles, visant à la création d'un infocentre regroupant les statistiques issues de la police et de la gendarmerie, au développement d'enquêtes de victimation plus ciblées sur l'échelon local, à l'amélioration des statistiques judiciaires intégrant le profil socioéconomique des auteurs ainsi que leur parcours judiciaire.

Il est toutefois regrettable que la qualité du travail d'analyse technique mené par la mission, dont sont issues les pistes d'évolution avancées par le rapport, soit largement altérée par des considérations polémiques, voire politiciennes, qui laissent supposer que les statistiques étaient jusqu'à présent manipulées, portant ainsi le discrédit sur les fonctionnaires de police et de gendarmerie.

Je regrette l'emploi de termes péjoratifs qui donnent une vision négative de ceux qui élaborent les statistiques des délinquances, opportunément extraits de l'audition de certaines personnalités qui n'étaient pas toutes sans parti pris. J'en citerai quelques-uns : « outils sous influence », « course aux chiffres », « Sarkomètre », « pression de haut en bas de la chaîne policière », « les statistiques comme outil d'occultation de la réalité de la délinquance », « état 4001, un outil aisément manipulable », « données sur lesquelles pèse le soupçon ». Je déplore aussi qu'aucun membre du conseil scientifique de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) n'ait été entendu par la mission d'information.

Cette terminologie à charge, qui mélange critiques objectives et passages politiques, ne me permet pas de valider le rapport en l'état.

Je suis en désaccord avec un certain nombre de propositions, telles que la création d'un service statistique propre au ministère de l'Intérieur, qui fait figure de mesure phare du rapport. Je rejoins d'ailleurs sur ce point la position du ministre de l'Intérieur. Cela constituerait une régression paradoxale : on conteste l'indépendance de l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), né à la suite des recommandations de nos collègues Christophe Caresche et Robert Pandraud, et au nom de cette volonté d'indépendance, on lui retire ses missions. Cela aboutirait à réintégrer entièrement le traitement des statistiques des délinquances au sein du ministère de l'Intérieur ! La bonne proposition aurait été de renforcer l'indépendance de l'ONDRP en y rattachant le centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) et le service statistique du ministère de la Justice, et d'améliorer le recueil des statistiques par les ministères de l'Intérieur et de la Justice. J'ajoute qu'aucun recrutement n'a été envisagé pour répondre à la création d'un service statistique propre au ministère de l'Intérieur, que le ministre, comme je l'ai dit, ne souhaite pas.

Le rapport remet en question l'existence de l'ONDRP comme en témoignent les nombreux qualificatifs péjoratifs utilisés – « structure dépendante », « bilan contesté », « indépendance sujette à caution ». En réalité, les motifs de cette offensive sont moins à rechercher dans son bilan que dans le fait qu'il a été mis en place par le précédent Gouvernement. Son nouveau directeur, nommé par la majorité au pouvoir aujourd'hui, a rappelé les raisons pour lesquelles cet établissement public doit être considéré comme un service de statistiques publiques à part entière.

En effet, l'ONDRP publie des travaux issus soit d'enquêtes statistiques, soit de données administratives issues des ministères de l'Intérieur ou de la Justice. Ces productions sont des statistiques publiques et il serait pertinent que ces statistiques fassent l'objet d'une labellisation et soient reconnues en tant que telles par l'Autorité de la statistique publique.

Je m'oppose également à la suppression de la publication mensuelle des statistiques, indispensable tant pour les acteurs de la sécurité que pour l'opinion publique et qualifiée à tort, me semble-t-il, d'analyse « court-termiste ». Réserver la publication de ces statistiques à quelques chercheurs ou spécialistes ne me paraît pas opportun. Elles doivent être portées à la connaissance de l'ensemble des acteurs de la sécurité et du public. Dans certains pays, la publication de ces statistiques peut être hebdomadaire : c'est le cas à New York.

Si les agrégats ont remplacé le chiffre unique, celui-ci doit tout de même continuer à être publié – avec toutes les réserves qu'il convient de prendre – pour permettre la comparaison des séries statistiques sur de longues périodes. Il est nécessaire de maintenir la continuité de la comparaison dans le temps.

Je ne pense pas que les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) puissent palier la disparition de cette publication mensuelle, ces organes ne se réunissant pas suffisamment souvent.

Enfin, le rapport ne prévoit pas de solution concrète pour remédier aux problèmes rencontrés par la troisième version du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) qui se met en place plus lentement que prévu. Il n'est en effet disponible que dans trente départements à l'heure actuelle. Le rapport ne formule pas davantage de recommandation pour répondre à la difficulté posée par la nécessité de procéder à une seconde saisie des données au sein d'un répertoire distinct dans ce logiciel pour en permettre le croisement.

Rien n'est dit non plus sur la mise en conformité des données statistiques françaises avec certains indicateurs des statistiques internationales. Le ministre de l'Intérieur avait pourtant jugé cette piste intéressante lorsque je l'avais évoquée devant lui.

En conclusion, même si ce rapport formule d'intéressants diagnostics et propose d'utiles pistes d'évolution, il donne le sentiment de vouloir disqualifier l'ONDRP, et laisse entendre que les gouvernements précédents auraient orchestré une manipulation, ce qui lui fait perdre de sa crédibilité.

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