Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Interdiction des licenciements boursiers et des suppressions d'emplois abusives — Présentation

Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, c'est avec un sentiment partagé, un sentiment double en réalité, que je prends aujourd'hui la parole devant vous.

En effet, il me semble que nous parlons ici d'un enjeu véritable : comment lutter contre les licenciements abusifs ? Comment combattre cette sorte de préférence pour le licenciement dont font montre, dans notre pays, trop d'entreprises ? Ces enjeux, je les partage, ils étaient dans le programme sur lequel François Hollande a été élu il y a un an, ils font partie du changement attendu et nécessaire. Nous nous retrouvons donc sur cet objectif.

En revanche, j'ai le sentiment que le texte qui nous est proposé n'y répond pas de la bonne façon. Il ignore en particulier ce qui a été fait ces derniers mois et qui va s'appliquer dans quelques semaines ; il vise selon moi davantage l'affichage que l'efficacité, sans parler de son applicabilité puisqu'il est contraire sur certains points à des principes constitutionnels.

Le renchérissement des licenciements abusifs était un engagement du Président de la République, encore candidat, et nous en avons fait un enjeu de la loi sur la sécurisation de l'emploi, en son article 13 d'abord, mais également au-delà, dans toutes les dispositions qui donnent de nouveaux pouvoirs de négociation et d'anticipation aux représentants des salariés. L'objectif est clair : éviter les licenciements, quels qu'ils soient, et renchérir de fait ceux qui sont clairement abusifs, dans des proportions suffisantes pour que cela soit dissuasif.

Nous en avons longuement débattu dans cet hémicycle, et je retrouve dans votre proposition de loi, monsieur le président Chassaigne, de nombreux amendements que vous aviez défendus au cours de ce débat sur le projet de loi de sécurisation. Les heures – utiles – de discussion que nous avons eues alors vous ont montré que nous avions pris cette question à bras-le-corps. Nous l'avons fait globalement, au-delà de ce que peut faire une simple loi d'interdiction.

Je voudrais ici donner trois exemples de ce que la loi sur la sécurisation de l'emploi, désormais loi de la République puisque le Sénat l'a votée, sous réserve de l'approbation – dont je ne doute guère – du Conseil constitutionnel, va changer en matière de licenciements collectifs.

Aujourd'hui, les choix unilatéraux de licenciement que fait l'employeur, choix simplement soumis à un avis non contraignant du comité d'entreprise, sont possibles. Demain, plus aucune procédure de licenciement collectif ne pourra aboutir si elle n'a pas donné lieu, soit à un accord collectif majoritaire, soit à un plan de l'employeur homologué par l'administration, lorsque la négociation n'a pas pu aboutir. Votre proposition de loi le souhaite ; cela a été voté au Sénat il y a deux jours – malheureusement sans l'appui des sénateurs communistes.

Ensuite, l'accord collectif majoritaire pourra arrêter le contenu d'un plan social. Le licenciement, pour être ainsi accepté selon cette nouvelle procédure, sera désormais négocié et donnera lieu à des contreparties et à des engagements – je ne peux pas imaginer que les syndicats majoritaires d'une entreprise acceptent de négocier des licenciements manifestement abusifs comme ceux que vous voulez combattre. La recherche d'un accord collectif est donc la meilleure arme contre les licenciements abusifs et le meilleur moyen d'affronter les restructurations qui n'auraient pu être évitées par les nouveaux outils d'anticipation qu'instaure par ailleurs la loi de sécurisation de l'emploi.

Enfin, dans le cas du plan de l'employeur soumis à l'homologation par l'État, les délais actuels de discussion des projets entre la direction et le comité d'entreprise sont sensiblement allongés par la loi sur la sécurisation de l'emploi, qui crée en même temps les conditions pour que ces nouveaux délais soient réellement respectés et utilisés pour un échange réel sur le projet et les mesures sociales.

Puis vient l'homologation par l'administration, dans un délai de vingt et un jours, ce qui permettra de s'assurer de la régularité des procédures de consultation, et surtout de l'adéquation entre la situation et les moyens dont dispose l'entreprise, ou le groupe auquel elle appartient, et les mesures d'accompagnement prévues dans le PSE. Autrement dit, l'administration ne se contentera plus de lettres d'observation sans conséquences réelles, mais son avis sur la qualité des mesures du PSE sera désormais incontournable.

Et c'est là, dans ce moment-clé, que, pour pouvoir être homologués, les licenciements demandés par les groupes qui font des profits, et ont donc des moyens financiers, seront fortement renchéris. Leur coût élevé sera dissuasif ou garantira au moins une meilleure sécurisation des parcours professionnels des salariés concernés.

Mesdames et messieurs les députés, cette nouvelle loi de sécurisation de l'emploi décourage les licenciements abusifs grâce à des instruments effectifs et concrets, qui plus est négociés.

C'est un choix qui consiste à faire confiance aux acteurs de l'entreprise, qui sont les meilleurs connaisseurs de leur situation. Les nouveaux dispositifs fondés sur la négociation et l'anticipation constituent de bien plus sûres armes pour améliorer la capacité d'adaptation de nos entreprises en sécurisant l'emploi et les parcours professionnels.

La proposition de loi sur les reprises de sites que nous examinerons ensemble prochainement complétera ces avancées importantes.

Alors, si par votre proposition de loi, il s'agit d'affirmer ensemble, au-delà des clivages momentanés, que les licenciements abusifs doivent être découragés, nous en sommes d'accord, d'autant plus que nous avons déjà mis en place les instruments pour les combattre. Mais, je vous le disais, j'ai aussi le sentiment que, au-delà de votre louable volonté, cette proposition de loi procède plus de l'affichage que de la recherche d'effets concrets.

Je m'explique. Vous proposez de restreindre le champ du licenciement pour motif économique en supprimant la notion jurisprudentielle de « sauvegarde de la compétitivité ». Mais le licenciement économique est déjà très encadré : la Cour de cassation – vous y avez fait référence – a imposé, pour le recours à la sauvegarde de compétitivité, que l'employeur démontre sans équivoque, éléments chiffrés à l'appui, que la restructuration qu'il met en oeuvre répond à des impératifs structurels ou conjoncturels objectivement établis, et non à une simple volonté d'accroître ses profits.

Le contrôle est d'autant plus strict que la démonstration de la nécessité de sauvegarder la compétitivité doit s'effectuer non plus simplement au niveau de l'entreprise à laquelle appartient le salarié licencié, mais au niveau de la branche d'activité du groupe concerné. Si la branche d'activité est mondiale, l'appréciation du motif se fait à l'échelle mondiale. En conséquence, une entreprise qui perdrait de l'argent sur ses activités en France n'aurait pas de motif économique réel et sérieux si la même activité gagne beaucoup d'argent au niveau mondial. La France a donc une définition très stricte du motif économique.

De surcroît, vous le savez bien, monsieur le rapporteur, votre proposition de loi ne passerait pas l'épreuve du Conseil constitutionnel. Le débat en commission des affaires sociales l'a rappelé et vous l'avez vous-même souligné.

Est-il besoin en effet de rappeler le considérant appliqué par le Conseil en 2002 à la loi de modernisation sociale, selon lequel « en ne permettant des licenciements économiques pour réorganisation de l'entreprise que si cette réorganisation est “indispensable à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise” et non plus, comme c'est le cas sous l'empire de l'actuelle législation, si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, cette définition interdit à l'entreprise d'anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants ». Vous l'avez relevé, monsieur Chassaigne, en invitant le Conseil constitutionnel à modifier sa jurisprudence…

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