Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 15 mai 2013 à 15h00
Adaptation dans le domaine de la justice au droit de l'union européenne et aux engagements internationaux de la france — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Madame la présidente, mesdames les ministres, madame la rapporteure, mes chers collègues, veuillez tout d'abord m'excuser de ne pas avoir assisté à vos interventions. Comme chacun sait, on court ici d'une salle à l'autre en permanence et je viens de terminer une intervention sur un sujet lui aussi européen.

L'objectif du texte qui nous est présenté est de mettre en conformité le code pénal et le code de procédure pénale avec nos engagements internationaux et de tirer les conséquences de la jurisprudence européenne, en particulier un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 septembre 2012 relatif à l'exécution du mandat d'arrêt européen, à l'heureuse initiative de la rapporteure, notre collègue Marietta Karamanli, et un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 14 mars 2013 relatif à l'abrogation du délit d'offense au chef de l'État prévu par l'article 26 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les radicaux savent ce que la Troisième République leur doit, mais ils savent aussi que l'institution présidentielle a évolué et que cette rémanence du crime de lèse-majesté, alors que le Président gouverne autant qu'il préside, est désormais obsolète.

Les textes qu'il s'agit de transposer dans notre droit interne – certains auraient dû l'être depuis longtemps – sont divers et importants pour la modernisation de notre droit pénal. Ainsi, la directive du Parlement et du Conseil du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, marque l'engagement de l'Union européenne dans la lutte contre la traite des personnes. Cette directive, qui élargit la notion de trafic, prévoit des sanctions plus fortes et des peines minimales plus sévères. Une redéfinition de l'infraction est proposée autour de la distinction entre les victimes mineures et les victimes majeures, et l'élément intentionnel est déterminé. Les éléments constitutifs d'une infraction aux contours plus larges faciliteront l'établissement de la preuve ; les délais de prescription ont été étendus et les aggravations de l'article 225-4-2 du code pénal ont été complétées. Par ailleurs, la compétence des tribunaux français a été élargie à la traite commise à l'étranger par un Français.

La directive du 20 octobre 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales introduit, quant à elle, l'obligation d'interprétation, à tous les stades de la procédure, ainsi que de traduction – une obligation qui ne figurait pas encore dans le code pénal. Comme le signalait la rapporteure du Parlement européen, Sarah Ludford, il s'agit d'encourager l'ensemble des États de l'Union à se doter des standards contenus dans la Convention européenne des droits de l'homme. Il faut en effet se féliciter que les députés européens aient obtenu la limitation par principe du recours à des traductions partielles ou orales – le suspect ne pouvant, par ailleurs, renoncer à ce droit sans avoir bénéficié d'un conseil juridique préalable. Ce droit, essentiel pour assurer un procès équitable – autre droit reconnu par la Convention – et au titre duquel la France a malheureusement souvent été condamnée, reste difficile à exercer en pratique, car sa mise en oeuvre nécessite des moyens suffisants.

La directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie vient pénaliser plus fortement la sollicitation en ligne d'enfants à des fins sexuelles par un adulte et ajoute d'importantes dispositions en matière de protection des victimes. La notion d'agression sexuelle est étendue, la peine encourue pour agression sexuelle sur un mineur de moins de quinze ans est portée de sept à dix ans, et la compétence des juridictions françaises est étendue si l'auteur est un étranger résidant en France en cas de proxénétisme aggravé. Cette extension du principe de territorialité de la loi est particulièrement bienvenue dans ce cas de figure et un aménagement de ce principe est prévu, symétriquement, pour le tourisme sexuel touchant les enfants, au moyen de l'introduction d'une clause destinée à permettre le jugement extraterritorial des ressortissants. La notion de consultation d'un site pédopornographique, punie de deux ans d'emprisonnement, est étendue à l'assistance « en connaissance de cause » à des spectacles pornographiques impliquant la présence d'un enfant, ou la consultation occasionnelle – et non plus habituelle – d'un site s'il est payant. Les peines pour atteinte sexuelle sont, elles aussi, aggravées.

Trois décisions du Conseil, les décisions-cadres du 26 février 2009 et du 27 novembre 2008, ainsi que la décision du 16 décembre 2008, sont également transposées. La première vise principalement à fixer des règles de procédure en matière de citation à comparaître, révision de procès, recours appropriés et représentation en justice. Il s'agit de renforcer la protection des personnes, tout en favorisant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions judiciaires émanant d'un État étranger. Cela concerne plus particulièrement le mandat d'arrêt européen et les procédures de remise entre États membres. Désormais, et comme cela a été confirmé dernièrement, les États membres ne pourront plus refuser d'exécuter un mandat d'arrêt européen que dans les cas de non-exécution limitativement prévus, au nombre de quatre.

La deuxième décision-cadre, du 27 novembre 2008, concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l'Union européenne, a pour objet de faciliter le mécanisme de transfèrement d'un État membre à un autre État membre des personnes condamnées pour leur meilleure réinsertion. Cette décision, visant à faciliter la réhabilitation sociale des condamnés, touche à l'une des pierres angulaires de la justice, insuffisamment développée et trop souvent escamotée jusqu'à présent.

La troisième décision, relative à l'unité de coopération Eurojust, commande une mise en conformité du code pénal. Les nouvelles compétences, notamment en matière de coopération judiciaire avec les pays tiers non-membres de l'Union européenne, ainsi que les pouvoirs d'Eurojust en matière d'investigation particulière et d'avis en cas de conflits de compétences et d'accès aux informations contenues dans les divers fichiers, sont ainsi introduits dans notre droit national.

À ce sujet, le Parlement européen a insisté pour que les membres nationaux d'Eurojust disposent des mêmes pouvoirs judiciaires que ceux dont ils jouissent dans leur propre pays, afin que les relations entre Europol et le réseau judiciaire européen soient renforcées, et pour la création de liens avec les autres agences telles que FRONTEX, Interpol ou l'Organisation mondiale des douanes. Un juste équilibre a, par ailleurs, été recherché entre les pouvoirs d'Eurojust et les droits des prévenus. Une inquiétude subsiste toutefois à l'égard du devenir des données transmises à des pays tiers ou des organisations internationales.

Pour conclure, ce projet de loi a pu utilement servir de véhicule législatif pour une série d'adaptations et de mises en conformité de la législation française avec certains de nos engagements internationaux. Parmi celles-ci, je citerai l'adaptation de la législation française à la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Plusieurs incriminations spéciales sont créées : la tentative d'interruption de grossesse sans le consentement de l'intéressée, le fait de tromper une personne aux fins de l'emmener à l'étranger pour la forcer à conclure un mariage, l'incitation d'un mineur à subir une mutilation sexuelle. Puissent ces actes barbares et lâches être désormais punis à la hauteur de leur ignominie.

Je ne m'étendrai pas davantage sur ce texte, même si d'autres dispositions, telles que l'enregistrement au Fichier national automatisé des empreintes génétiques des auteurs de crimes et délits de guerre, mériteraient que l'on s'attarde encore sur ce projet de loi qui vient actualiser notre droit pénal et moderniser notre procédure, dans une recherche d'équilibre entre les droits de la défense et la nécessaire efficacité de l'action publique, efficacité dont nous aurons bientôt l'occasion de débattre, à une échelle plus « franco-française », avec l'examen prochain du projet de loi relatif aux rapports entre la chancellerie et le parquet.

Vous l'aurez compris, mesdames les ministres, les membres du groupe RRDP approuvent ce texte et le voteront. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

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