Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Interdiction des licenciements boursiers et des suppressions d'emplois abusives — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les licenciements dits boursiers soulèvent une question cruciale : une entreprise qui engrange des profits et distribue des dividendes peut-elle licencier des salariés afin d'être plus rentable ? C'est en effet bien souvent ainsi que les choses se passent. Les exemples ne manquent pas. En 1999, la direction du groupe Michelin a annoncé simultanément une augmentation du bénéfice, la distribution de dividendes et 7 500 suppressions d'emplois. Dès le lendemain, le cours de bourse bondissait de 12 %.

Que l'on ne s'y trompe pas : cette situation peut concerner une société non cotée en bourse, quel que soit son chiffre d'affaires ou le nombre de ses salariés. L'actualité démontre chaque semaine que la fermeture de sites industriels et la suppression de milliers d'emplois concerne également des entreprises très rentables pour leurs actionnaires.

D'aucuns ont souligné à cette tribune les termes prétendument inopportuns de cette proposition de loi, allant jusqu'à reprocher à ses auteurs de ne pas comprendre le monde économique actuel, celui de la mondialisation.

D'autres ont souligné sa soi-disant incohérence, arguant du fait que le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés en faveur du dialogue social en amont, préalablement à toute modification apportée au droit du travail.

Certains, enfin, ont dénoncé ce qu'ils nomment le populisme de cette proposition de loi qui viserait à dresser les Français les plus en difficulté contre les entreprises et les entrepreneurs, qui seraient les seuls créateurs de richesses et d'emplois.

Pourtant, l'annonce faite hier par l'INSEE de l'entrée de la France en récession, comme celle de la baisse record du pouvoir d'achat des ménages en 2012 vient obscurcir encore davantage le sombre tableau dressé par M. le rapporteur et appelle une réaction rapide et forte.

La colère des employés et des salariés face aux licenciements effectués par des entreprises rencontrant des difficultés économiques dont la réalité est discutable est parfaitement légitime. C'est un sentiment de révolte intime qui anime une très grande partie des Français et qui peut aussi s'emparer des parlementaires.

Il n'est donc ni populiste ni honteux de souhaiter réformer notre système afin de limiter au maximum ces abus. C'est d'ailleurs le sens du trente-cinquième engagement du candidat François Hollande : « pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions et nous donnerons la possibilité aux salariés de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l'intérêt de l'entreprise. » Cet engagement est assez semblable au contenu de la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui.

Ce qui est en jeu, fondamentalement, c'est le modèle français de l'entreprise.

Une entreprise française, cotée ou non, est-elle la propriété exclusive de ses actionnaires, qui délèguent à des mandataires, c'est-à-dire à des dirigeants, l'objectif unique de la rentabilité ?

Ou bien l'entreprise incarne-t-elle un intérêt social quelconque, qui comprend non seulement celui des actionnaires, mais aussi celui des salariés, des sous-traitants, de l'État et des collectivités locales ?

Convient-il de suivre aveuglément le modèle libéral qui fait de l'actionnaire le centre de la galaxie économique et de son profit l'objectif premier de l'entreprise ?

Ou bien convient-il plutôt de construire un nouveau modèle de l'entreprise, comme les rédacteurs du code civil l'avaient fait en leur temps, afin non seulement de trouver des solutions culturellement et juridiquement acceptables en France mais aussi de contester l'hégémonie de ce modèle libéral, en offrant une alternative socialement acceptable à nos voisins européens, à qui une norme claire, légitime et transparente pourrait aussi servir de point de repère ?

Cette norme claire et légitime, c'est l'intérêt social, c'est-à-dire l'intérêt de l'entreprise en tant qu'acteur économique ayant conscience de sa responsabilité sociale et environnementale.

L'intérêt social doit s'imposer et doit imposer la justice sociale dans le monde de l'entreprise.

L'intérêt social représente le commun dénominateur du respect et de la protection de l'ensemble des intérêts liés à l'entreprise, ceux des actionnaires comme des salariés, des fournisseurs comme des créanciers.

Assigner à une société la recherche permanente et unique de l'intérêt exclusif de ses actionnaires, revient à juger chacun de ses actes et de ses décisions, par exemple d'ouverture et de fermeture d'une usine, à l'aune de l'intérêt des actionnaires.

Assigner à une société un rôle économique mais aussi social et environnemental, c'est apprécier ses actes, ses décisions et ses investissements à l'aune de l'intérêt de l'entreprise et donc de l'ensemble des partes prenantes, notamment des salariés.

L'intérêt social est en effet une pièce essentielle de l'intérêt général. Une entreprise ne vit pas seule, sur un îlot, entouré de ses seuls actionnaires : elle interagit avec son territoire mais également avec une multitude d'interlocuteurs et s'inscrit indéniablement dans un contexte humain, social et environnemental.

C'est dans ce cadre que s'inscrit le débat autour des licenciements dits boursiers, c'est-à-dire des licenciements collectifs qui interviennent alors même que l'entreprise ne connaît pas de difficultés financières, dans le but de diminuer la masse salariale, afin de dégager de plus grands bénéfices ou d'augmenter la valeur de l'action.

Si les licenciements boursiers peuvent apparaître légitimes aux yeux de certains défenseurs zélés des profits des actionnaires, ils constituent une injustice majeure de notre temps, puisqu'ils conduisent à rompre l'intérêt commun aux deux principaux acteurs de l'entreprise, les actionnaires et les salariés, afin de ne retenir que l'intérêt exclusif des premiers.

La proposition de loi que nous examinons traite directement de cette question. Elle complète l'article L. 1233 alinéa 2 du code du travail en considérant, en son article 2, qu'« est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d'emploi sous quelques forme que ce soit, décidée par un employeur dont l'entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d'exploitation positifs au cours des deux dernières années comptables ».

Bien plus, cette proposition de loi pose, au même article, le principe que distribuer des dividendes ou des stock options doit empêcher de licencier des salariés pour des motifs économiques.

Cette proposition de loi doit être saluée car elle contribue à rééquilibrer l'intérêt social, non pas au détriment des actionnaires, mais au bénéfice de l'ensemble des salariés, qui ne peuvent être considérés comme des variables d'ajustement dans la perpétuelle quête de la rentabilité financière.

Si une entreprise distribue des dividendes à ses actionnaires, c'est qu'elle réalise des profits : elle ne peut dès lors arguer de difficultés économiques pour licencier.

C'est à ce prix que la justice sociale sera rétablie. C'est à ce prix que l'intérêt général sera préservé. C'est pourquoi la proposition de loi prévoit le remboursement des aides publiques, lorsque le licenciement pour motif économique aura été jugé sans cause réelle et sérieuse.

Il est juste, il est légitime qu'une entreprise soit condamnée à rembourser le montant des exonérations de cotisations sociales dont elle a bénéficié pour l'ensemble des salariés initialement concernés par la suppression d'emplois envisagée. Dans le cas contraire, cela reviendrait, pour l'État et les collectivités locales, à subventionner une entreprise pour qu'elle verse des dividendes à ses actionnaires. C'est aussi clair et simple que cela.

Les députés écologistes ont d'ailleurs déposé un amendement prévoyant que les collectivités locales puissent également être remboursées des subventions qu'elles ont versées, dans la mesure où ces dernières ont pour objectif le bien-être des citoyens et des citoyennes sur leur territoire et non pas le bénéfice des actionnaires.

C'est à ce prix que les actionnaires et les dirigeants par eux mandatés prendront conscience du risque encouru et des enjeux. Si l'entreprise est condamnée à rembourser les aides publiques, sa valorisation comme le portefeuille des actionnaires en seront affectés.

Cette proposition de loi participe à la construction d'un nouveau modèle de l'entreprise, au centre duquel n'existe pas un seul intérêt, celui des actionnaires, mais un ensemble d'intérêts divers, complémentaires, parfois contradictoires, qui doivent interagir sans jamais se détruire. Nous venons d'entendre le Président de la République affirmer que la destruction des emplois est au coeur des préoccupations du Gouvernement.

L'affirmation de la justice sociale doit être le moteur de notre action collective, à droite comme à gauche. La justice sociale n'est pas la négation de la liberté d'entreprise. Elle n'est pas un instrument de négation d'une liberté ou d'un droit mais un instrument de sauvegarde de l'emploi et du bien-être des salariés, aujourd'hui, dans le pays. C'est en laissant les actionnaires imposer leurs seuls intérêts au travers de licenciements massifs en période de bénéfices qu'une atteinte manifestement excessive est portée à la sauvegarde de l'emploi et à la justice sociale.

Un monde, chers collègues, est en train de disparaître, celui qui est né avec la révolution industrielle au xixe siècle. C'est un monde dans lequel la demande de produits et de services a excédé l'offre, un monde dans lequel la complexité de l'organisation des entreprises n'a cessé de croître, un monde qui s'est construit dans l'opposition stérile de l'emploi et de la rentabilité.

Nous devons, à l'opposé, construire un monde dont le mot d'ordre doit être la coopération, basée sur une économie plus sociale, plus solidaire, plus soucieuse de l'environnement. Nous devons construire un nouveau système, basé sur l'investissement dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, secteur fortement créateur d'emplois.

Il est ainsi de notre responsabilité de construire un monde nouveau, le monde de demain, dans lequel la préservation de l'emploi ne sera pas un vain mot, mais la concrétisation du principe cardinal de notre République, celui de la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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