Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 15 mai 2013 à 15h00
Adaptation dans le domaine de la justice au droit de l'union européenne et aux engagements internationaux de la france — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi très dense est une étape très attendue dans la construction de l'espace pénal européen, encore embryonnaire et très difficile à mettre en oeuvre. Grâce au droit européen et à la volonté d'harmoniser nos textes, le droit pénal français évolue lentement, mais sûrement, notamment en terme de libertés, et ce en dépit des grandes différences de nos systèmes procéduraux. Le droit pénal européen a toujours fait évoluer très favorablement le nôtre, surtout en matière de procédure pénale. L'objectif essentiel reste la coopération entre États membres et le renforcement des garanties procédurales pour tous les justiciables européens.

Permettez-moi de développer deux aspects novateurs de ce projet de loi, d'une part, la transposition de la directive relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et relatives à l'exécution d'un mandat d'arrêt européen, droits également garantis par les articles 5 et 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; d'autre part la transposition de la décision-cadre concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution au sein de l'Union européenne.

À la différence du droit à l'interprétation, l'obligation de traduction est actuellement totalement absente, ce qui est d'ailleurs choquant, de notre code de procédure pénale. Grâce à la proposition pertinente de Mme la rapporteure devant la commission des lois, ce nouveau droit à la traduction des pièces essentielles entre dans le code de procédure pénale par la grande porte, puisqu'il figurera au sommet, donc à l'article préliminaire qui énonce les grands principes de la procédure pénale et le droit à un procès équitable. C'est une avancée essentielle, très importante pour les droits de la défense, qui donnera très certainement lieu à une nouvelle jurisprudence intéressante sur la définition des pièces essentielles à traduire. Pour autant, ce nouveau droit à la traduction des pièces essentielles ne doit pas ralentir les procédures et il faudra veiller tout particulièrement à l'indépendance des traducteurs, nommés par les enquêteurs ou par les magistrats, ainsi qu'à la qualité de leur traduction. Il en va du caractère équitable du procès. Le recours à des interprètes amateurs ou de fortune comporte, en effet, un vrai risque dont il convient de tenir compte. Ce texte nous donne donc opportunément l'occasion de réfléchir à l'encadrement d'une profession nouvelle, à savoir les traducteurs interprètes, que l'on pourrait considérer comme des auxiliaires de justice en les dotant, enfin, d'un statut et d'une déontologie.

Mais c'est la transposition de la décision-cadre du 27 novembre 2008 qui apporte l'évolution procédurale probablement la plus novatrice en termes d'exécution de peines. Elle concerne l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté et procède, ce qui est fondamental, de la création de soixante-neuf nouveaux articles dans le code de procédure pénale. Les personnes incarcérées pour l'exécution d'une peine privative de liberté prononcée dans un État partie pourront désormais purger intégralement leur peine dans l'État dont elles sont ressortissantes, même si l'exécution de la peine n'a pas encore débuté dans l'État ayant prononcé la condamnation. Très clairement et en pratique, cela signifie que la France pourra transférer vers les États dont elles sont ressortissantes, les personnes condamnées dont la peine à purger est supérieure à six mois d'emprisonnement, sans leur consentement et sans obligation de recueillir préalablement l'accord de l'État d'exécution. Jusqu'à présent, l'application de cette décision était soumise à ce double accord. De façon symétrique les autres États de l'Union européenne pourront désormais renvoyer les Français condamnés chez eux, en France. Cette décision-cadre est fondée sur une confiance réciproque nécessaire entre États et vise l'objectif évident de réinsertion sociale.

Étant moi-même élue du pays basque, je suis particulièrement sensible à ce nouveau texte, tant la question du rapprochement des détenus de leur lieu de vie est récurrente et justifiée par le maintien des liens familiaux, sociaux et culturels. La prise en compte de cet aspect est fondamentale pour prévenir la récidive, humaniser les conditions de détention et donner un sens positif à l'exécution de la peine.

Le projet de loi intègre également une décision-cadre de 2009 relative au mandat d'arrêt européen. Cette décision-cadre prévoit que, lorsqu'un mandat d'arrêt européen est émis aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté, son exécution est refusée dans le cas où l'intéressé n'a pas comparu en personne lors du procès à l'issue duquel la peine ou la mesure de sûreté a été prononcée. Après dix ans d'application, notre assemblée devra bientôt faire un bilan d'étape nécessaire quant aux effets positifs et négatifs du mandat d'arrêt européen. Sergio Coronado a cité le cas, devenu célèbre, il y a de cela quelques mois, d'une compatriote interpellée en France, poursuivie pour des faits qui n'étaient pas constitutifs d'infraction à la loi pénale en France. C'est, aujourd'hui le droit européen qui guide les grandes réformes de procédure pénale ainsi que la jurisprudence novatrice. La preuve vient, d'ailleurs, de nous en être donnée avec une décision historique du Conseil constitutionnel, en date du 4 avril 2013, qui a transmis, pour la première fois de son histoire, une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne avant de répondre à une question prioritaire de constitutionnalité concernant le mandat d'arrêt européen. Il s'agit là d'une vraie brèche. Le juge de la constitutionnalité des lois, reconnaissant ne pas être en mesure de tirer les conséquences des textes soumis à son contrôle, interroge la Cour de Strasbourg sur l'interprétation des dispositions de la décision-cadre afin de pouvoir régulièrement exercer son pouvoir de contrôle de la conformité des lois à la Constitution. Dès lors, le Conseil constitutionnel place le juge de l'Union européenne face à ses responsabilités. Cette décision constitue un tournant. C'est aussi incontestablement la reconnaissance par le juge constitutionnel français que l'Europe est un espace de droit sûr, garantissant à chacun le respect d'un même standard de protection.

Le projet de loi soumis à notre vote est un pas décisif vers la construction d'un droit pénal européen unifié, que chacun appelle de ses voeux. C'est pourquoi nous le voterons avec enthousiasme et confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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