Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Interdiction des licenciements boursiers et des suppressions d'emplois abusives — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

C'est bien en effet à ce fléau qu'il faut s'attaquer si nous voulons sortir de la situation actuelle. Aussi je regrette que le candidat devenu Président ait perdu de sa fermeté sur cet engagement.

Nos concitoyens n'attendent pas du nouveau Président de la République et de la nouvelle majorité parlementaire qu'ils poursuivent sur la même voie avec les mêmes recettes que M. Sarkozy et sa majorité de droite, mais au contraire qu'ils rompent avec cette politique de régression économique et sociale qui mène notre pays et l'Europe à la récession et à la précarité généralisée.

Mes chers collègues, que l'on soit de droite ou de gauche, comment peut-on justifier qu'Alstom déclare en 2010 à la fois plus d'un milliard d'euros de bénéfices et la suppression de 4 000 emplois ? Que Sanofi annonce 2 000 suppressions d'emplois alors que ce laboratoire a réalisé 40 milliards d'euros de bénéfices en cinq ans, dont 8 800 millions en 2012 – sans parler des 126 millions de crédit d'impôt recherche, des 47 millions reçus au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ni, bien entendu, de la rémunération de 7 500 000 euros du P-DG ? Qu'IBM annonce son intention de supprimer plus de 1 200 postes en même temps que sa volonté d'« augmenter la distribution des dividendes de façon significative ? Que 1 173 salariés de Goodyear Amiens puissent être mis à la rue après cinq ans de casse organisée du site alors même que le groupe affiche plus de 500 millions d'euros de résultats nets ces deux dernières années – le directeur déclarant même : « Je suis payé pour fermer l'usine et je vais le faire » ?

Non, je l'affirme, ces comportements ne sont pas admissibles. Nous ne pouvons accepter que ceux qui détiennent le capital social s'arrogent in fine le droit de décider, seuls et pour leurs seuls intérêts, de priver des millions d'hommes et de femmes de leur travail, de leur salaire, de leurs moyens pour vivre, de priver des départements, des régions entières de leur activité économique et de leur savoir-faire. Quand une entreprise ferme, on perd aussi un savoir-faire.

Cette situation ne choque-t-elle personne ? Tous ces emplois détruits ? Tous ces gâchis humains, économiques et sociaux dans le seul but pour des entreprises florissantes de, passez-moi l'expression, « faire davantage de fric » ?

Notre rôle de députés porteurs de l'intérêt général est de mettre un terme à ces dangereux excès.

Notre rôle de législateur est d'encadrer et de limiter par la loi ce pouvoir exorbitant à l'initiative des directions d'entreprise, quelles qu'en soient les conséquences pour notre pays. C'est dans cette démarche que s'inscrit ce texte.

Certains de nos collègues du groupe socialiste expliquent qu'ils ignorent ce qu'est un licenciement boursier. Je me permets de leur rappeler que dans leur programme, encore consultable à ce jour, intitulé « Le changement », figure cette proposition n° 5 : « Nous dissuaderons les licenciements boursiers par des pénalités financières pour les entreprises qui en même temps versent des dividendes à leurs actionnaires ».

Il y a un an, vous saviez donc, chers collègues socialistes, ce qu'est un licenciement boursier, à tel point d'ailleurs que tous vos collègues sénateurs avaient voté notre proposition de loi en décembre 2011. Mais c'était avant, me répondrez-vous peut-être. Pour notre part, nous refusons cette attitude cynique, qui conduit à la fois à s'habituer à l'inacceptable et à discréditer le discours politique, ce qui est dramatique pour la démocratie.

On peut, et c'est l'objet de notre débat d'aujourd'hui, discuter du meilleur moyen de dissuader les licenciements boursiers. On peut aussi les appeler autrement. Mais on ne peut pas dire que l'on ignore de quoi il s'agit.

Oui, il y a urgence à apporter des réponses, non pas de manière dogmatique mais pratique, concrète et véritablement efficace, en faisant ce que tous les syndicalistes, les praticiens et les universitaires préconisent depuis des années :

Redéfinir le motif économique de manière plus rigoureuse afin d'interdire de tels licenciements dans les conditions particulièrement choquantes que je viens d'évoquer ;

Donner au juge, au terme d'un débat loyal et contradictoire, les moyens d'agir efficacement en imposant la seule sanction réellement protectrice des droits des salariés : la nullité du licenciement et la réintégration ;

Mettre un terme à la gabegie des aides et exonérations accordées depuis des décennies sans aucune exigence de contrepartie – et d'ailleurs sans aucun résultat ;

Revenir sur un dispositif que nous avions combattu ensemble, ici même, issu de la loi dite Borloo de 2003 qui venait anéantir une jurisprudence favorable aux salariés victimes d'une modification de leur contrat de travail ;

Abroger la rupture conventionnelle qui, à l'usage, s'est bien révélée être ce que nous dénoncions lors de sa création : une machine à licencier sous la pression d'un face à face profondément inégalitaire.

Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre, la loi de sécurisation de l'emploi ne répond pas à cet objectif, comme nous ne tarderons malheureusement pas à le mesurer bientôt. Surtout, je veux réfuter cet argument selon lequel vous auriez, avec cette loi, « renchéri » les licenciements boursiers.

Aucun article de ce texte, que nous avons ici combattu, ne réévalue la sanction prévue par le code du travail en cas de licenciement économique abusif, à savoir le versement de six mois de salaire, une indemnité inchangée depuis 1973.

En outre, vous prétendez que c'est l'administration qui se chargera de contraindre les employeurs à faire des efforts supplémentaires en termes de mesures d'accompagnement. les juges s'en chargeaient déjà très bien avec la menace d'une sanction autrement plus dissuasive, celle de la nullité du licenciement avec la réintégration à la clé. Ce ne sera plus le cas.

Enfin, avec le dispositif de mobilité forcée et les accords de maintien dans l'emploi, vous permettez aux employeurs de contourner ce contrôle administratif par des procédures individuelles.

Pourtant, et nous sommes là sur une question de fond, vous osez envisager de réduire encore la rémunération du travail, qualifiée de « coût », alors que la rémunération du capital ne cesse d'augmenter.

Auriez-vous oublié que, selon l'Insee, le salaire médian aujourd'hui en France est de 1 675 euros bruts mensuels, ce qui signifie que la moitié des salariés – je ne parle même pas de tous les chômeurs dont les moyens sont encore plus faibles – vivent avec moins de 1 290 euros nets par mois ? En 2013, comment vit-on et que peut-on consommer – puisque c'est ainsi que l'on parle aujourd'hui – avec de tels revenus ?

C'est très exactement le contraire qu'il faut mettre en oeuvre si nous voulons enrayer le chômage, relancer la consommation, maintenir et développer notre agriculture, sauver les petites et moyennes entreprises qui rencontrent de plus en plus de difficultés et relancer la production dans notre pays.

L'adoption du texte que nous vous proposons constituerait une réelle avancée, même si elle reste bien modeste face aux défis à relever.

Elle permettrait de sauver des milliers d'emplois et marquerait notre volonté d'arrêter cette déferlante ultralibérale sans aucun garde-fou, au mépris de la vie de milliers d'hommes, de femmes, de familles.

C'est pourquoi je vous invite fermement, avec passion et conviction, à le voter.

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