Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 15 mai 2013 à 15h00
Adaptation dans le domaine de la justice au droit de l'union européenne et aux engagements internationaux de la france — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, vous connaissez l'engagement des écologistes en faveur de la construction européenne et d'une Union européenne à la cohérence renforcée en matière de justice pénale mais également sociale et environnementale. À l'heure où le désamour des Français à l'égard de l'Union européenne ne cesse de se développer dès lors que l'Europe apparaît désormais comme synonyme d'austérité, de privatisations et de perte de pouvoir d'achat, il est essentiel de montrer qu'elle peut également être source d'inspiration en matière de démocratie et de justice. Telle est la dynamique dans laquelle s'inscrit le texte dont nous discutons aujourd'hui.

Le présent projet de loi ayant pour objet d'adapter notre législation à sept textes de l'Union européenne et à plusieurs conventions internationales ne peut donc que recueillir notre assentiment, car ceux-ci viennent renforcer très largement les droits de nos concitoyens européens mais également ceux des citoyens de pays tiers. Il met également en conformité notre droit avec un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne et un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la France pour violation de la liberté d'expression. Je tiens à saluer l'excellent travail mené par la rapporteure pour assurer la transposition de textes très techniques et très divers et garantir le rôle du législateur national dans cette transposition.

Certains des textes européens concernés présentent un retard de transposition important, comme vous l'avez dit, madame la garde des sceaux. Mais, ainsi que l'a souligné la rapporteure, l'absence de condamnation de la France à cet égard ne retire rien à l'obligation de transposer les directives le plus rapidement possible. La directive du 5 avril 2011 relative à la lutte contre la traite des êtres humains devait quant à elle être transposée avant le 6 avril 2013 ; nous avons donc quelques semaines de retard. La France a très largement réduit son déficit de transposition au cours des dernières années et le présent gouvernement a manifestement à coeur de continuer à le résorber. Nous avons encore du travail avant que la France n'assure une transposition totale du droit européen mais nous avons pris la bonne direction.

J'aimerais que le Gouvernement et le Parlement trouvent conjointement un rythme plus régulier afin d'assurer un travail plus spécialisé sur chacun des textes et d'éviter l'écueil d'une transposition commune de nombreux textes d'importance, comme c'est le cas aujourd'hui. Un tel travail nous permettra également à l'avenir d'éviter des décisions telles que celle de la Cour de justice des communautés européennes relative à la garde à vue des sans-papiers pour le seul motif de séjour irrégulier.

À cette étape de la discussion, je crois bon de rappeler qu'à plusieurs reprises, les institutions européennes, l'Union mais aussi le Conseil de l'Europe, sont venues nous rappeler la nécessité de mieux respecter les droits humains. Je pense en particulier à la question des Roms, dont l'actualité nous rappelle l'urgence, aux droits des personnes LGBT ou encore aux conditions de vie dans nos prisons. L'évocation par la rapporteure des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme me permet d'ouvrir le débat sur l'adaptation de notre droit à cette jurisprudence, qui fait partie du corpus du droit européen.

Nous pouvons regretter qu'une fois de plus, la France soit en retard sur certains aspects de la Convention européenne des droits de l'homme, en particulier la liberté d'expression et les droits de la défense. On se souvient notamment d'une décision relative à notre système de garde à vue qui a semé le trouble. En 2010, la Cour européenne des droits de l'homme avait ainsi indiqué que la France ne respectait pas le droit à un procès équitable. Cela nous avait menés, suite à une décision de la Cour de cassation, à réformer notre droit en urgence alors que nous aurions pu réfléchir à une amélioration de notre législation bien en amont. J'ai donc déposé un amendement en ce sens.

Un arrêt de chambre de la Cour européenne des droits de l'homme rendu le jeudi 18 avril 2013 concluait en effet que la conservation des empreintes d'une personne non condamnée constitue une violation de son droit au respect de sa vie privée et donc de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour note en particulier que le droit interne doit faire en sorte que ces données soient pertinentes, non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées et conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas le temps nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont recueillies. L'amendement permettrait de mieux préserver les droits des personnes reconnues innocentes, relaxées ou acquittées dans un contexte d'accroissement du nombre des contentieux dans ce type d'affaire.

J'aimerais revenir sur trois points particuliers qui figurent dans le texte et me paraissent spécialement importants. Tout d'abord, la question des disparitions forcées. L'article 18 du présent projet de loi adaptera des dispositions du code pénal aux stipulations de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui sont des enlèvements pour motifs politiques non suivis de revendications et dont les auteurs agissent pour le compte de l'État ou avec son aval. Ces disparitions non élucidées et impunies constituent une pratique odieuse, fondée sur la terreur et l'oubli.

Nous avons ratifié, en 2008, la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, victoire d'un combat trentenaire mené par la société civile, les organisations non gouvernementales et les défenseurs des droits de l'homme et des libertés. Elle marque le refus de l'oubli par les États signataires et rend enfin justice à ceux que Julio Cortazar a appelés, lors d'un colloque contre les disparitions forcées tenu à Paris en 1981, le « peuple de l'ombre ». C'est ainsi que le poète et écrivain argentin avait entrepris de dénoncer les disparitions massives pratiquées par les dictatures latino-américaines : par un cri d'alarme qu'il avait choisi de lancer depuis notre sol, depuis la France, patrie des droits de l'homme pour bien des combattants de la liberté aux yeux desquels elle reste la terre d'asile que de nombreux Latino-américains ont choisie lorsqu'ils ont fui les dictatures du continent.

Cependant, comme l'ont démontré les travaux en commission, les conditions actuelles d'application de l'article 113-8-1 du code pénal ne permettent pas l'adaptation adéquate des dispositions prévues par les stipulations de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées adoptée le 20 décembre 2006. Les modifications de l'article 113-8-1 du code pénal qui sont proposées permettent une adaptation pleine et entière des stipulations de ladite convention, en particulier de son article 11. Il s'agit donc d'une nouvelle définition de ce crime. C'est une bonne chose.

Je voudrais également évoquer le mandat d'arrêt européen. Les modifications apportées par le présent projet de loi constituent, là aussi, une avancée. Toutefois, si plusieurs initiatives ont été prises afin d'interdire le mandat d'arrêt européen en cas de risque de violation des droits fondamentaux, il aurait été souhaitable d'aller plus loin. En effet, l'harmonisation pénale en Europe n'est pas encore effective et l'on a pu observer, dans le cas d'Aurore Martin, extradée en Espagne pour des chefs d'inculpation qui n'en sont pas en France, un problème de justice et de respect des droits fondamentaux. Nous devrons travailler davantage sur cette question.

Les avancées notables en matière de lutte contre la traite des êtres humains et l'inscription de la traduction et de l'interprétation comme principes généraux de la procédure pénale, évoquées à la tribune par Mme la ministre et par notre collègue Guy Geoffroy en conclusion de son intervention, ne peuvent nous faire oublier que l'Union européenne, qui se doit d'être exemplaire en matière de droits humains et de justice sur son propre territoire, a également une véritable responsabilité vis-à-vis des pays tiers. La sous-traitance de la lutte contre l'immigration clandestine et illégale aux pays voisins, du sud ou de l'est par exemple, ne peut mener qu'à des violations des droits humains et au développement à nos frontières de systèmes et de réseaux de traite. Lutter contre la traite, c'est aussi élaborer une véritable politique de coopération avec les pays d'émigration et réformer en profondeur des organes tels que FRONTEX. La responsabilité de l'Union européenne est également forte en matière de respect des droits humains et du droit du travail par les entreprises européennes dans les pays tiers. Est-il nécessaire de rappeler le terrible drame ayant récemment frappé le Bangladesh ?

Enfin, puisque le texte évoque les crimes contre l'humanité, je tiens à rappeler la proposition de reconnaissance du crime d'écocide formulée par la juriste britannique Polly Higgins et en France par Laurent Neyret. Ainsi que je l'indiquais en introduction, l'harmonisation des dispositions pénales en matière environnementale n'est pas encore aboutie. Elle est tout simplement embryonnaire à l'échelle européenne. Instaurer un délit général d'atteinte à l'environnement au sein de l'Union européenne et défendre la création d'un crime d'écocide nous permettra d'avancer vers une Union européenne plus cohérente et plus forte en matière de justice et vers un monde plus juste, plus solidaire et plus respectueux de notre environnement. Le texte que nous étudions aujourd'hui est un premier pas et j'espère que nous continuerons sur cette voie. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

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