Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 15 mai 2013 à 15h00
Adaptation dans le domaine de la justice au droit de l'union européenne et aux engagements internationaux de la france — Après l'article 17 bis, amendement 9

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Monsieur le député Sergio Coronado, le sujet que vous évoquez est extrêmement important et nous menons à cet égard une rude bataille. Vous le savez, un règlement et une directive sont en préparation à la Commission européenne sur cette question. Le règlement s'imposera évidemment à tous, tandis que la directive nécessitera des transpositions dans chaque État membre.

Nous rencontrons des difficultés sur la nature et la qualité des fichiers : les fichiers de souveraineté et les fichiers commerciaux ne relèvent pas de la même catégorie et impliquent donc des traitements différenciés, mais il existe aussi la catégorie intermédiaire des fichiers qui, sans être de souveraineté, contiennent des données personnelles extrêmement sensibles – je pense par exemple aux fichiers comportant des données relatives à la santé des personnes. Ces derniers ne peuvent être approvisionnés sans qu'il soit accordé aux citoyens un droit de regard à leur sujet.

La position de la France – je l'ai défendue à plusieurs reprises lors des réunions du Conseil « justice et affaires intérieures » de l'Union européenne – consiste à ne pas baisser le niveau de protection sur ces données personnelles : la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée et consolidée depuis lors, est en effet protectrice. Les niveaux de protection diffèrent toutefois selon la nature des fichiers.

Par ailleurs, quant aux fichiers qui n'entreraient pas totalement dans la catégorie que j'ai qualifiée d'intermédiaire, les représentants professionnels exercent une pression forte pour pouvoir en disposer. Cela se conçoit à un moment où il faut consolider le tissu économique et faire en sorte que les entreprises ne soient pas fragilisées par des situations inégales et inégalitaires par rapport à d'autres pays du monde. Pour autant, un certain nombre de dispositions protectrices doivent être prises.

À l'échelon européen, nous nous battons pour défendre notre position. Nous avons notamment obtenu – j'en avais fait la demande lors du dernier Conseil européen – que soient organisées des réunions bilatérales avec la France, les commissions France, afin de préciser ce qu'on entend par guichet et quelles sont les conditions dans lesquelles les citoyens peuvent saisir l'instance leur permettant de contester les données retenues à leur sujet.

Dans l'arrêt du 18 avril 2013 relatif à l'affaire M. K. contre France que vous citez, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que les données du plaignant avaient été conservées de manière abusive. Le fichier concerné, le FAED ou fichier automatisé des empreintes digitales, est géré par le ministère de l'intérieur, qui travaille actuellement au remaniement du décret de 1987 pour en modifier les conditions de gestion et de traitement. En tout état de cause, le nouveau décret sera soumis à la CNIL et au Conseil d'État afin de bénéficier de garanties démocratiques et institutionnelles.

L'enjeu n'en demeure pas moins considérable : le règlement européen s'imposera à tous au sein de l'espace européen – c'est la raison pour laquelle nous voulons durcir les conditions de collecte et d'utilisation – mais la directive que nous aurons à transposer comportera également des dispositions sur lesquelles nous devrons nous montrer vigilants, de préférence en amont, car peuvent intervenir aussi des conséquences en cascade. Un fichier encadré dans l'espace européen pourra par exemple échapper à celui-ci dans le cadre d'une relation entre un pays européen et un autre pays du monde, il pourra être diffusé sur un serveur international dont le contrôle échappe à tout le monde, et ensuite revendu. Nous devons parvenir à encadrer tout cela. Vous avez donc eu raison de nous interroger sur ce sujet majeur.

Quant aux dispositions qui concernent exclusivement les citoyens français, en particulier le FAED, fichier national, elles seront modifiées par la réécriture du décret. Si vous êtes intéressés par ces questions, monsieur Coronado, je vous propose de vous rapprocher de la DACS, la direction des affaires civiles et du sceau, qui en est chargée. Les parlementaires y sont toujours les bienvenus. Vous pouvez si vous le souhaitez passer par le cabinet. Cela vous permettra d'être informé en temps réel de l'évolution de nos discussions avec la Commission européenne.

Pour les raisons que je viens d'exposer, je vous propose de retirer votre amendement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion