Intervention de Alfred Marie-Jeanne

Séance en hémicycle du 16 mai 2013 à 15h00
Suppression du mot "race" de la législation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlfred Marie-Jeanne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, j'essaierai d'être bref et d'éviter la polémique.

Il est des moments où il faut savoir, quand le sujet est important et touche à nos valeurs, se ressouder. J'ai l'impression que, ce soir, un pas a été fait dans le bon sens.

Cette proposition de loi vise à supprimer le mot « race » qui a fait tant de dégâts dans le passé, concernant des millions d'êtres humains, au nom du fascisme, du racisme, et j'en passe ! On me demande de faire plus.

La mission qui m'a été confiée se rapportait à la suppression du mot « race » dans la législation française. Je veux d'abord remercier tous ceux qui, avant moi, ont défriché, déblayé le terrain, même s'ils ne sont pas arrivés au résultat escompté.

Je ne suis pas de ceux qui réclament. Je ne l'ai jamais fait et je ne le ferai pas. Je vous remercie toutes et tous de nous avoir aidés. Je n'ai pas pris contact avec les différents collaborateurs. J'ai travaillé avec Colette Capdevielle et les membres du groupe socialiste, mais pas avec ceux qui étaient porteurs du texte. Parce que je savais que ce texte comportait des imperfections.

Au départ, j'ai essayé de le « bouleverser » pour emporter votre décision. C'était un travail très délicat. Jamais on n'était allé aussi loin. Je dis bien : jamais ! Nul besoin de le démontrer ! Les propositions antérieures étaient relativement restrictives et ne concernaient qu'une petite partie du sujet.

Nous avons reçu des dizaines et des dizaines de gens. Certes, nous avons reconnu qu'il y avait des difficultés. Mais renonce-t-on à faire un pas en avant parce qu'il y a des difficultés ? Le rôle qui m'incombait était de supprimer, autant que faire se peut, dans toute la législation française, hors Constitution, le mot « race ». Quel ne fut pas mon étonnement – agréable, d'ailleurs –de constater que, sur les cinquante-neuf articles faisant problème, cinquante-cinq pouvaient être amendés très facilement, en remplaçant simplement les mots « race » ou « ethnie » par le mot « raciste ». Car ce que condamne la justice, c'est le comportement. Va-t-on empêcher certains élus, absents de notre assemblée ce soir et qui professent matin, midi et soir, des idées racistes, d'avoir ces comportements odieux, même si l'on enlève le mot « race » de notre législation ?

Or, même si l'on pouvait comprendre ce qui s'est produit dans le passé, aujourd'hui la science nous rapproche. C'est peut-être ce qui désole beaucoup de gens ! La couleur de peau ne compte pas, les cheveux blonds ne comptent pas, pas plus que les cheveux crépus ou le nez camus. La science nous a rapprochés. Alors, quel argument reste-t-il ? Il reste qu'on aurait dû d'abord commencer par la Constitution. Mais c'est un droit que je n'ai pas. Modifier la Constitution relève du législatif, du Président de la République et du Parlement. Je n'ai pas ce droit-là, je suis obligé de le dire. Et parce que je n'ai pas ce droit-là, n'ai-je pas celui, n'ai-je pas l'obligation, la mission de faire un pas en avant ?

Dans le passé, pendant des siècles, je dis bien pendant des siècles, on a inculqué aux citoyens l'idée qu'il y avait des races. Croyez-vous que c'est en un jour, en supprimant un mot, que l'on va changer les comportements racistes ? Je crois, au contraire, qu'il est des moments difficiles où le politique doit donner un signal fort.

Je l'ai dit dans mon texte, si les élus de notre pays n'avait pas aboli la peine de mort, où en serions-nous aujourd'hui ? S'il y avait eu un référendum pour demander au peuple de voter pour ou contre la peine de mort, avez-vous l'impression que cela se serait passé de la même façon ? Personnellement, je pense que non. Il y a des moments où le politique, quelles que soient les difficultés, doit donner l'exemple, et le bon exemple en la matière. Je dis bien « le politique », toutes catégories confondues.

Je remercie Mme la ministre pour le soutien du Gouvernement. Je remercie également le président de la commission des lois, qui a joué un rôle très important, je le dis en toute objectivité. Je remercie également Mme Capdevielle pour son amendement. Et je remercie toutes celles et tous ceux qui, ayant pris la parole à cette tribune, ont tout de même hésité, vacillé. Je remercie enfin ceux qui sont partagés et qui vont pour moitié s'abstenir et pour moitié voter positivement. Je n'ai pas envie de diviser davantage.

Pour ma part, je considère que c'est un grand moment et j'invite ceux qui hésitent encore à voter avec nous. Le reste vous appartient et nous appartient. Le gouvernement socialiste fera le reste. Cela veut dire qu'il prendra la décision de continuer et d'enlever le mot « race » de la Constitution.

Par contre, je le dis à ceux qui voulaient modifier le Préambule de la Constitution de 1946 : c'est daté. J'ai fait exprès, dans mon texte, de dire qu'au nom de la laïcité, j'aurais pu remonter à la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et à l'Être suprême ! Cela n'a pas de sens ! Mais la Constitution actuelle, celle qui nous régit, peut être modifiée. N'est-ce pas ce qui a été fait ? Cette Constitution a été modifiée plusieurs fois, par Jacques Chirac et par d'autres. C'est par touches successives que l'on avance. On ne peut pas me démentir sur ce point.

Depuis quelque temps, la Constitution a été modifiée à de nombreuses reprises. Certains passages sont devenus obsolètes. Par exemple, l'Union française a disparu. C'est daté, c'est la marque de la législation sur les différents maillons d'une évolution continue. C'est ce que je tenais à dire pour que l'on comprenne ce que j'ai essayé de faire. Croyez-moi, je le dis très franchement, cela n'a pas été facile et j'espère que vous le comprenez. C'était même très délicat. Je me suis impliqué parce que j'étais convaincu.

J'ai envie de terminer mon intervention par un exemple concret. Lorsque l'extrême droite européenne, fasciste, colonialiste, impérialiste a loué un avion pour débarquer en Martinique, celui qui vous parle a mené campagne pendant plus de trois mois pour empêcher le Front national et les fascistes européens de débarquer en Martinique, pour la première fois au monde. C'est ce vulgaire petit député – qui n'était d'ailleurs pas député à l'époque – qui a empêché cela, alors qu'il n'était rien. J'ai apporté ma pierre à l'édifice et je sais pourquoi. Je suis un antiraciste profondément convaincu. Et ce soir, je vous demande à tous que nous nous rapprochions sur ce point. Vous n'avez pas le droit de déserter ce combat.

C'est ce que je tenais à vous dire très simplement. Je vous remercie et je souhaite que le gouvernement socialiste continue à faire le boulot qui lui incombe désormais. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)

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